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Pourquoi le CRIF s’est opposé à la venue de Mélenchon à l’hommage à Mireille Knoll

Le refus de l’instance de la communauté juive en France de voir des membres de La France insoumise à la marche blanche a fait débat.

Le Monde

Publié le 28 mars 2018 à 14h11, modifié le 29 mars 2018 à 13h07

Temps de Lecture 5 min.

Les députés de La France insoumise Clémentine Autain, Alexis Corbière, Jean-Luc Mélenchon, Eric Coquerel et Danièle Obono, mercredi 28 mars aux Invalides, lors de l’hommage au colonel Beltrame.

Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ne sont pas restés longtemps, mercredi, en fin de journée, à la marche blanche organisée à Paris en hommage à Mireille Knoll, octogénaire de confession juive assassinée dans son appartement parisien le 23 mars. Ils ont été exfiltrés par les forces de l’ordre peu après leur arrivée, sous les huées.

Le Front national et La France insoumise n’étaient pas « les bienvenus », avait fait savoir, la veille, Francis Kalifat, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), vitrine politique de la communauté. Cette position du CRIF, qui traite sur un pied d’égalité les deux formations politiques dont l’histoire politique est pourtant radicalement opposée, a provoqué le débat, alors que cette marche devait permettre « l’expression de la compassion de tous les Français ».

Qu’est-ce que le CRIF ?

Le CRIF a été créé dans la clandestinité en 1943, en plein génocide des juifs. Sa mission initiale était d’organiser de manière unifiée le sauvetage de juifs persécutés. Depuis, l’instance se définit comme la « voix officielle et politique » de la communauté juive en France. Elle a pour buts la lutte contre l’antisémitisme et le racisme, la solidarité avec l’Etat d’Israël et la mémoire de la Shoah et fédère 72 associations religieuses, éducatives, sociales ou politiques. En 2016, Francis Kalifat est devenu son douzième président, après un second mandat de trois ans de Roger Cukierman.

Est-ce la première fois qu’il désigne des persona non grata ?

Depuis toujours, le CRIF prend ses distances avec le Front national, considéré comme un « parti à éviter ». L’instance accuse le parti de « véhiculer la haine de l’autre, le rejet de l’étranger » et de rassembler « tous les antisémites notoires ». Le fondateur du FN, Jean-Marie Le Pen, a d’ailleurs été condamné à plusieurs reprises pour contestation de crime contre l’humanité – et mardi 27 mars de manière définitive pour ses propos sur les chambres à gaz.

Mais le CRIF qualifie également d’« infréquentable » le parti de La France insoumise (LFI), ainsi que son candidat à la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon. « Je renvoie dos à dos Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon car ils véhiculent tous les deux la haine », avait expliqué Francis Kalifat en 2017 pour justifier de n’avoir pas invité le leader de gauche au traditionnel dîner républicain donné chaque année par le CRIF.

Les écologistes sont également dans son viseur, à cause de leur position sur Israël. En 2012, avant la présidentielle, il n’avait pas invité la candidate d’Europe Ecologie-Les Verts, Eva Joly et, en 2017, le candidat écologiste Yannick Jadot n’avait pas non plus été convié.

Que reproche le CRIF aux « insoumis » ?

Le président du CRIF a justifié son refus de voir M. Mélenchon participer au rassemblement par le fait que les antisémites étaient « surreprésentés » à l’extrême gauche et à l’extrême droite. Francis Kalifat a également relevé une « contradiction » entre la présence du député des Bouches-du-Rhône à la marche blanche et son soutien au « boycott d’Israël ». Le mouvement international Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS) contre l’Etat hébreu, est soutenu notamment par le Parti de gauche lancé par Jean-Luc Mélenchon en 2008. Si Francis Kalifat « ne [met] pas en doute l’empathie de M. Mélenchon à l’égard du drame vécu par Mme Knoll (…), il faut une cohérence de discours et d’action ».

En novembre 2017, sept députés du PCF et de La France insoumise s’étaient vu interdire l’accès au territoire israélien, au motif notamment qu’ils soutenaient le BDS, créé en 2005 par des militants propalestiniens pour dénoncer l’occupation israélienne en Cisjordanie.

« Refuser de marcher à leurs côtés est en cohérence avec notre lutte, c’est une position ancienne, explique au Monde son président. L’antisémitisme est protéiforme : il y a l’antisémitisme traditionnel de l’extrême droite, l’antisémitisme arabo-musulman et l’antisémitisme d’extrême gauche, qui se caractérise par une véritable obsession anti-israélienne. »

Selon le président du consistoire, Joël Mergui, « l’antisionisme est la forme réinventée de l’antisémitisme ». « On ne va pas nous obliger à apprécier la présence de gens qui ne nous aiment pas et ne nous ont jamais soutenus », poursuit-il. « C’est trop facile de se donner bonne conscience en se joignant à un deuil », conclut-il, tout en regrettant que « cette polémique ait pollué cette journée ».

Pourquoi cela fait-il polémique cette fois ?

La marche blanche de mercredi est un hommage à la mémoire de Mireille Knoll, une femme dont l’histoire personnelle est liée à l’histoire des juifs de France, notamment parce qu’elle a échappé à la rafle du Vél’d’Hiv en 1942. Daniel Knoll, le fils de l’octogénaire, a fustigé la position de Francis Kalifat sur RMC mercredi matin :

« Le CRIF fait de la politique, moi j’ouvre mon cœur. A tout le monde, à tous ceux qui ont une mère. Tous les gens sont concernés. (…) Les gens qui ont une mère peuvent me comprendre, or tout le monde a une mère, il n’y a pas de limite, je suis contre les limites. »

Une position partagée notamment par plusieurs personnalités politiques, au sein du gouvernement ou dans l’opposition. « Il y a des moments d’unité où peut-être il faut pouvoir dépasser cela », a ainsi déclaré la ministre de la justice, Nicole Belloubet, mercredi sur RMC. « Chacun est libre de se rendre à une manifestation », a affirmé sur Radio Classique le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, qui a précisé ne pas partager la position du CRIF.

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Même ligne de conduite pour le socialiste Jérôme Guedj : comme il l’a affirmé sur Twitter en s’adressant à Francis Kalifat, « dans ce moment nécessaire de concorde et, après avoir si souvent déploré la solitude des Français juifs face à l’antisémitisme, c’est une erreur de vouloir cadenasser et décerner des brevets de lutte contre l’antisémitisme ».

De son côté, l’eurodéputée Les Républicains Rachida Dati s’est dite mercredi sur BFM-TV « choquée » par l’attitude de l’instance juive, estimant que « cette marche n’appartient pas au CRIF ». Seul le maire (Les Républicains) de Nice, Christian Estrosi, a défendu le CRIF mercredi sur France 2, en estimant qu’« il faut respecter ceux qui constituent l’autorité et qui attendent aujourd’hui qu’il y ait surtout le calme et qu’il n’y ait aucune récupération politique ».

Comment réagissent Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise ?

Après avoir été écarté du dîner du CRIF en février, Jean-Luc Mélenchon avait qualifié la position du CRIF de « faute morale et politique ». En décembre 2017, le candidat de La France insoumise avait déjà déploré au micro d’Europe 1 que l’instance soit représentative « d’institutions qui n’existent pas » :

« C’est une association communautaire qui en plus manie un rayon paralysant. Dès que vous dites quelque chose qui ne leur plaît pas, pouf ! vous voilà repeint en antisémite. »

Mercredi matin, l’entourage de M. Mélenchon avait fait savoir à l’AFP que le chef de file de LFI se rendrait quand même à l’hommage.

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