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Le lac de Tibériade, laboratoire de dessalement de l'eau de mer

Un employé des autorités israéliennes mesure le niveau d'eau du lac de Tibériade.

Le niveau du lac de Tibériade est une source de préoccupation depuis longtemps.

Photo : Getty Images / David Silverman

Radio-Canada

La principale réserve d'eau potable en Israël, le lac de Tibériade, est en péril après quatre années de sécheresse sévère causée par des hivers arides. Comment réussir à remonter son niveau? En l'alimentant avec de l'eau dessalée, une solution radicale de plus en plus prisée pour faire face à la pénurie d'or bleu sur la planète.

Un texte d'Étienne Leblanc

C'est le monde à l'envers. De l'eau de mer dont on aura retiré le sel sera acheminée par une rivière dans un lac à l'intérieur des terres, ce qui est précisément l'inverse du cours normal de la nature.

C'est une première digne de mention : 100 millions de mètres cubes d'eau dessalée seront acheminés chaque année dans le lac de Tibériade, principale source d'eau potable d'Israël.

Situé à 200 mètres au-dessous du niveau de la mer, ce grand lac de 160 kilomètres carrés fournissait aux riverains plus de 400 millions de mètres cubes d'eau par année il y a 10 ans. Mais une sécheresse prolongée a réduit le niveau du lac à un point tel qu'aujourd'hui, on limite le pompage à 30 ou 40 millions de mètres cubes par année. Dix fois moins!

Sur cette planète dite « bleue », un habitant sur trois souffre d'un manque d'accès à l'eau potable. Et si la tendance se maintient, ce sera une personne sur deux en 2025.

L'eau a beau couvrir les trois quarts de la Terre, 97 % de celle-ci est salée.

Ce qui laisse 3 % d'eau douce, qui est très inégalement répartie sur l'ensemble de la planète et qui se retrouve en majorité sous forme de glace.

D'où l'idée de se donner les moyens de transformer les immenses ressources d'eau salée en eau potable. Une solution qui ne date pas d'hier, mais qui revient avec force dans le contexte des changements climatiques.

Vue en contreplongée de la bouteille pleine d'eau et de la silhouette de l'homme sur fond de ciel bleu.

Un homme remplit sa bouteille d'eau lors d'une période de sécheresse au Cap, en Afrique du Sud.

Photo : Getty Images / AFP / Rodger Bosch

Croissance phénoménale

Aujourd'hui, près d'une personne sur deux sur la planète vit près des côtes. Face à la croissance des pénuries d'eau, le dessalement de l'eau de mer devient donc une solution logique. L'intérêt à son égard croît très rapidement sur tous les continents.

Il y a actuellement près de 20 000 usines de dessalement sur la planète, et leur nombre explose. Entre 2010 et 2015, les volumes d'eau dessalée sur la planète ont augmenté de 57 %.

Les Nations unies s'attendent à ce qu'il y ait une croissance d'environ 15 % par année au cours de la prochaine décennie, comme cela a été le cas entre 2016 et 2017 (+14 %).

Sans surprise, c'est la région du Moyen-Orient qui est la championne du dessalement dans le monde. Près de la moitié des usines s'y trouvent.

En Israël, où cinq usines de dessalement sont en activité, dont la plus grande du monde, plus de la moitié de l'eau potable consommée est désormais générée par cette méthode.

Une vieille idée… énergivore

« Le dessalement est une technique qui, dans ses principes, n'est pas nouvelle, elle date de plusieurs siècles », dit Frédéric Lasserre, professeur de géographie à l'Université Laval et spécialiste de la géopolitique de la gestion de l'eau.

Les premières traces de dessalement de l'eau remontent aux pêcheurs grecs, dont les exploits de désalinisation de l'eau de mer par évaporation ont été racontés par Aristote.

Le premier brevet pour cette technique a été accordé en 1869 au Royaume-Uni. Mais ce n'est que depuis une trentaine d'années que le dessalement devient une option viable pour pallier les pénuries d'eau.

Le vieux principe, très simple, est encore largement utilisé aujourd'hui un peu partout sur la planète : le dessalement par évaporation thermique.

En chauffant l'eau salée à haute température, la vapeur produite ne contient pas de sel. Elle est donc récupérée et condensée.

Le liquide qui en résulte est de l'eau qui, une fois traitée, est potable. Cette technique comporte un grand désavantage : elle requiert beaucoup d'énergie.

« Pour porter d'importants volumes d'eau à ébullition, puis refroidir la vapeur d'eau et ensuite recueillir les volumes ainsi produits, il faut créer beaucoup de chaleur, ce qui demande beaucoup d'énergie », dit Frédéric Lasserre.

Dans de nombreux pays, cela se traduit par une utilisation accrue des énergies fossiles pour faire fonctionner les usines.

« C'est une pression supplémentaire sur les changements climatiques, qui mettent justement à risque les ressources en eau », dit M. Lasserre.

Le dessalement par osmose inversée, la nouvelle norme

Pour pallier cette forte consommation d'énergie, le dessalement se fait de plus en plus par la technique de l'osmose inversée. On fait passer l'eau de mer par des filtres aux mailles ultrafines en y exerçant une forte pression.

Les ions de sel dissous sont ainsi séparés de l'eau, qui devient potable. Cette technologie est née il y a une quarantaine d'années, mais s'est grandement raffinée au fil des dernières années.

« Mis à part les pays du golfe Persique, la plupart des pays qui préconisent le dessalement tendent à construire des usines basées sur la technique de l'osmose inversée », dit M. Lasserre.

De fait, les coûts de cette technologie ont été réduits par quatre au cours des dernières années. Ainsi, il en coûte aujourd'hui environ 1 $ par mètre cube d'eau produite par osmose inversée, en comparaison à 4 $ par mètre cube il y a 15 ans.

Les effets sur l'environnement

Bien que la technologie de l'osmose inversée a grandement réduit la consommation d'énergie nécessaire au retrait des ions de sel, le dessalement n'est pas sans effet sur l'environnement.

Si d'un côté du filtre en sort de l'eau potable, de l'autre en résulte un résidu d'eau saumâtre avec une concentration en sel extrêmement importante. Cette substance est rejetée dans l'océan au moyen de longs tuyaux.

« Le problème, c'est que cette substance est toxique pour l'écosystème marin si elle est rejetée en quantité trop concentrée », dit Frédéric Lasserre.

En principe, les usines de dessalement doivent rejeter les résidus le plus loin possible des côtes et à de grandes profondeurs afin que la saumure soit la plus diluée possible.

« Le problème, c'est qu'on se demande si c'est toujours fait dans les règles, et ça pose un problème. Ça peut affecter les écosystèmes en faible profondeur qui sont les plus productifs au point de vue environnemental », ajoute M. Lasserre.

À ces rejets de substances extrêmement concentrées en sel s'ajoutent des produits chimiques qui sont utilisés pour éviter la corrosion des pièces. Des métaux lourds qui sont donc déversés dans la mer avec les résidus.

L'usine de dessalement de Pembroke

L'usine de dessalement de Pembroke

Photo : Radio-Canada / Jean-François Bélanger

Une solution durable?

Pour des raisons de pénurie d'eau évidentes, c'est au Moyen-Orient qu'on retrouve le plus grand nombre d'usines de dessalement. À titre d'exemple, 60 % de l'eau potable d'Israël provient de ce procédé.

La tendance se répand partout dans le monde, dans des pays qui ne font pas face à une pénurie à proprement parler, mais qui profitent de cette technologie pour ajouter des capacités d'eau potable. On pense ici à l'Espagne, à l'Italie, à la Grèce, à la Chine et aux États-Unis. La Californie et la Floride investissent actuellement des centaines de millions de dollars dans la construction de nouvelles usines de dessalement.

C'est la même chose dans les îles des Caraïbes, qui vivent essentiellement du tourisme et dont les ressources en eau potable sont limitées.

Est-ce une solution durable pour pallier la pénurie d'eau potable sur la planète?

« Oui, pour les pays qui manquent d'eau et qui ont les moyens de se payer cette technologie, répond Frédéric Lasserre. Mais il faudra des règles plus strictes pour la protection de l'environnement. »

Cette annonce du projet concernant le lac de Tibériade l'a d'ailleurs fait sourciller : « Si ce lac se vide, c'est en partie parce qu'il n'y a pas assez de restrictions dans la consommation. Les gens consomment trop d'eau. »

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