Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

La controverse reprend en Israël sur la loi mémorielle polonaise concernant la Shoah

En échange de la réécriture du texte, Benyamin Nétanyahou a accepté de valider l’argumentaire orienté et contesté de la droite ultraconservatrice polonaise

Par  (Jérusalem, correspondant) et  (Varsovie, correspondance)

Publié le 06 juillet 2018 à 00h44, modifié le 06 juillet 2018 à 09h13

Temps de Lecture 4 min.

Le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou à Jérusalem, le 24 juin.

La prise de conscience a réclamé quelques jours, mais elle a fini par faire du bruit. Le compromis annoncé le 27 juin entre les gouvernements israélien et polonais au sujet de la loi sur la Shoah, qui avait été adoptée par le Parlement à Varsovie le 26 janvier, ressemblait à un succès diplomatique de l’Etat hébreu.

Après de longs échanges avec le gouvernement de Mateusz Morawiecki, ce dernier avait accepté de soutenir une révision du texte. La loi mémorielle controversée prévoyait jusqu’à trois ans de prison pour « l’attribution à la nation ou à l’Etat polonais, en dépit des faits, de crimes contre l’humanité » dans le contexte de la seconde guerre mondiale. C’est ce volet pénal qui a été abandonné.

Priorité au présent

Les autorités polonaises, au lieu de reconnaître leur recul, ont décidé de largement médiatiser la déclaration commune avec Israël, qui, à l’origine, n’existait qu’en anglais. A l’initiative exclusive de Varsovie, des pages entières ont été achetées dans de grands quotidiens européens, en quatre langues, et enfin en hébreu. « Les Polonais sont victimes d’un hubris énorme », peste un diplomate israélien.

Mais le cœur de la polémique est ailleurs. En échange de la réécriture de la loi, Benyamin Nétanyahou a accepté de valider l’argumentaire orienté et contesté de la droite ultraconservatrice polonaise.

Le premier ministre israélien a accordé la priorité au présent, aux intérêts immédiats d’Israël plutôt que de tendre la relation bilatérale. Et ces intérêts passent, selon lui, par le groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque et Slovaquie).

M. Nétanyahou – qui doit accueillir le premier ministre hongrois, Viktor Orban, le 19 juillet à Jérusalem – considère ces pays, à divers titres, comme des chevaux de Troie au sein de l’Union européenne (UE). Celle-ci campe sur la dénonciation de la colonisation en Cisjordanie et le soutien à une « solution à deux Etats » avec les Palestiniens. Or, M. Nétanyahou joue sur ses bonnes relations avec les pays du groupe de Visegrad pour geler toute initiative de l’UE qui serait hostile à Israël. Il espère aussi que ces Etats membres suivront l’exemple américain, un jour, et transféreront leur ambassade à Jérusalem.

Contre la déclaration commune, un rare consensus

Mais la publication de la déclaration commune en Israël a ranimé un débat vif. Jeudi 5 juillet, Benyamin Nétanyahou s’est trouvé pris entre deux feux hostiles : celui de l’Institut international pour la mémoire de la Shoah, Yad Vashem, et celui de la droite messianique. Dans un rare consensus, ils ont dénoncé le « blanchiment de l’Histoire » orchestré par la droite polonaise, avec la complicité du chef du gouvernement israélien, sans toutefois le nommer.

Sur Twitter, le ministre de l’éducation, Naftali Bennett, chef de file du Foyer juif, parti ultranationaliste et sioniste religieux, a qualifié la déclaration commune de « honte saturée de mensonges, qui trahit la mémoire des victimes de l’Holocauste ».

Le mot « trahison » a également été employé par l’un des historiens les plus reconnus de la période, Yehuda Bauer. « Je ne sais pas ce qui s’est produit ici, écrit-il dans le quotidien Haaretz. De l’ignorance, de la stupidité ou la victoire clairement amorale d’intérêts passagers qui resteront pour nous une honte éternelle. » Dans un long et sévère communiqué, Yad Vashem a démonté les petits arrangements avec l’Histoire au cœur de cet accord, qui contient « des erreurs graves et des tromperies ».

L’argumentaire est révélateur du conflit mémoriel entre une écrasante majorité de la communauté des historiens et la narration, aux accents nationalistes, promue par une large frange de la droite polonaise. Elle concerne le rôle des populations civiles pendant l’occupation allemande du pays, leur participation à des pogroms, ou les positions du gouvernement polonais en exil.

Le Monde Application
La Matinale du Monde
Chaque matin, retrouvez notre sélection de 20 articles à ne pas manquer
Télécharger l’application

Le jour de la signature de la déclaration commune, le premier ministre polonais, M. Morawiecki, avait ainsi dénoncé la « pédagogie de la honte » promue par ses prédécesseurs libéraux et par certains historiens polonais. « Nous voulons que le point de vue polonais soit perçu par un prisme positif. Et je crois profondément que ce sera le cas grâce à cette déclaration, par laquelle nous défendons l’honneur de nos ancêtres, (…) ainsi que l’héroïsme des Polonais dans le sauvetage de leurs concitoyens juifs », avait-il déclaré.

« Manœuvre cynique »

Cette réécriture fausse des responsabilités est inacceptable pour les spécialistes de Yad Vashem. « La tentative d’amplification de l’aide qui avait été accordée aux juifs, sa description comme un phénomène répandu et le fait de minimiser le rôle des Polonais dans les persécutions des juifs constituent une insulte à la vérité historique, mais aussi à la mémoire de l’héroïsme des Justes parmi les nations », est-il écrit.

En tout, 6620 Polonais sont considérés comme des Justes par Yad Vashem, qui rappelle cependant que l’aide offerte par des Polonais aux juifs était « relativement rare ». Yad Vashem met en cause la dissolution de l’identité des coupables nationaux, qui ont aidé les nazis dans leur entreprise de destruction. « Ils étaient polonais et catholiques, et ils ont collaboré avec l’occupant allemand, qu’ils détestaient, pour persécuter les citoyens juifs de Pologne. »

Yad Vashem rappelle une nouvelle fois le non-sens que représente l’expression « camp de la mort polonais », dont l’usage a motivé la démarche législative initiée par le parti Droit et justice (PiS) de Jaroslaw Kaczynski. Mais il estime que qualifier son emploi d’« antipolonisme » est « fondamentalement anachronique » et ne devrait jamais être placé sur le même plan que l’antisémitisme.

Pour l’historien Jan Grabowski, un des plus éminents spécialistes polonais de l’histoire de la Shoah, cité par le quotidien Gazeta Wyborcza, « la déclaration de Yad Vashem met en lumière la manœuvre cynique des politiques polonais et israéliens, dont l’objectif était de donner au pouvoir nationaliste polonais un “certificat de respectabilité” et l’ouverture des salons diplomatiques, dont ils ont été exclus après l’adoption de la scandaleuse loi mémorielle. »

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.