Pourquoi les Etats-Unis n'ont jamais apprécié la Cour pénale internationale
- Publié le 12-09-2018 à 08h32
- Mis à jour le 12-09-2018 à 08h33
John Bolton, conseiller du président américain Donald Trump pour la Sécurité nationale, a menacé lundi la Cour pénale internationale (CPI) de sanctions si elle poursuivait des Américains ou des Israéliens.
La CPI est entrée en fonction en 2002 grâce au statut de Rome, qui a été signé mais pas ratifié par les États-Unis, ce qui est aussi le cas de la Russie ; cela veut dire que Moscou et Washington ne reconnaissent pas son autorité. Le président George W. Bush a cependant retiré cette signature (comme le Soudan et Israël), parce qu’elle donnait à son pays certaines obligations envers la Cour. Celle-ci est financée pour plus de la moitié par l’Union européenne et pour environ un quart par le Japon.
Durant les préparatifs pour mettre la CPI sur pied, les États-Unis avaient fait pression pour entraver ce projet, afin d’empêcher toute possibilité de voir un Américain jugé par une autre justice que celle de son pays. Washington avait même menacé les pays qui reconnaîtraient la Cour de ne plus bénéficier d’aides économiques américaines, avant de renoncer à cette politique en raison du nombre de pays qui passaient outre et de la mauvaise image qu’elle donnait des États-Unis.
Révolte des Africains
La tâche de cette Cour est de poursuivre des auteurs de crimes de guerre et contre l’humanité lorsque la justice nationale ne peut ou ne veut s’en charger. Parce que les systèmes de justice des pays d’Afrique sont souvent défaillants, elle s’est d’abord consacrée à des dossiers africains - et s’est maintenue dans cette voie, en négligeant les accusations de crimes concernant les autres parties du monde. Cela a suscité la colère des élites africaines.
L’Union africaine, au sein de laquelle la Cour a été accusée de "racisme", a ainsi conseillé à ses pays membres de ne pas collaborer avec la CPI (le président soudanais Omar el-Béchir voyage ainsi sans problème sur le continent, malgré deux mandats d’arrêt) et a soutenu des préparatifs en vue de créer une cour internationale africaine. Certaines capitales du continent ont annoncé leur retrait du statut de Rome.
Tout en récusant tout parti pris sur l’Afrique, la Cour a cependant tenté une courbe rentrante. En janvier 2016, elle ouvrait sa première enquête hors d’Afrique - en Géorgie. En novembre 2016, la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, annonçait que les militaires américains et la CIA pourraient avoir commis des crimes de guerre en Afghanistan en 2003-2004 à l’encontre de détenus, notamment des actes de torture. Cette annonce avait été faite à l’issue d’un examen préliminaire destiné à déterminer si la CPI devait ou non ouvrir un dossier en bonne et due forme.
Et contre tout pays qui aiderait la CPI
Ce lundi 10 septembre, le conseiller américain à la Sécurité nationale, John Bolton, un faucon, lors d’une prise de parole devant la Federalist Society à Washington, a annoncé la fermeture du bureau de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) dans la capitale américaine en raison de ses appels à une enquête de la CPI contre Israël. Et d’ajouter : "Les États-Unis utiliseront tous les moyens nécessaires pour protéger nos citoyens et nos alliés contre les poursuites injustes de cette Cour illégitime."
M. Bolton a assuré que l’administration Trump "contre-attaquerait" et imposerait des sanctions, y compris contre des officiels de la CPI, si celle-ci poursuivait le processus de mise en accusation d’Américains pour d’éventuels crimes de guerre en Afghanistan ou menait des enquêtes contre "Israël ou d’autres alliés" des États-Unis.
Selon M. Bolton, les sanctions américaines pourraient comprendre l’interdiction d’entrée aux États-Unis pour des juges et procureurs de la CPI, le gel de leurs avoirs aux États-Unis et des poursuites par la justice américaine. Il a menacé des mêmes sanctions tout pays qui aiderait à l’enquête et annoncé que Washington négocierait des accords bilatéraux plus contraignants avec ses partenaires pour leur interdire de livrer un Américain à la CPI.
La CPI réplique
La CPI a répliqué mardi, en annonçant qu’elle "poursuivrait son travail sans se décourager, en accord avec les principes" d’une cour de justice "et l’idée générale d’État de droit".
Le Dr Mark Ellis, de l’International Bar Association (association internationale de juristes), basée à Londres, a rappelé que "malgré leurs relations compliquées avec la Cour, les États-Unis s’étaient toujours élevés fermement contre l’impunité et avaient appuyé le mandat de la CPI, notamment au sujet d’atrocités commises au Soudan ou en Libye. Mais tout engagement constructif avec la Cour est désormais terminé. L’administration Trump cherche à démanteler complètement une entité légale, dont l’unique but est d’amener la justice aux victimes des atrocités les plus inimaginables. L’histoire jugera cette politique pernicieuse comme un affront à la dignité de l’humanité".