Création d'Israël, des débuts entremêlant privations et liesse populaire (REPORTAGE)
- Publié le 18-04-2018 à 13h00
Après septante ans d’existence, Israël peut se targuer d’être à la pointe dans des domaines aussi divers que la haute technologie ou la gastronomie. Le savoir-faire de la "start-up nation" s’exporte à l’étranger, tandis que l’Etat hébreu affirme représenter la seule démocratie du Proche-Orient, malgré l’occupation israélienne en Cisjordanie.
Le libéralisme actuel occulte le régime d’austérité ("tzena", en hébreu) qui a prévalu pendant la décennie qui a suivi la déclaration d’indépendance du 14 mai 1948. Une période marquée par l’afflux de centaines de milliers de réfugiés juifs, d’Europe puis des pays arabes, par les restrictions et par la guerre. Entre 1948 et 1951, la population israélienne a doublé, avec l’afflux de 700 000 migrants.
Le gouvernement israélien instaura des mesures pour contrôler la distribution des biens nécessaires, en rations équitables, pour tous les citoyens. Sans compter qu’au lendemain du 14 mai 1948 s’amorça la deuxième phase de la guerre d’indépendance, avec l’invasion militaire du territoire israélien par les pays arabes voisins, et qui se terminera en mars 1949.
Un départ précipité
Née à Jérusalem en 1943, Hagit Rothenberg garde des images signifiantes de cette période troublée : son grand-père qui, faute de mieux, vendait de la margarine dans la rue en centre-ville, ou encore les tartines de pain frottées à l’ail qu’on lui préparait, en guise de casse-croûte. Puis, leur départ précipité en bus, "la veille du siège de Jérusalem" (de mars à juin 1948, la route d’approvisionnement entre Tel Aviv et Jérusalem ayant été bloquée par les armées arabes) afin de se réfugier dans un kibboutz pendant quelque temps.
Né la même année, son mari Avner grandit d’abord à Haïfa, au nord de Tel Aviv. Originaires de Roumanie, ses parents s’y étaient installés dans les années 1930 fuyant la montée du nazisme en Europe. Après 1945, "nous partagions notre petit appartement de deux pièces avec une famille tout juste arrivée", se souvient-il. Le flux d’arrivants était tel que les Juifs déjà sur place devaient ouvrir leurs maisons à ceux fraîchement débarqués. Ses parents déménagèrent pour Jérusalem en 1949.
Une période de survie
"Les débuts ont été très durs, c’était de la survie. Nous recevions des tickets de rationnement pour nous approvisionner. Le parti travailliste dirigeait le pays, il n’y avait aucune opposition possible: la priorité était la défense et la construction du pays", raconte Elie Mizrachi, né en 1951 à Nachlaot, quartier hors Vieille Ville réservé aux communautés juives kurdes arrivées dès les années 1910 à Jérusalem. "Mais paradoxalement, personne ne se plaignait. Les gens étaient même joyeux", ajoute-t-il. Hagit Rothenberg confirme qu’une atmosphère de liesse populaire régnait alors, en particulier pour Yom Ha’Atzmaout ("Journée d’indépendance", célébrant la déclaration du 14 mai 1948), lorsque "les gens chantaient et dansaient de joie dans les rues".
Comme toute une génération née des rescapés des camps nazis d’extermination pendant la Seconde Guerre mondiale, Hagit Rothenberg associe le jour de commémoration de la Shoah en Israël (Yom HaShoah) à celui de l’indépendance, distant d’une semaine. Elle considère, en effet, la fondation d’Israël comme une des conséquences du génocide des Juifs d’Europe. "Les deux sont liés, notre génération le ressent encore, mais plus les jeunes d’aujourd’hui", regrette-t-elle.
D’ailleurs, elle reconnaît avoir peu parlé à leurs enfants, et à leurs petits-enfants, des débuts de l’Etat hébreu, une époque qui paraît à ces derniers presque légendaire. "La fondation d’Israël est basée sur un traumatisme, on n’a pas besoin de tout raconter", justifie Avner Rothenberg. Parmi leurs trois enfants, l’un habite avec sa femme norvégienne aux Pays-Bas, alors que les deux autres sont à Tel Aviv. Père de quatre enfants vivant en Israël, Elie Mizrari évoque aussi "l’ingratitude de la jeune génération" qui ne se rend plus compte de "ce par quoi nous sommes passés". S’il se dit "très fier" du chemin parcouru par l’Etat hébreu "en si peu de temps", il éprouve aussi "une certaine tristesse", constatant qu’Israël n’est "toujours pas parvenu" à la paix avec son voisin palestinien.