Israël aide les réfugiés syriens, mais refuse de les accueillir
La reconquête du Sud de la Syrie par le régime de Bachar Al-Assad progresse. Pour Israël, les enjeux sont humanitaires autant que sécuritaires.
- Publié le 09-07-2018 à 11h58

La reconquête du Sud de la Syrie par le régime de Bachar Al-Assad progresse. Pour Israël, les enjeux sont humanitaires autant que sécuritaires.Même au mois de juillet, le vent souffle fort sur les hauteurs du plateau du Golan. Sur le versant occupé par Israël, près de la base militaire de Tel Hazaka, de violentes bourrasques soulèvent des nuages de poussière et secouent les buissons résineux qui poussent sur cette terre aride. Le site est un poste d'observation parfait pour surveiller la clôture de démarcation entre Israël et la Syrie : au-delà, à moins d'un kilomètre en contrebas, les villages syriens de Beerajam et de Bariqa, situés dans la zone tampon démilitarisée, instaurée depuis l'accord de 1974 entre l'Etat hébreu et son voisin.
Il faut avoir l'œil pour y repérer au loin, parmi les arbres, les dizaines de tentes qui ont été montées à la hâte depuis un mois à peine. Petits points de couleur dans le paysage qui, avec le bruit sourd de probables bombardements à plusieurs dizaines de kilomètres plus à l'est, rappellent ce qui se joue actuellement dans le Sud de la Syrie.
Des centaines de milliers de civils déplacés
Lancée le 19 juin, l'offensive du régime du président syrien Bachar Al-Assad pour reprendre la région rebelle de Deraa, a provoqué le déplacement de centaines de milliers de civils syriens qui ont fui les zones de combat et les frappes aériennes de l'aviation russe, allié de Damas. Selon les Nations unies, ils étaient au moins 325 000 déplacés en fin de semaine, une grande partie d'entre eux s'étant installés près de la frontière avec la Jordanie ou de la ligne de démarcation sur le plateau du Golan, occupé en partie par Israël. Les deux Etats refusant d'ouvrir leurs frontières aux populations déplacées, la poursuite de l'offensive meurtrière par Damas, qui a déjà coûté la vie à plus de 150 civils, augurait une grave crise humanitaire.
Aussi, l'accord sur un cessez-le-feu conclu vendredi soir, entre le régime syrien et les rebelles du sud forcés à céder leurs territoires, sonnait comme la promesse d'un relatif retour au calme et un arrêt de l'afflux de civils, au moins du côté de la frontière avec la Jordanie. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), "plus de 60 000 déplacés sont rentrés chez eux", dans la province méridionale de Deraa, depuis vendredi soir. Dimanche, le coordinateur humanitaire de l'Onu en Jordanie, Anders Pedersen, assurait que seulement 150 à 200 personnes étaient encore à proximité immédiate de la frontière jordanienne, mais qu'il restait un "nombre élevé de déplacés à travers le Sud-Ouest".
Les civils réfugiés sur le versant syrien du Golan n'ont, en effet, encore aucun intérêt à repartir chez eux alors que l'offensive du régime devrait gagner l'ouest de la province. Déjà hier, l'OSDH indiquait que les raids meurtriers du régime syrien dans le Sud de la Syrie reprenaient.
Selon le lieutenant-colonel israélien Tomer Koller, officier médical de la division Bashan sur le Golan, 15 000 Syriens y seraient installés depuis le 19 juillet. C'est le cas de Mohamed Hariri, arrivé à Bariqa il y a une dizaine de jours, avec sa femme enceinte de huit mois et leur petit garçon, fuyant les combats dans la partie orientale de Deraa où ils habitaient. Il raconte au téléphone leur course d'un village à un autre, se cachant pour échapper aux raids aériens. Pour lui, "l'endroit le plus sûr" est "la frontière avec Israël", en zone démilitarisée, malgré la précarité des conditions de vie sur place. "J'ai vu comment le régime syrien nous traite, avec l'aide des milices iraniennes et du Hezbollah [libanais]. Il vaut mieux rester ici pour le moment", poursuit le jeune homme. Il se dit être "le premier à entrer en Israël si les frontières sont ouvertes" et réclame, le cas échéant, l'intervention de l'Etat hébreu "pour instaurer une protection internationale" destinée aux déplacés syriens du Sud.
Une aide humanitaire israélienne
Depuis le début de l'offensive du régime de Damas dans le Sud de la Syrie, l'armée israélienne a fourni une aide humanitaire sans précédent aux civils de l'autre côté de la clôture, en coordination avec plusieurs ONG : 300 tentes, 30 tonnes de nourriture, 15 tonnes de nourriture pour bébé, trois palettes d'équipement médical et de médicaments, ainsi que 30 tonnes de vêtements. Ce week-end, le Conseil régional du Golan avait également organisé une collecte de jouets et de matériel de première nécessité auprès des communautés israéliennes locales.
"Nous fournirons tout ce dont ils [les civils syriens déplacés] ont besoin. Notre objectif est qu'ils ne traversent pas la frontière", résume l'officier Koller. La ligne d'Israël est claire sur ce point : il n'accueillera pas de réfugiés syriens. "Nous continuerons à protéger nos frontières et n'autoriserons pas d'entrée sur notre territoire", déclarait à ce titre le Premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, le 1er juillet.
La forte attente des populations civiles syriennes vis-à-vis du voisin israélien s'explique par la campagne humanitaire déployée par l'Etat hébreu dans la région. Depuis cinq ans, l'armée israélienne fournit une aide matérielle et médicale aux résidents syriens installés près de la clôture, ainsi qu'un soutien militaire à des groupes rebelles affiliés à l'Armée syrienne libre.
Révélée au public en 2016, l'opération "Bon voisinage" représente bien davantage qu'une simple œuvre de bienfaisance. "L'armée israélienne n'est pas une ONG, nous avons nos propres intérêts", reconnaît Marco Moreno, ex-lieutenant colonel, à l'origine de l'opération. En répondant aux besoins concrets des populations locales, l'idée était aussi d'empêcher l'implantation de l'Iran et du Hezbollah, les grands ennemis d'Israël, ou de groupes djihadistes dans cette zone stratégique. Sans être décisif, le résultat est plutôt encourageant pour l'armée israélienne : "pas un seul tir depuis le sud de la Syrie vers Israël depuis le début de l'opération", note M. Moreno.
Soigner pour briser les tabous
Dès la fin 2012, des contacts ont été établis par l'armée israélienne avec des rebelles modérés puis des civils, notamment des médecins. Plusieurs centaines de millions d'euros ont ainsi été dépensés en médicaments, équipement de base et en nourriture. Sans compter, depuis mars 2013, le transfert discret de 5 000 civils, dont un certain nombre de rebelles, vers des hôpitaux en Israël pour y être soignés, avant de retourner en Syrie. "Le bouche-à-oreille marche très bien, et les gens savent qu'ils seront bien soignés en Israël", assure le Dr Eyal Sela au Centre médical de Nahariya en Galilée (Nord), l'un des trois hôpitaux qui prend en charge des patients syriens.
La démarche n'est pas complètement désintéressée : "On brise aussi des tabous. L'ennemi sioniste a été diabolisé par le régime syrien pendant des années. En se faisant soigner ici, l'opinion de ces Syriens sur Israël change", explique le Dr Sela. Théoriquement, l'Etat hébreu et la Syrie sont toujours en conflit, nonobstant l'armistice négocié après la guerre d'octobre 1973.
Israël se prépare
Malgré la neutralité affichée d'Israël dans le conflit syrien, la poursuite de l'offensive du régime sur la province de Deraa pourrait changer la donne. A la suite de l'accord de cessez-le-feu de vendredi soir, le régime devrait reprendre le contrôle quasi-total de la province, une fois l'accord intégralement appliqué. La reconquête devrait encore durer plusieurs semaines, et concerner notamment la reprise des zones rebelles sur le versant syrien du plateau du Golan dont Qouneitra, qui borde directement la ligne de démarcation avec Israël sur le plateau du Golan. "La prochaine étape de [Bachar] Al-Assad : le plateau du Golan", titrait d'ailleurs le quotidien israélien "Haaretz" dimanche.
Alors, Israël se prépare et multiplie les mises en garde. Au début du mois, il avait déjà renforcé ses unités de chars et d'artillerie déployées sur le Golan, pour faire face à d'éventuels débordements des combats dans cette zone. Dimanche matin, lors de sa réunion de cabinet hebdomadaire, M. Nétanyahou a demandé "à la Syrie et à l'armée syrienne le respect des accords de désengagements de 1974" sur la zone démilitarisée du Golan. Sans quoi, la réplique israélienne pourrait être cinglante.