Culture

«The Plot Against America», la série qui arrive à point nommé

Adaptée d'un roman de Philip Roth, la nouvelle création de David Simon imagine le quotidien d'une famille juive américaine sous la présidence du sympathisant nazi Charles Lindbergh.

Dans <em>The Plot Against America</em>, les drapeaux américain et nazi flottent côte à côte. | Capture d'écran <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RwMwrft7So8">via YouTube</a>
Dans The Plot Against America, les drapeaux américain et nazi flottent côte à côte. | Capture d'écran via YouTube

Temps de lecture: 7 minutes

Tous les mercredis, Anaïs Bordages et Marie Telling décryptent pour Slate.fr l'actu des séries avec Peak TV, une newsletter doublée d'un podcast.

Vous aussi vous commencez à avoir l'impression d'être des figurant·es dans une série catastrophe? La réalité semble en tout cas de plus en plus surréaliste et dystopique. Et les effets de la pandémie se font sentir jusqu'à Hollywood, où une grande majorité des productions de séries sont à l'arrêt depuis quelques jours.

Netflix a suspendu la production de toutes ses séries tournées aux États-Unis et au Canada, dont les nouvelles saisons de Grace et Frankie et Stranger Things, tandis que leurs productions dans les autres pays sont évaluées au cas par cas.

NBC, CBS, ABC, Apple TV+, FX, Hulu et HBO font également partie des chaînes qui ont mis en pause leurs productions. Pour vous donner une idée, cela affecte (entre autres) les nouvelles saisons de The Handmaid's Tale, The Morning Show, Euphoria, Atlanta, Riverdale, Fargo, Servant, For All Mankind, Grey's Anatomy, Superstore

Ce bouleversement risque de se faire sentir sur le long terme, aussi bien à travers son impact sur l'économie du divertissement que sur le calendrier des diffusions à venir. En France, Séries Mania, l'un des principaux festivals internationaux autour des séries, a été annulé –et avec lui une poignée de premières mondiales.

Pourtant, avec la quarantaine désormais en place, on n'a jamais autant eu besoin de séries pour nous occuper et nous changer les idées. Dans cette newsletter, donc, beaucoup de recommandations pour remplir vos journées télé. Mais avant toute chose, on vous parle d'une nouvelle série où la fiction flirte justement avec la réalité: The Plot Against America.

Pour info: nous allons tous et toutes devoir passer beaucoup de temps chez nous ces prochaines semaines. Pendant la période de confinement, cette newsletter devient donc hebdomadaire, pour vous offrir tous les conseils séries dont vous aurez besoin. Si vous voulez une recommandation personnalisée de série, envoyez un mail à [email protected] en nous disant ce que vous recherchez selon votre situation; on tentera de vous donner plusieurs options.
En attendant, bon courage, et restez chez vous!

Le gros plan: «The Plot Against America» (OCS)

Quand on a appris que David Simon, le créateur de The Wire, Treme, The Deuce et Show Me a Hero, allait s'attaquer au roman uchronique de Philip Roth, on a eu un mini-orgasme et on s'est demandé si la série pourrait réellement être à la hauteur de nos attentes démesurées. Heureusement, la réponse est oui.

En six épisodes, le showrunner américain nous offre une fable à la fois fidèle à son œuvre d'origine et prophétique d'une Amérique contemporaine dévorée par le populisme et l'intolérance.

Dans son roman de 2004, Philip Roth réimaginait son enfance dans le New Jersey des années 1940. Dans cette version, l'aviateur Charles Lindbergh, connu pour sa traversée de l'Atlantique mais aussi pour ses sympathies nazies et ses grosses tendances antisémites, remportait la Maison-Blanche face à Roosevelt. Roth décrivait alors, du point de vue d'un enfant de 9 ans, le quotidien d'une famille juive touchée par des politiques antisémites de plus en plus violentes.

La série reprend la même trame, en ouvrant le point de vue au reste de la famille –même si le petit Philip, interprété avec énormément de sensibilité par Azhy Robertson (Marriage Story), reste l'ancrage émotionnel de l'histoire.

 

À travers chaque membre de la famille, David Simon explore les différentes réactions à la montée d'un régime totalitaire et à la mise en place de politiques répressives, de l'obstination désespérée du père, qui refuse de fuir un pays qui a toujours été le sien, à l'angoisse de la mère, qui prend la mesure du danger avant tout le monde, en passant par le déni de la tante (Winona Ryder, bouleversante) et du frère aîné, qui sont séduits par Lindbergh malgré tout. La série montre comment la politique et l'histoire peuvent détruire un noyau familial pourtant solide et confisquer à des enfants l'innocence qui leur est due.

On pourrait se demander pourquoi David Simon, ancien journaliste dont les œuvres précédentes s'ancraient dans une réalité presque naturaliste, a décidé d'adapter un roman uchronique. Mais à travers la fiction, The Plot Against America offre un commentaire acéré sur l'Amérique de Trump.

Le parallèle entre le populisme haineux de Lindbergh et celui de l'actuel président américain est évident, et on pense forcément aux milliers d'enfants victimes de la politique de séparation des familles de migrants aux États-Unis quand on voit la souffrance du petit Philip et de son ami Seldon dans la série.

The Plot Against America sort alors que l'Amérique connaît une résurgence des haines raciales et antisémites. Elle sort aussi lors d'une année électorale, et à en juger la place accordée aux élections dans le récit de Roth et de Simon (jusqu'à la dernière minute), ce n'est pas un hasard.

Eh oui, on colle à l'actu! Depuis quelques mois, les séries catastrophe ont envahi nos écrans: Chernobyl, Years and Years, L'Effondrement… Alors que le Covid-19 sème la panique et que la réalité semble de plus en plus se rapprocher de ces scénarios terribles, on se demande: pourquoi sommes-nous à ce point fasciné·es par la fin du monde? Peut-on tirer des leçons de ces séries télé? On en parle dans ce nouvel épisode, avec les cocréateurs de la série L'Effondrement (Canal+).


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On regarde aussi

Westworld (OCS) – On ne comprend plus grand-chose à cette série qui a clairement sauté 278 requins depuis la saison 1, mais on continue à la regarder pour le casting, la musique et les valeurs de production toujours au top.

Breeders (Canal+) – Une comédie grinçante sur deux parents politiquement incorrects submergés par l'éducation de leurs gosses. À vous de voir si vous avez envie de mater ça en quarantaine avec vos enfants.

Elite (Netflix) - Au bout de trois saisons, la formule devient un poil facile et répétitive, mais niveau divertissement qui offre un break aux neurones, on a rarement fait mieux.

L'épisode culte: «Shame, Shame, Shame» («Treme», S1E5)

Le concept d'épisode culte est difficilement applicable à David Simon, tant son œuvre rechigne à se plier au format épisodique. Chacune de ses séries adopte plutôt un style littéraire naturaliste, où des multitudes de personnages et d'intrigues s'entrecroisent, révélant une vue d'ensemble qui n'obéit pas vraiment aux structures narratives traditionnelles.

C'est encore plus le cas de Treme, qui suit le quotidien de plusieurs habitant·es de la Nouvelle-Orléans quelques mois après la dévastation de l'ouragan Katrina et qui lie l'expérience de tous ces personnages, en grande partie par la musique. La saison 1 de Treme s'ouvre et s'achève sur une fanfare, emblème de cette ville de fête et de jazz où chaque événement du quotidien est prétexte à la célébration.

Comme chaque épisode, «Shame, Shame, Shame» est rythmé par plusieurs séquences musicales longues et entraînantes, qui racontent en filigrane l'état émotionnel des personnages et leurs relations entre eux.

Davis, un habitant blanc du quartier de Treme, convainc certains des meilleurs musiciens de la ville d'enregistrer avec lui un morceau satirique destiné à George W. Bush.

 

Plus tard, Antoine Batiste, interprété par le grand Wendell Pierce, joue du trombone dans la cour de son immeuble en pleine nuit, en guise de reconnaissance envers le riche homme d'affaires japonais qui vient de lui racheter un instrument.

La scène est à l'image du geste d'Antoine; d'une simplicité bouleversante, elle en dit long sur la générosité humaine et sur le pouvoir guérisseur de l'art –et difficile, en la revisionnant, de ne pas penser aux Italien·nes sur leurs balcons en ce moment.

Dans «Shame, Shame, Shame», la tragédie côtoie aussi la poésie, lorsqu'une parade festive se termine en fusillade.

Plutôt que des épisodes, Treme produit des moments inoubliables. Il peut s'agir de scènes terrifiantes –l'agression d'une patronne de bar, la mort tragique d'un personnage ou les instants qui ont précédé l'arrivée de l'ouragan. Mais le plus souvent, la série réussit à puiser de la beauté dans les circonstances dramatiques subies par ses personnages. Une ode à l'entraide et à la créativité dans les moments difficiles, c'est pile ce dont on a besoin cette semaine.

La battle de crushs: Anthony Boyle et Morgan Spector (le cousin et le père dans «The Plot Against America»)

La série est très généreuse en crushs, et nos cœurs balancent entre deux très bonnes options:

Alvin (le cousin): Dès sa première apparition, son air malicieux, son désir de rébellion et son envie de «tuer des nazis» nous ont rendues toute chose.

Herman (le père): Avec ses bouclettes noires, son visage de héros grec et sa passion pour les émissions politiques, il nous donne envie d'écouter le «7/9» de France Inter tous les matins au lit avec lui.

 


Captures d'écran.

Quarantaine & chill

Toutes nos recommandations pour une quarantaine paisible et divertissante.

Better Things (Canal+) – C'est l'une des meilleures séries de ces dernières années, à la fois drôle, surprenante, réconfortante et très ambitieuse sur ce qu'elle raconte de la féminité ou de la maternité. N'hésitez pas!

 

Catastrophe (Canal+) – Ne vous fiez pas à son titre, cette comédie ne parle pas du coronavirus mais de deux inconnus qui se mettent en couple et décident d'élever un enfant après un coup d'un soir. Quatre saisons à pleurer de rire sur le fait d'être coincé·e avec quelqu'un: parfait pour la quarantaine.

The Leftovers (OCS) – Si vous faites partie des gens qui aiment la catharsis, plongez-vous dans ce chef-d'œuvre qui montre en trois saisons que même dans des situations de profond désespoir, la seule chose qu'on a, c'est notre foi en l'autre.

RuPaul's Drag Race (Netflix) – Rien ne pourra vous remonter le moral avec autant d'efficacité que cette émission flamboyante où des drag queens s'affrontent et revendiquent leur queerness pour notre plus grand bonheur.

 

High Maintenance (OCS) – On vous en parlait dans la dernière newsletter: peu de séries égalent la douceur et la bonne humeur réconfortantes de cette anthologie sur un vendeur de weed à New York et ses client·es.

Jane the Virgin (Netflix) – Une comédie addictive sur une jeune femme vierge qui tombe enceinte, jouée par une Gina Rodriguez irrésistible. Avec ses cinq saisons de rebondissements dignes des meilleures telenovelas, la série devrait vous occuper une bonne partie de la quarantaine.

Terrace House: Boys & Girls in the City (Netflix) – Rien de mieux qu'une émission de télé-réalité japonaise où il ne se passe quasiment rien pour se vider le cerveau en ces temps très stressants. Le principe: trois filles et trois garçons partagent une maison à Tokyo. Tout le monde est super poli et respectueux, et il n'y a presque jamais de prise de tête. Relaxant à souhait.

Fleabag (Amazon Prime) – Ça fait plus d'un an qu'on vous saoule avec cette brillante comédie britannique douce-amère menée par l'hilarante Phoebe Waller-Bridge. Donc si vous ne l'avez toujours pas vue, c'est le moment où jamais.

 

Band of Brothers (OCS) – Grand classique de HBO, cette mini-série de 2001 suit un régiment américain avant, pendant et après le débarquement de Normandie. En dix épisodes, elle dresse un portrait du pire et du meilleur de la nature humaine dans un moment historique unique, le tout servi par un casting en or (Damian Lewis, Ron Livingston, David Schwimmer…).

The West WingLa série culte d'Aaron Sorkin n'est malheureusement pas disponible sur les plateformes de streaming en France, mais on vous fait confiance pour trouver une solution. Vous aurez alors accès à sept saisons d'utopie politique, de dialogues effrénés, de discours exaltants et de personnages ultra-attachants.

Ces textes sont parus dans la newsletter bimensuelle (hebdomadaire pendant le confinement) Peak TV.

 
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