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Le procès d’un des derniers nazis

Oskar Gröning durant son procès le 1er juillet 2015.

À 93 ans, Oskar Gröning a subi son procès pour avoir été le comptable d'un camp de concentration nazi. Il fait l'objet d'un documentaire présenté au Cinéma du Parc à Montréal.

Photo : AFP / Archives/Ronny Hartmann

CHRONIQUE – Combien en a-t-on vu, des fictions et des documentaires sur la Seconde Guerre mondiale, sur l'extermination de 6 millions de juifs pendant le conflit, à Auschwitz, à Treblinka, à Dachau, avec la solution finale, la Shoah? Des dizaines et des dizaines? Combien de docus historiques sur Hitler, sur les nazis, sur les SS? Netflix seulement nous en propose encore à la pelle. Combien sur les camps?

Il y a bien sûr eu Shoah, de Claude Lanzmann – disparu il y a quelques semaines –, un événement historique et cinématographique majeur sur le génocide. Il y a eu aussi plein de fictions : Le jugement de Nuremberg, Le pianiste, La rafle, Nuit et brouillard, Le journal d’Anne Frank, La liste de Schindler, etc.

Les plus grands réalisateurs y ont vu une mine inépuisable de drames devant être racontés. Et ça n’arrête pas. Les révélations continuent de tomber et les sujets, de se multiplier. Toujours. On a ainsi droit cette semaine encore au Cinéma du Parc et au Beaubien à un documentaire, The Accountant of Auschwitz (Le comptable d’Auschwitz), signé par le cinéaste torontois Matthew Shoychet.

Entre vous et moi, comme la véritable rentrée suit d’ordinaire la fête du Travail, je cherchais cette semaine un sujet inspirant pour ma chronique. J’ai pensé écrire sur l’exposition World Press Photo, sur un bouquin aussi.

Et puis, j’ai vu ce film.

Oskar Gröning était comptable dans le camp de concentration d’Auschwitz, où ont été exécutées plus de 1 million de personnes sous l’ordre des nazis. Gröning était aussi un SS. Tandis que les trains déversaient leurs victimes sur les quais, on faisait le tri, divisait les familles – envoyant les enfants d’un côté et les parents de l’autre –, on les dépossédait de leurs ultimes biens, et Gröning, lui, avait pour tâche de cataloguer et de recenser les possessions des juifs. Oskar Gröning – contrairement à bien des responsables de cette horreur –, malgré son âge avancé, mais en pleine santé, a été jugé apte à subir son procès.

Gröning n’a tué personne de ses mains, n’a guidé personne vers les chambres à gaz. Or, le film de Matthew Shoychet pose LA question, l’intéressante question. Plus de 300 000 juifs ont été exterminés pendant la présence de Gröning. Il était donc au courant de ce qui se passait à Auschwitz.

Oskar Gröning pouvait-il être jugé et condamné comme criminel de guerre alors que lui-même n’avait tué personne? Il ne pouvait ignorer ce qui s’y passait. Peut-on juger un individu pour des horreurs commises il y a plus de 70 ans? Punit-on alors le même homme?

Une citation de Franco Nuovo

Reposant sur une importante banque d’archives, ce documentaire fait le tour de la question et porte certaines accusations comme celles voulant qu’après la guerre, au moment des grands procès, le système légal allemand fût encore composé de sympathisants nazis, ce qui expliquerait le nombre important d’accusés relâchés. En 1945, on dénombrait 800 000 nazis, 100 000 seulement ont fait l'objet d'une enquête, et de ce nombre, 6200 ont été jugés et seulement 124, condamnés.

Shoychet s’appuie sur ces données pour nous mener tranquillement au procès de Gröning, âgé de 93 ans. Certains, à cause de l’âge de l’accusé, trouvent la démarche ridicule, d’autres, nécessaires. Jamais on n’aurait trouvé Gröning, qui a vécu peinard dans sa petite ville allemande pendant 70 ans, s’il n’avait accordé, dans les années 1980, une entrevue à la BBC au cours de laquelle, sans honte ni retenue, il avouait avoir fait partie pendant la guerre d’un groupe de personnes travaillant à un endroit où on éliminait les juifs.

Voyez la bande-annonce du documentaire (en anglais)

Selon lui, il ne méritait pas d’être jugé. Il ne les avait pas tués. Il faisait seulement partie d’une machine, disait-il. Il n’était qu’un rayon de la roue meurtrière, tout comme Hitler, qui n’avait jamais tué personne de ses mains.

Et quand la couronne lui a demandé ce qu’avaient fait ces gens enfermés et exécutés dans les camps, Gröning a répondu : « Les juifs étaient les ennemis de l’Allemagne et devaient être éliminés. » Des réponses naïves qui n’ont jamais laissé place à un « Je suis désolé », à un « Je m’excuse ».

Or, l’auteur du Comptable d’Auschwitz ne se contente pas de raconter. Il éditorialise, confronte les négationnistes et les révisionnistes. Il fait référence, en proposant des images, à la Syrie d’aujourd’hui, au Rwanda, au KKK. Il actualise.

Matthew Shoychet rappelle que sans histoire, il n’y a pas de mémoire et que sans mémoire, il n’y a pas de futur possible.

Une citation de Franco Nuovo

Il y a quelques mois, l’ancienne secrétaire d’État des États-Unis Madeleine Albright, dont une partie de la famille a péri dans les camps en Pologne, a publié Fascism: A Warning, dans lequel elle dresse un portrait de ce qu’a été le fascisme et de la façon pernicieuse dont il a pris toute la place dans certains pays.

Cette calamité, parce que c’en est bien une, n’arrive pas du jour au lendemain. Ça arrive au goutte-à-goutte dans des sociétés où on fait de la presse l’ennemi du peuple, où un président se croit au-dessus des lois et où on prône le mépris des institutions démocratiques. Cette femme est remarquable, et sa démonstration aussi même en citant Mussolini : « Quand on dépouille un poulet une plume à la fois, nul ne remarque qu’il finit par être déplumé. »

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