INTERVIEWDeux ans après, «on n’a pas tiré les leçons de l’attentat de Bruxelles»

VIDEO. Attentat de Bruxelles: «On n’a pas tiré les leçons de ce qu’il s’est passé» déplore une victime

INTERVIEWWalter Benjamin était en route pour retrouver sa fille en Israël le 22 mars 2016. Soufflé par l’explosion de la ceinture d’un des kamikazes, il a perdu sa jambe droite dans l’attentat de l’aéroport de Bruxelles…
Walter Benjamin a été victime de l'attentat contre l'aéroport de Bruxelles le 22 mars 2016.
Walter Benjamin a été victime de l'attentat contre l'aéroport de Bruxelles le 22 mars 2016. - THIERRY ROGE / BELGA / AFP
Hélène Sergent

Propos recueillis par Hélène Sergent

L'essentiel

  • Ce jeudi, Walter Benjamin publie « J’ai vu la mort en face » (Ed. du Rocher), un livre-témoignage sur son combat pour remarcher, deux ans après l’attentat de Bruxelles.
  • Il dénonce l’inaction des autorités belges et l’absence d’accompagnement des victimes des attaques du 22 mars 2016.

Ce matin du 22 mars 2016, Walter Benjamin part retrouver sa fille qui vit en Israël. Lorsqu’il arpente le couloir n°4 de l’aéroport de Bruxelles-Zaventem, une énorme explosion retentit. « Je n’ai pas le temps de mesurer la gravité de la situation qu’à trois mètres de moi un autre homme déclenche sa ceinture explosive. Le son est strident, je suis projeté en arrière (…) Un attentat vient d’avoir lieu ce mardi 22 mars, il est 7h58 », se souvient-il. Grièvement blessé, amputé de la jambe droite, le Bruxellois témoigne dans un livre publié ce jeudi, de sa reconstruction, de sa colère et de son combat pour une meilleure prise en charge des victimes d’attentats en Belgique.

L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies

Comment et quand est née l’idée de ce livre-témoignage ?

Au départ, il n’était nullement question d’écrire un livre. J’ai demandé qu’on m’apporte un ordinateur à ma sortie des soins intensifs. Je ne voulais pas oublier les détails de ce qui était arrivé, de tout ce que j’avais vu, mes ressentis, les heures… J’écrivais beaucoup et les infirmières avec lesquelles j’ai noué une véritable amitié me disaient « il faut que tu écrives un livre ». C’était une sorte d’exutoire, de thérapie, ça m’apportait plus que mes séances de psy. Quelques mois après, l’écriture avançait, un éditeur est venu, mais je ne l’ai jamais rappelé. Puis je suis sorti de l’hôpital, c’est une fois rentré chez moi que je suis entré dans une phase plus proactive.

En dehors des toutes premières pages, vous laissez finalement peu de place aux faits et à l’attaque dans votre ouvrage. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Les attentats sont devenus fréquents désormais. Beaucoup de livres ont été publiés à ce sujet et je ne voulais pas raconter une énième fois l’attentat. J’ai voulu centrer ce texte sur ce que j’ai vécu à l’intérieur, sur mon combat pour marcher, pour vivre, pour aimer, pour avoir des projets. A l’hôpital, j’ai découvert un monde que je ne connaissais pas, celui des malades, des amputés. Et j’avais envie de transmettre ça, je me suis dit que j’avais peut-être un rôle à jouer pour aider les victimes qui passent par là. Je voulais écrire sur la résilience.

On ressent en vous lisant une certaine colère à l’égard des responsables politiques belges… Que leur reprochez-vous ?

J’ai grandi à Bruxelles, ça fait plus de trois décennies qu’on sait ce qui se passe à Molenbeek. L’ancien maire a fait de cette commune ce qu’elle est, il y a eu un laisser-faire à tous les niveaux. Après ces attentats, on n’a pas tiré les leçons de ce qu’il s’est passé. Comment des jeunes nés ici ont pu semer la mort dans la ville où ils ont grandi ? Pire, il y a eu un déni, une indifférence totale. Nous avons été, nous les victimes, abandonnées par les autorités et rien n’a été mis en œuvre pour nous accompagner.

En France, les associations de victimes des attentats se sont particulièrement battues pour la reconnaissance de leurs droits et pour une meilleure prise en charge par l’État. Qu’en est-il en Belgique ?

Au départ, cela a été très difficile de monter une association. On a pu se retrouver grâce aux réseaux sociaux. Les autorités ne voulaient pas nous transmettre les coordonnées des uns et des autres mais on a réussi à se retrouver. On a lancé « V-Europe » et on travaille avec l’association française « 13onze15 : Fraternité et Vérité ». En matière de prise en charge, c’est le néant en Belgique. On est encore au stade embryonnaire. On nous a donné un statut de victime de guerre mais derrière il n’y a rien !

Tout au long du livre, vous faites part de vos questionnements, notamment sur la possibilité pour les citoyens belges de confession juive comme vous, de vivre sereinement en Belgique. Est-ce encore le cas ?

J’ai le même sentiment. Quelles que soit les communautés - musulmane, juive, turque - les attentats ont provoqué un repli sur soi. Oui, il y a un antisémitisme assez virulent et présent en Belgique. Ça ne m’inspire pas confiance pour l’avenir, c’est ça qui est franchement déroutant. On n’est pas obligé de s’aimer, on a tous le droit de pratiquer sa religion, mais on n’a pas le droit d’attaquer l’autre. On importe en Europe des conflits qui ont lieu à des milliers de kilomètres et il y a encore ici un problème avec l’islam radical. Cette minorité-là, qui fait du mal à l’immense majorité des musulmans qui vit sa religion en paix, l’Europe ne la muselle pas.

Votre ouvrage se termine sur une inquiétude, une certaine fatalité. Vous écrivez : « Sur la terrasse de Hassan, je m’interroge sur ma Belgique, je me sens paumé, j’ai mal de ne plus me sentir un citoyen de ce pays qui m’a donné la vie ». Pourquoi ? Est-ce que ce regard a changé depuis ?

Quel citoyen est-on encore après cette épreuve ? L’État a le devoir de protéger ses citoyens, il ne l’a pas fait, le minimum c’est de les soulager. Aucun membre du gouvernement n’est venu nous voir après les attaques. Des victimes, que ce soit à Paris ou ici, m’ont dit « j’ai envie de couper avec la France, avec la Belgique, j’ai envie de partir mais je ne sais pas où ». Il y a eu de la part des autorités du pays un manque d’empathie, de considération.

J’ai vu la mort en face. Une vie après l’attentat. (Ed. du Rocher).

Sujets liés