Une forme étrange de soulagement domine, parmi les observateurs israéliens. Quatre morts, près de 120 blessés par balles : tel est le bilan de la nouvelle journée de la « marche du grand retour », à Gaza, vendredi 8 juin. Un bilan – on n’ose écrire le mot – mesuré, par rapport aux craintes exprimées par les hauts responsables militaires, les jours précédents. Parmi les blessés figure un photographe de l’Agence France-Presse, qui faisait son métier, à l’est de Jabaliya, en portant les signes distinctifs de la profession.
Selon l’armée, plus de 10 000 personnes – toujours qualifiées sans nuance d’« émeutiers » – se sont rassemblées le long de la clôture. Interrogé par Le Monde, Bassem Naïm, haut responsable du Hamas, estime quant à lui qu’il y aurait eu « au moins 70 000 manifestants ». « Mais on doit garder à l’esprit qu’on est en période de ramadan et d’examens au lycée », souligne-t-il.
Une façon de justifier une affluence moins élevée que ne l’avait escompté le comité national d’organisation. Le souvenir de la journée terrible du 14 mai, où une soixantaine de personnes avaient été tuées pendant que les dirigeants israéliens fêtaient le déménagement de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, était peut-être dans les esprits. Le bilan total s’élève à plus de 120 morts et 3 700 blessés par balles. L’absence de véritable perspective pour ce mouvement, au-delà des rendez-vous réguliers, a pu aussi décourager certains Gazaouis.
Arsenal rudimentaire
Le comité national avait prévu un grand rassemblement le 5 juin, mais il a finalement décidé de mobiliser la population un vendredi, après la prière de la mi-journée. D’autant que le 8 juin correspondait au jour de Jérusalem, qui sert chaque année de prétexte à l’Iran pour dénoncer la mainmise israélienne sur la Ville sainte. Au sein du comité, des divergences apparaissent au sujet de la suite. « Les marches vont continuer jusqu’à la levée du siège, assure Bassem Naïm. Les désaccords concernent leur intensité : chaque vendredi, ou pour des occasions spéciales ? On envisage notamment d’organiser, après la fête de l’Aïd el-Fitr [vers le 15 juin], une grande marche des femmes. »
Le dirigeant du Hamas assure que toutes les factions souhaitent éviter une escalade militaire contre Israël, et s’opposent donc à des tirs de roquettes. Mais l’Etat hébreu s’irrite de plus en plus de l’arsenal rudimentaire des « émeutiers ». Selon l’armée, des dizaines de cerfs-volants et de ballons à l’extrémité en feu ou bien chargés d’explosifs ont été envoyés vendredi en direction des communautés israéliennes de l’autre côté de la frontière. Des volutes de fumée noire se dessinaient dans les champs très secs, en fin d’après-midi.
Le 4 juin, le ministre de la défense, Avigdor Lieberman, a expliqué que l’armée était parvenue à intercepter 400 cerfs-volants sur 600 lancés de la bande de Gaza, depuis le début de la marche. Mais derrière ces chiffres en apparence rassurants, les autorités font face à l’exaspération de la population. Au total, 18 kilomètres carrés de terres agricoles et de forêts ont été brûlés, pour un préjudice estimé à 1,4 million de dollars. L’armée a organisé des groupes de pilotes de petits drones, pour neutraliser et détruire ces objets volants de fortune.
Aucun Israélien blessé
Jeudi, l’armée a lâché des tracts au-dessus de Gaza, appelant les gens à « ne pas se laisser transformer en outil par le Hamas pour ses intérêts étroits. Derrière ses intérêts se dresse l’Iran chiite, dont le but est d’enflammer la région au nom de ses intérêts religieux et ethniques. » La veille, le 6 mai, aux côtés de son homologue Theresa May, Benyamin Nétanyahou a déclaré :
« Nous ne sommes pas en présence de manifestations pacifiques. En plus de nos champs incendiés, ces gens sont payés et poussés par le Hamas pour enfoncer les défenses d’Israël, tuer autant d’Israéliens que possible, juste à côté de notre frontière, et kidnapper nos soldats. »
Depuis le 30 mars, aucun soldat israélien n’a été blessé au cours des manifestations de la marche, pas plus que le moindre civil.
Au cours d’une rencontre avec les correspondants étrangers, le 4 juin, Yoav Galant, ministre du logement et de la construction, a dénoncé toute analyse « en fonction du nombre de victimes ». « Au cours de la seconde guerre mondiale, 7,5 millions d’Allemands furent tués et seulement 500 000 Britanniques, a souligné ce membre du cabinet de sécurité et ancien chef du commandement Sud – incluant Gaza. Alors, qui était l’agresseur, qui avait raison ou tort, les Allemands ou les Britanniques ? »
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu