Mais pourquoi certains croyants ne serrent-ils pas la main d’une femme?
- Publié le 19-04-2018 à 06h35
- Mis à jour le 19-04-2018 à 11h17
Pour une minorité de musulmans ou de juifs orthodoxes, il s’agit d’une prudence appliquée à soi-même pour éviter de mauvaises tentations.En mai 2012, le geste avait vivement choqué la ministre de la Santé d’alors, la socialiste Laurette Onkelinx. Puisqu’elle était une femme, son homologue israélien Yaakov Litzman avait refusé de lui serrer la main.
Cette semaine, le rappel de la volonté du juif orthodoxe Aron Berger de ne pas serrer les mains des femmes a relancé les interrogations. Pourquoi certains juifs, à l’instar de certains musulmans, refusent-ils de tels contacts ?
Un corpus de règles très strictes
On peut y lire, en suivant les propos d’Aron Berger, une marque de l’exclusivité que l’homme accorde à son épouse. Ne pas serrer la main d’une femme est d’abord un signe d’attachement et de respect envers celle-ci, a fait comprendre l’Anversois.
Albert Guigui, le Grand rabbin de Bruxelles, va plus loin dans l’explication. "Ne pas serrer la main d’une femme n’est pas une pratique générale dans le judaïsme, rappelle-t-il. Il s’agit d’une pratique d’une petite communauté très exigeante qui se fixe un corpus de règles bien plus nombreuses que dans le judaïsme traditionnel. Ils seront davantage vigilants avec la nourriture, ou n’auront pas de télévision chez eux par exemple. Dans le cas du serrage de main, observons que c’est une pratique réciproque et qu’il ne s’agit ni d’une discrimination de l’homme par rapport à la femme, ni de la femme par rapport à l’homme. De plus, notons que ces hommes serrent les mains de leur épouse, leur sœur, leur fille ou leur mère. Ce n’est donc pas la femme en tant que telle qui est considérée comme impure ou inférieure. En fait, ces juifs orthodoxes sont des personnes qui ont peur qu’une relation avec une femme puisse susciter des sentiments ou des pensées dangereuses. Ils souhaitent se protéger de certains sentiments ou de pensées impures. C’est donc davantage une prudence par rapport à eux-mêmes que par rapport à la femme. En conclusion, cette règle du serrage de main s’inscrit dans un cadre plus large de règles très strictes qui permettent, pour ces juifs, d’éviter les tentations."
Si dans des synagogues, les hommes et les femmes sont séparés, cela relève de la même prudence, fait encore comprendre Albert Guigui.
Des coutumes à relativiser
Dans l’islam, certains religieux rigoristes s’appuient sur quelques hadiths (les paroles et les actes prêtés à Mahomet) pour interdire ou déconseiller les hommes de serrer les mains des femmes. Au vu de la variété des pratiques dans l’islam, il est difficile de résumer les intentions de ces croyants, même si, globalement, il s’agit aussi d’éviter toute tentation.
Bien que la jurisprudence dans l’islam soit souvent empreinte de suspicion à l’égard de la femme, l’islam traditionnel, ou du moins le plus pratiqué, rappelle que de telles pratiques sont à relativiser en fonction des contextes et, surtout, comme dans le judaïsme, à ordonner au respect dû à chaque personne. De son côté, le Coran définit d’un point de vue métaphysique "une claire égalité spirituelle, intellectuelle et morale entre l’homme et la femme", rappelle l’imam de Bordeaux Tareq Oubrou dans son ouvrage "Ce que vous ne savez pas sur l’islam".
"Mais en réalité, expliquait à son tour le rabbin Delphine Horvilleur dans ‘Le Figaro’ en septembre 2014, on peut faire dire ce que l’on veut aux textes. […] Le principal, c’est de savoir avec quelle intention on les lit. Le curseur ne peut être placé que par rapport à la responsabilité personnelle et à la question d’une lecture morale. Il faut se demander : ma lecture va-t-elle m’engager dans la vie ou être mortifère ? C’est la question clé des religions aujourd’hui."