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Biens juifs: «Vous nous rendez justice et réparation, bien plus que des tableaux»

Francine Kahn, petite nièce d’Armand Isaac Dorville dont la collection a été dispersée à sa mort lors de ventes couvertes par le Commissariat général aux questions juives créé par Vichy. DPA/ABACA/DPA/ABACA

PORTRAIT - Francine Kahn a récupéré mercredi à Berlin trois œuvres spoliées à son grand-oncle et restituées par l’Allemagne. Elle représentait les dix ayants droit d’Armand Isaac Dorville.

Un jour d’octobre 2016, la vie de Francine Kahn a basculé. «J’ai reçu un coup de fil d’un cabinet de généalogie, ADD, indiquant que j’avais reçu un héritage. J’ai d’abord pensé qu’un des clients de mon père avait laissé quelque chose et je me suis rendu d’un pas léger au rendez-vous», se souvient-elle. En fait de «petit quelque chose», Francine a brusquement appris que son grand-oncle avait été spolié, pendant la guerre, d’une fabuleuse collection d’art. Et que l’on avait retrouvé plusieurs tableaux, en Allemagne, au Louvre ou au Musée d’Orsay. «Au départ, on n’y croit pas, c’est même un peu trop à admettre», concède-t-elle.

Née dans une famille juive en 1947, Francine n’avait jamais entendu parler de la collection de son grand-oncle Armand Isaac Dorville avant ce jour de 2016. «Ma mère admirait son oncle et nous en parlait souvent. Mais cette histoire-là, sans doute trop douloureuse et considérée comme sans issue, était tue», raconte-t-elle.

Grand avocat, Dorville est également amateur éclairé d’art. Il acquiert des grands noms comme Renoir, Valloton, Vuillard, Bonnard, Delacroix, Manet, Guys ou Forain. Lorsqu’il décède, en 1941, ses 450 œuvres sont entreposées dans son château de Cubjac, en Dordogne. Armand a un frère, engagé dans les FFL et deux soeurs, qui se cachent à Lyon puis à Megève. Aucun des trois n’est évidemment en capacité de gérer la succession.

En juin 1942, toute la collection Dorville est mise en vente à l’hôtel Savoy Palace, à Nice. Marchands d’art, galeristes et représentants des musées nationaux participent à la dispersion de cet ensemble renommé. Au lendemain de la guerre, et alors qu’une des sœurs d’Armand, ainsi que ses enfants, a été déportée à Auschwitz, la famille passe à autre chose - personne ne pensant remettre la main, un jour, sur les 450 tableaux et dessins.

78 ans plus tard, Francine va apprendre à plonger dans ce passé - tout en laissant agir les historiens et les chercheurs pour les recherches à proprement parler. Biologiste qui n’était jusque-là pas spécialement amatrice d’art, elle s’est de plus en plus laissée toucher par l’univers de son grand-oncle.

Seule parmi les dix ayants droit d’Armand Dorville à avoir entendu parler d’Armand, elle est devenue leur porte-parole, de manière discrète mais tangible. Et c’est elle qui a fait le voyage, mercredi à Berlin, pour recevoir trois œuvres ayant appartenu à son grand-oncle, des mains de la ministre allemande de la Culture, Monika Grütters. «Vous nous rendez justice et réparation, bien plus que des tableaux», a-t-elle indiqué à la ministre, dans un cours discours.

Avant de remonter dans l’avion vers Paris, Francine laissait entendre qu’elle avait encore du pain sur la planche. Une demande officielle de restitution a été déposée en France, pour treize œuvres de la collection Dorville, conservées au Louvre et à Orsay. Pour l’instant, elle n’a pas encore abouti.

Elle sait bien que sur les 450 œuvres acquises par Armand, très peu seront retrouvées. «Qui sait? Certains tableaux ressortiront peut-être sur le marché dans une ou deux générations, calcule-t-elle. Et c’est la génération suivante qui devra alors reprendre le flambeau de cette mémoire.» Le grand livre d’Armand Dorville, ainsi que celui des spoliations juives, est loin de se refermer.

Biens juifs: «Vous nous rendez justice et réparation, bien plus que des tableaux»

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4 commentaires
  • bramante

    le

    Il n'y a pas que les juifs qui ont été dépouillés
    Pourquoi ne restitue-t-on pas leurs biens aux autres?

  • Dantzen

    le

    A l'occasion de l'anniversaire de la libération des camps de concentration, rajouter une couche de peinture ne fait pas de mal. Comme l'exprime fort bien le "dijonnais": " vendues ou volées"? En fait confisquées puis vendues. Ce qui est bon pour certains doit cependant être bon pour tout le monde. A ce compte là il va falloir rendre la quasi-totalité des œuvres d'art des musées nationaux à leurs parfois lointains mais vraiment très lointains, descendants. Il ne faut acheter aucun tableau de qualité exécuté avant 1945 sinon il a 99% de risques d'avoir été spolié, à moins de le posséder légitimement depuis avant 40 ou 36. Il y a deux catégories de tableaux pour cette époque : ceux qui appartiennent aux juifs et ceux qu'on leur a volés. Donc prudence extrême. Ceci dit tout dépend du thème: si c'est une bonne sœur, rien à craindre. Mais bon...Lire l'étude magistrale, quoique ancienne, de Raymonde Moulin sur "Le marché de l'art" en France.

  • dijonnais

    le

    Rien compris... les œuvres ont été vendues en juin 42 ou volées/spoliées lors de l’occupation?

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