Comment la lutte contre l'Iran rapproche Israël des cheikhs du désert
- Publié le 28-11-2018 à 19h30
- Mis à jour le 29-11-2018 à 12h56

À Oman comme ailleurs, Israël montre qu'il peut normaliser ses relations avec les Arabes sans passer par une paix avec les Palestiniens.C'est un tournoi de judo peu banal qui a eu lieu à Abou Dhabi, aux Émirats arabes unis, il y a juste un mois. Pas seulement parce que notre compatriote Matthias Casse y a décroché une honorable médaille d'argent. Mais aussi parce qu'on a pu y voir la ministre israélienne de la Culture et des Sports, Miri Regev, verser quelques larmes en écoutant Hatikva, l'hymne national israélien, joué en l'honneur du judoka Sagi Muki, médaillé d'or.
L'air de rien, ce petit événement a fait vaciller un consensus indiscuté depuis les balbutiements de la création de l'État d'Israël : son boycott systématique par les pays arabes, qui, à l'exception de l'Égypte et de la Jordanie (les seuls à avoir signé un traité de paix avec lui), ont toujours refusé toute relation diplomatique officielle avec celui qui se définit désormais comme l'État-nation du peuple juif. Le voyage de Miri Regev à Abou Dhabi est venu s'ajouter à un autre événement qui a pris de court les observateurs les plus avertis de la région : la visite surprise de Benjamin Netanyahou à Oman, voisin oriental des Émirats dans la Péninsule arabique, le 26 octobre, deux jours avant que l'hymne israélien ne résonne dans une enceinte sportive émirienne.
Une normalisation en cours
Le Premier ministre israélien s'était vanté à plusieurs reprises d'un rapprochement avec des pays arabes, sans les nommer explicitement. Ces visites successives d'officiels israéliens dans le Golfe montrent qu'une normalisation des relations est désormais en cours. Cela fait un moment que les choses prenaient forme en coulisses, "surtout au niveau des échanges d'informations entre renseignements israéliens, saoudiens et émiriens", comme le précise Camille Lons, spécialiste du golfe Persique et coordinatrice du programme Moyen-Orient de l'ECFR (Conseil européen des relations internationales).
C'est que le Mossad et les services secrets des deux alliés du Golfe ont un ennemi commun: l'Iran, que John Bolton, le conseiller de Trump à la sécurité nationale, a promis d'"écrabouiller" à l'issue d'une visite officielle à Abou Dhabi, mardi dernier (le 13 novembre).
Selon le New Yorker, qui a sorti en juin un article fleuve sur le nouveau triangle Washington-Golfe-Israël, la politique d'Obama dans la région, et en particulier sa volonté de soutenir l'accord de Vienne sur le programme nucléaire iranien, a servi de catalyseur à ce rapprochement. Pour Netanyahou, qui voudrait voir l'Iran se retirer de Syrie, la manœuvre est hautement stratégique: "C'est une façon de montrer qu'on peut normaliser les rapports avec les pays arabes sans forcément passer par un traité de paix avec la Palestine, et donc de dissocier les deux questions", commente Camille Lons.
"Israël envoie un message puissant à l'Iran : tout en gardant une ligne dure envers les Palestiniens, son chef d'État peut voyager dans le monde arabe et y réaliser des avancées", enchérit Giorgio Cafiero, consultant pour le think tank américain Gulf States Analytics.
Les "rails de la paix"
Le message est d'autant plus fort que, historiquement, Oman entretient de bonnes relations avec l'Iran. C'est d'ailleurs dans le Sultanat, qui revendique sa neutralité et donc un rôle de médiateur régional, que se sont tenues des négociations relatives à l'accord sur le nucléaire iranien.
La visite de Netanyahou à Oman a été suivie, une semaine plus tard, de celle du ministre des Transports, Israël Katz, venu présenter un ambitieux projet de voie ferrée reliant la Méditerranée au golfe Persique. Symboliquement baptisé "Les rails de la paix régionale", il relierait Haïfa au réseau ferré jordanien, qui se connecterait à son tour à celui de l'Arabie saoudite et des autres pays du Golfe. Selon la vision israélienne, il servirait à la fois à renforcer les liens commerciaux (en fournissant une alternative aux voies maritimes souvent instables) et à promouvoir une coexistence régionale pacifique. Si ce projet se réalise, il rebattra en profondeur les cartes de la géopolitique régionale.
Et les Palestiniens, dans tout ça ? Quelques jours avant la visite de Netanyahou à Oman, le président Mahmoud Abbas avait également rencontré le sultan Qabous, qui semble vouloir se profiler comme un intermédiaire incontournable dans les négociations de paix israélo-palestiniennes. Mais plusieurs observateurs palestiniens ont vu dans la visite du Premier ministre israélien la mise à mort de l'initiative arabe de paix, approuvée par la Ligue arabe en 2002, qui prévoit une normalisation avec Israël en échange d'un retour aux frontières d'avant 1967. En normalisant ses relations avec les pays arabes de la région, Israël pourrait forcer les Palestiniens à accepter une offre au rabais.