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«L’esclavage existe encore... et il est important que l’on puisse en parler!»

Le 8 juin 2019, Christine Angot adresse ses excuses sur le plateau d’
On n’est pas couché suite à ses propos polémiques sur la Shoah et l’esclavage. youtube

FIGAROVOX/TRIBUNE - Christine Angot avait suscité la polémique début juin en comparant la Shoah et l’esclavage des Noirs. Pour Renée Fregosi, au-delà des propos maladroits de la chroniqueuse et de la concurrence victimaire, l’esclavage moderne est encore un sujet tabou.


Renée Fregosi est philosophe et politologue. Elle est l’auteur du récent Français encore un effort… pour rester laïques! (éd. L’Harmattan, 2019).


Avec cette forme de surenchère victimaire, à laquelle s’est livrée Christine Angot comparant la Shoah et l’esclavage des Noirs, c’est une nouvelle fois la question de l’instrumentalisation de la mémoire et de l’histoire qui est posée. Il est certes indispensable de se souvenir, pour que les générations suivantes ne portent pas le fardeau du non-dit et ne subissent la violence éventuelle d’un «retour du refoulé». Il est juste également que l’histoire s’écrive au plus près des faits aussi traumatisants puissent-ils être et avoir été, et que l’analyse sache distinguer finement les processus à l’œuvre dans les pratiques autoritaires allant jusqu’aux massacres de masse, aux crimes contre l’humanité, aux génocides. Mais si les commémorations sont nécessaires, l’inflation commémorative exclusivement centrée sur la souffrance des victimes et la culpabilisation des bourreaux peut conduire paradoxalement à un nouveau négationnisme.

La réhabilitation d’un passé plus ou moins enfoui, la reconnaissance et la condamnation des crimes anciens ne doit pas tendre à faire oublier voire à nier d’autres processus criminels similaires qui ont également existé dans le passé et/ou qui sont encore à l’œuvre aujourd’hui. Ainsi en est-il trop souvent quant aux autres esclavages que celui des Africains d’hier asservis dans les circuits de la traite triangulaire coloniale occidentale du XVIe au XIXe siècle. Une omerta sévit encore à propos du commerce d’esclaves slaves, chrétiens et africains également, dont les Arabes ont été les bénéficiaires et consommateurs notamment sous l’empire ottoman. L’historien Olivier Pétré-Grenouilleau, grand spécialiste des traites négrières, a failli être révoqué de l’Université pour avoir osé travailler sur toutes les dimensions de l’esclavage afin de, comme le signale le sous-titre de l’introduction de son maître ouvrage «Définir l’esclavage: pour le penser et le combattre».

La traite humaine globale et le travail forcé ne constituent pas vraiment un thème de mobilisation ni de médiatisation alors que sont légion les travailleurs forcés exportés et maltraités.

Or aujourd’hui, l’esclavage existe encore et plusieurs centaines de milliers d’individus y sont soumis à travers le monde. Mais la traite humaine globale et le travail forcé ne constituent pas vraiment un thème de mobilisation ni de médiatisation alors que sont légion les travailleurs forcés exportés et maltraités. En témoigne l’exemple de ces ouvriers népalais au Qatar préparant la coupe du monde de football, ou ceux des ateliers de couture, clandestins en France et tolérés au Bangladesh par exemple, et encore ces milliers de travailleurs domestiques, souvent asiatiques, «esclavagisés» dans les riches demeures des pays du Golfe et dans les résidences d’ambassades à travers le monde. Tandis que l’esclavage sexuel qui représente environ 11,3 % de la traite humaine globale selon le rapport de l’OIT de 2005, et le proxénétisme (exploitation violente de travailleurs forcés du sexe) sont quant à eux trop souvent confondus avec la consommation de services sexuels librement vendus.

Pourtant le combat contre Daech nous a récemment rappelé que l’esclavage est une composante du totalitarisme. La théologie du viol, développée par ce djihadisme a mis en branle une dynamique parfaite pour le massacre et l’esclavage de masse: les femmes qui refusaient de se soumettre à l’esclavage sexuel ont été exterminées avec les hommes systématiquement massacrés. L’islamo-fascisme, avec la conjonction du totalitarisme et de la référence religieuse, fonctionne selon une idéologie esclavagiste spécifique: la frustration sexuelle est régulée par la soupape de l’esclavage sexuel et du viol des femmes dans une structure propre à hystériser au maximum les combattants par la conjonction du Bien et du Mal: la prière et l’acte sexuel. Ainsi, des centaines de collégiennes et de jeunes femmes enlevées au Nigeria notamment, sont toujours actuellement réduites en esclavage par Boko Haram.

Il faut aussi rappeler que l’esclavage se poursuit aujourd’hui en Mauritanie malgré son abolition en 1981. Les chiffres varient beaucoup, entre les 2 % de la population locale dénoncés par Amnesty international et les 20 % (soit environ 600 000 Mauritaniens) estimés par Abeid Biram Dah, le fondateur mauritanien de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), principal mouvement anti-esclavage du pays. Mais la pratique esclavagiste est manifestement répandue et bien qu’elle ait été criminalisée en 2007, elle se poursuit en raison, selon lui à cause des lois mauritaniennes qui sont issues d’une charte appelée le «rite malékite» de la «charia» islamique. Car cette vision discriminatoire est toujours placée au cœur de la Constitution islamique mauritanienne comme principale source de loi. Par ailleurs, bien sûr, l’esclavage représente un enjeu économique énorme…

Loin de négliger l’indispensable mémoire des crimes, ne faudrait-il pas utiliser alors leur analyse pour lutter contre leurs multiples perpétrations au présent ?

En effet, l’esclavage a bien une visée économique comme le montrent tout particulièrement ses formes modernes, des travailleurs endettés du Brésil aux migrants enlevés en Russie et dans les ex-républiques soviétiques. Le journal Novaya Gazeta a ainsi étudié le marché de l’esclavage en Russie. Le profil type d’un travailleur esclave russe est celui d’homme de province en quête d’une vie meilleure, qui va se laisser soumettre à des conditions de travail scandaleuses. Selon la revue Alternatives, en Russie chaque année cinq mille personnes deviennent esclaves. Des reportages anonymisés décrivent aussi le rachat d’un parent dans une briqueterie du Daghestan, ou la maltraitance sur une femme du Kazakhstan retenue dans une épicerie à Moscou dans le quartier de Golyanovo. Les esclaves malades dans les usines de briques ne sont pas soignés, au mieux abandonnés à l’entrée d’un hôpital.

Les récits sont terrifiants et dramatiquement répétitifs. Loin de négliger l’indispensable mémoire des crimes, ne faudrait-il pas utiliser alors leur analyse pour lutter contre leurs multiples perpétrations au présent? Car si la non-répétition des horreurs passées n’est hélas jamais garantie, loin de là, outre la reconnaissance des victimes, l’autre visée essentielle des rapports de type «Nunca más» («plus jamais ça», du nom du rapport argentin sur les crimes de la dictature militaire entre 1976 et 1983) demeure la compréhension globale des processus autoritaires et d’exploitation des humains, allant jusqu’aux massacres de masse, pour lutter sans relâche contre leurs nouveaux avatars.

«L’esclavage existe encore... et il est important que l’on puisse en parler!»

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24 commentaires
  • Anne-Louise

    le

    C’est quoi l’esclavage ? Le commerce d’êtres humains de leur conception à leur mort. Cela fait réfléchir n’est ce pas ?

  • Effondrement

    le

    Tout cela pour encore faire des recrues pour les indigenes de la Republique...

  • Robinson Crusoe

    le

    Dans sa rédaction actuelle, le Coran légitime totalement l'esclavage des non-musulmans, et par assimilation celui des mauvais musulmans.

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