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Que retenir du voyage d’Emmanuel Macron à Jérusalem?

«Les discours ont tous porté sur le registre de l’émotion, révélant aussi que les «vents mauvais» n’épargnaient personne et que personne ne pouvait se sentir à l’abri». Lemouton Stephane/Pool/Abaca

FIGAROVOX/TRIBUNE - L’écrivain Salomon Malka revient sur les grands moments symboliques et diplomatiques qui ont marqué la visite en Israël du chef de l’État, au-delà des polémiques.


Salomon Malka est journaliste et écrivain. Il a récemment publié Dieu, la République et Macron (éd. du Cerf, 2019).


Un accrochage devant l’église Sainte-Anne à Jérusalem, un semblant de ralliement à une idée de Poutine au Forum sur la Shoah, et quelques instants d’accolade à l’Institut Yad Vashem, c’est ce qui restera de saillant dans le premier voyage officiel d’Emmanuel Macron en Israël. Une visite qui coïncidait avec le 75ème anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau et avec la rencontre sans précédent d’une cinquantaine de chefs d’États, de monarques, de présidents de parlements, de premiers ministres réunis par Reuven Riveline autour d’un Forum mondial sur la Shoah.

D’abord l’incident, ou ce que la presse a appelé le «moment Chirac» du voyage. On n’a pas assez observé les différences notables entre les deux incidents. Le premier avait eu lieu dans les rues de Jérusalem, le second à l’entrée d’une église qui est territoire français, bénéficiant d’un statut similaire à celui d’une ambassade. Ceux qui étaient sur les lieux avant l’arrivée du Président - lequel avait musardé un peu en vieille ville - peuvent attester que la tension était d’emblée très perceptible entre les deux services de sécurité. Malentendu? Périmètre sensible? Mouvement d’humeur? Nervosité dans l’air entre les entourages? Ce qui est sûr, c’est que l’exaspération était la même, légèrement sur-jouée la seconde fois .La différence avec Chirac, c’est que Macron perd son anglais quand il s’énerve alors que Chirac l’améliore, et puis surtout le coup de colère du Président cette fois-ci n’a pas été jusqu’à la menace de faire ses valises. En sortant de Sainte-Anne, Macron est allé chercher les deux agents de sécurité pour faire retomber la pression et l’incident a été très vite clos (pour Chirac, de l’avis des témoins de l’époque, cela a été plus long et a même frôlé l’incident diplomatique).

Ce coup de sang va-t-il devenir désormais un passage obligé de toutes les visites présidentielles dans ce coin du monde ?

Pas étonnant, soit dit en passant, que cette poussée de fièvre soit survenue dans ce lieu symbolique qui fut le lieu de naissance de Marie (les Évangiles parlent de la visite d’Anne au temple situé à quelques mètres de là). Pas étonnant non plus que le Président ait pris dans sa délégation Mgr Gollnish qui connaît parfaitement le dossier des chrétiens d’Orient, ni qu’il ait consacré quelques heures d’un agenda surchargé, à une visite de l’église suivie d’un déjeuner avec les représentants des communautés chrétiennes. «Venir ici sur une terre de France, c’est exprimer notre engagement pour les chrétiens d’Orient» a dit le Président, soulignant que le rôle de la France est de protéger ces chrétiens d’Orient dans une région bousculée et traversée par les conflits, et ajoutant que là où ils sont menacés, c’est le pluralisme qui est menacé. Ayant à ses côtés le Ministre de l’Éducation qui l’accompagnait, il a annoncé des gestes forts dans le domaine notamment du travail éducatif au sein du réseau des écoles chrétiennes dans la région. Il a évoqué une approche en la matière qui consiste, non pas à nier les religions, mais à être en capacité de regarder chacune d’entre elles en face. Moment compliqué d’un voyage à dominante mémorielle où, pour atténuer les effets du coup de sang dans les rues de la vieille ville - ce coup de sang va-t-il devenir désormais un passage obligé de toutes les visites présidentielles dans ce coin du monde? Il faut le craindre, on a quand même aménagé une visite au Mur des Lamentations.

Lors de la cérémonie à Yad Vashem, on a observé un rapprochement étrange et inattendu entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine.

Un moment politique? Le Président s’est épargné l’effort de tenter une énième et ultime médiation dans le conflit israélo-palestinien, sachant que cela ne serait pas d’une grande utilité dans l’état actuel des choses, ni de forcer une hypothétique relance dans un processus qui est au point mort, ni encore de chercher à réactiver les échanges entre deux hommes Netanyahu et Abbas, qui ont chacun leurs soucis. Le premier parce qu’il exerce un intérim depuis bientôt un an, qu’il se présente aux élections désormais tous les six mois et que cette fois encore, la majorité restera sans doute introuvable. Le second parce que son état de santé est chancelant, qu’il n’a toujours pas mis en place une procédure d’élections depuis longtemps promise et constamment remise. Sans compter que la visite à Ramallah du président de la République fut une visite de courtoisie, sans plus, au cours de laquelle il a pu entendre les craintes palestiniennes quant au fameux plan de paix miracle de Donald Trump dans la région.

On aura observé en revanche, lors de la cérémonie à Yad Vashem, un rapprochement étrange et inattendu entre Emmanuel Macron et Vladimir Poutine. Le Président russe, grande vedette du Forum ( qui s’est payé le luxe d’arriver après tout le monde) a appelé à faire revivre le modèle des cinq pays membres du Conseil de sécurité, lesquels pourraient retrouver une nouvelle jeunesse, et de nouvelles utilités face à un monde de plus en plus mouvant et de plus en plus instable. Le Président français a paru, dans son discours à Yad Vashem, sensible à cette idée et même disposé à s’y rallier.

Mais puisqu’il faut des symboles à cette rencontre internationale inédite dans son envergure, on préférera, plutôt que les chicayas entre agents de sécurité, la scène de la fin du discours du Président allemand, Frank-Walter Steinmeier, évoquant ces «vents mauvais» qui se lèvent et qui prennent de nouvelles formes. Entre le discours d’Emmanuel Macron et celui du prince Charles, Steinmeier a longuement donné l’accolade au Président français avant de serrer Reuven Rivline dans ses bras. On s’est beaucoup embrassé, c’est vrai, à ce colloque, comme si on voulait conjurer le sort. Les discours ont tous porté sur le registre de l’émotion, révélant aussi que les «vents mauvais» n’épargnaient personne et que personne ne pouvait se sentir à l’abri.

«Laisser les historiens décider de l’histoire». Ce mot du Président israélien évoquant l’esprit du Forum, à qui s’adressait-il? Est-ce aux dirigeants polonais qui avaient décidé d’être absents en raison de la place accordée aux Russes? Ou est-ce une façon de souligner, en direction de tous les participants, qu’il leur appartenait à eux, de prendre les bonnes décisions pour le futur, en laissant aux historiens le soin de se prononcer sur le passé?

Le Président aura pu trouver dans ce séjour en terre sainte un peu d’éloignement, un soupçon de dépaysement.

Il y eut force accolades, sans doute, mais après tout, les accolades ne font de mal à personne. Celles de Steinmeier étaient fortes et touchantes. Pour le reste, les uns et les autres ont rappelé l’urgence: la recherche historique doit rester entre les mains des historiens, les survivants de la Shoah vont disparaître dans les années qui viennent. Comment assurer le passage de relais? Comment assurer que les générations prochaines auront les moyens de savoir, de connaître et d’avoir conscience?

Questions que chaque pays devra résoudre à sa façon. Avant de replonger dans les affaires courantes et de répondre aux interrogations laissées en suspens et qu’il faudra bien se résoudre à aborder un jour ou l’autre, et le plus tôt sera le mieux laïcité, discours sur les religions…- le Président aura pu trouver dans ce séjour en terre sainte un peu d’éloignement, un soupçon de dépaysement et qui sait, peut-être un brin d’inspiration.

Que retenir du voyage d’Emmanuel Macron à Jérusalem?

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5 commentaires
  • Navroche

    le

    A retenir ? Le classique piège à cons du complot judéo-maçonnique qui nous gouverne depuis la Révolution. Simple, à enseigner comme base à tous nos enfants.

  • Vincent NETTER

    le

    Comme tous ces trucs protocolaires et convenu, il n'en reste que les dépenses.

  • Amir Amiri

    le

    Oh comme c est pathétique Sans commentaire

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