Société / Monde

J'ai compris depuis longtemps que la lutte contre l'antisémitisme était perdue d'avance

[BLOG, You will never hate alone] Onze personnes sont mortes parce qu'elles étaient juives. Ce ne sont ni les premières, ni les dernières.

N'importe quel ahuri peut s'enivrer de la parole antisémite au point d'atteindre un point de non-retour. | Patrick Feller via <a href="https://www.flickr.com/photos/nakrnsm/3614416523/">Flickr</a> <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
N'importe quel ahuri peut s'enivrer de la parole antisémite au point d'atteindre un point de non-retour. | Patrick Feller via Flickr License by

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À dire vrai, je n'ai pas même été surpris. Qu'un sinistre individu, plein de fiel et de haine, habité d'un ressentiment né d'une imagination malade, biberonné à la lecture de sites ayant comme fonds de commerce la détestation du Juif, du Noir, du musulman, de l'homosexuel... s'en aille dégommer quelques Juifs rassemblés pour célébrer la circoncision d'un nouveau-né, voilà longtemps que ce genre d'entreprises n'arrive même plus à susciter chez moi autre chose qu'une vague indignation mêlée à une vraie dose de fatalisme.

La force de l'habitude.

L'autre jour, sur ma page Facebook, sorti de nulle part, le commentaire d'un individu versé dans le même genre de haine recuite. Il n'aimait pas ma «face de youtre». À ses yeux, je n'étais qu'un pauvre youtre, un youtre minable –ce sont les termes qu'il a employés: «un pauvre youtre». Il n'avait rien d'autre à me reprocher sinon d'être un youtre. Le simple fait que je fus youtre le dérangeait. C'est tout. Il n'a rien dit d'autre. J'ai effacé ses messages, l'ai banni de ma page et suis passé à autre chose.

Peut-être même ai-je souri. Ou ri. Je ne m'en souviens plus. Si à chaque fois, on devait s'indigner d'être traité de youtre, ou de sale Juif, ou de rat sioniste, on passerait sa vie à se lamenter. À d'autres. J'ai compris depuis longtemps que la lutte contre l'antisémitisme était une lutte perdue d'avance. On peut, on doit évidemment le combattre, mais en ayant toujours à l'esprit que, quels que soient les efforts déployés, la force des indignations, l'intensité des colères, l'intransigeance des réactions, cette démarche restera parfaitement vaine.

Coupables d'exister

Nous aurions pu tous crever à Auschwitz, tous jusqu'au dernier, que l'antisémitisme perdurerait encore de nos jours. Comme une sorte d'invariable de la condition humaine. Israël pourrait être rayé demain de la carte, les Juifs renvoyés à la mer, que l'antisémitisme resterait toujours autant d'actualité. C'est bel et bien parce qu'il n'existe aucune raison objective au fait antisémite qu'il ne peut être vaincu. On ne peut pas combattre un sentiment qui naît, non pas d'une réflexion aussi boiteuse soit-elle, mais qui demeure l'expression d'une aversion dont nul ne sait exactement, pas même l'antisémite attitré, quels en sont les contours exacts.

On hait le Juif parce qu'il est juif. Parce qu'il existe. En soi, on n'a rien à lui reprocher. Le Juif ne fait pas de bruit, le Juif vit sa vie sans ennuyer personne, le Juif fait des études, le Juif travaille et même plutôt bien, le Juif ne s'en prend à personne, le Juif ne pose aucun problème à la société et pourtant, siècle après siècle, sous toutes les latitudes, avec une régularité effrayante, on continue à l'assassiner au seul motif qu'il existe.

Voilà, samedi à Pittsburgh, un hurluberlu s'est fait plaisir en dégommant un parterre de Juifs. Grand bien lui fasse. Je ne lui en veux même pas. Nul besoin d'être un esprit particulièrement éclairé pour réaliser qu'avec l'émergence des réseaux sociaux, la parole antisémite a trouvé un écho à la force indomptable. Autrefois, pour nourrir la bête antisémite, il fallait s'échanger des livres sous le manteau, participer à des réunions clandestines, échanger des correspondances savantes –les écrivains français, d'ailleurs, excellaient dans cette pratique.

Aujourd'hui, la parole antisémite est là, à portée de clic. N'importe quel ahuri peut s'en enivrer au point d'atteindre un point de non-retour. Si Facebook et consorts avaient existé à des époques passées, en pleine fureur nazie, la question juive aurait été réglée en vingt-quatre heures, pas plus. Penser un seul instant qu'on parviendra à réglementer la pratique des réseaux sociaux est juste illusoire. Une perte de temps et d'énergie. Autant demander aux nuages d'arrêter de pleuvoir.

Hier comme aujourd'hui, aujourd'hui comme demain, les Juifs continueront à tomber, coupables d'être ce qu'ils sont.

Ce qui n'empêchera pas ma face de youtre de continuer à écrire.

Encore et toujours.

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