Corona et théories de la conspiration anti-juives

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L’accusation de crime rituel de Simon de Trente – Illustration imprimée au Hartmann Schedel’s Weltchronik – 1493 “On peut remonter les traces du sentiment antijuif jusqu’au 12ème siècle. Les accusations de crime rituel, avec les allégations d’empoisonnement des puits, ont été des thèmes majeurs de la persécution des Juifs en Europe à travers le Moyen-Âge et jusqu’à la période moderne. Ils étaient une composante centrale dans le développement de l’antisémitisme moderne au 19 ème siècle.”(USHMM)

Par Manfred Gerstenfeld

L’éclatement de la crise du Coronavirus a débouché sur une grande diversité de théories de la conspiration reliant les Juifs et Israël à plusieurs de leurs facettes.  On doit resituer ces théories comme un prolongement de croyances antisémites similaires qui trouvent leurs sources il y a environ 2.000 ans. L’historien juif de l’époque romaine, Flavius Joseph rend compte d’une des premières théories de la conspiration à notre connaissance. Il raconte  que selon Apion, grammairien helléniste ayant la haine des Juifs, et qui vivait en Egypte, les Juifs avaient kidnappé un grec. Ils l’auraient ensuite détenu en otage dans le Temple de Jérusalem et l’y auraient engraissé. A la suite de quoi, ils l’auraient sacrifié et auraient dévoré sa chair[1]. Cette fausse allégation a été l’événement précurseur de l’accusation de meurtre rituel, l’une des principales tendances des théories conspirationnistes et antisémites.

Avance rapide. Nathan Sharansky a déclaré récemment : ils font porter le blâme sur les Juifs en nous accusant de tenter de détruire l’économie dans l’unique but de faire de l’argent. Il a ajouté que de récentes campagnes de propagande antisémite virulente qui trouvent leur origine en Iran, en Turquie et dans divers autres pays à travers le monde, où les Juifs sont accusés de propager le Coronavirus. En Iran, les médias contrôlés par l’Etat contribuent également à l’incitation, accusant les “Sionistes” de l’épidémie et mettant en garde le peuple de ne pas utiliser de vaccin du Coronavirus si jamais il était développé par des scientifiques israéliens[2]“.

L’ADL (Anti-defamation League) mentionne que les Suprémacistes Blancs prétendent que les Juifs sont responsables de la création du virus, dans l’unique but d’accroître leur contrôle sur les populations décimées et/ou de profiter des conséquences du virus. L’ADL dit que des messages identiques soint aussi propagés sur des tribunes plus courantes, comme Twitter, YouTube, Instagram et Reddit. Certains théoriciens de la conspiration suggèrent que le virus a été fabriqué par les Etats-Unis et Israël dans le but de prendre pour cibles leurs rivaux politiques comme la Chine et l’Iran[3].

Un invité d’une émission de télévision d’Etat turc disait : “Les Juifs, les Sionistes ont organisé et conçu ce nouveau Coronavirus en tant qu’arme biologique, exactement comme la grippe aviaire “pour redessiner le monde à leur image, s’emparer de pays et castrer la population mondiale[4]“. Pourtant, le guide suprême iranien, l’Ayatollah Ali Khamenei prend les Etats-Unis pour cible, plutôt qu’Israël. Il a suggéré  que la médecine américaine est prête à répandre le virus encore plus loin. Khamenei a aussi prétendu que le virus était spécifiquement conçu pour frapper en Iran, en utilisant des données génétiques d’Iraniens que les Etats-Unis auraient obtenu par diverses méthodes. Khamenei a aussi dit [pour contrer les propositions d’aide américaine] que les Etats-Unis aimeraient pouvoir envoyer des médecins et des thérapeutes en Iran où ils pourraient constater en personne les effets du poison qu’ils auraient eux-mêmes produit[5].

Un cas à part concerne les promoteurs palestiniens de théories de la conspiration. Le quotidien de l’Autorité Palestinienne, Al-Hayat Al Jadida, a publié une caricature, le 16 mai, sur le Coronavirus, sous la forme d’un énorme tank israélien poursuivant un petit Palestinien, lui-même portant un enfant. Le quotidien d’Al Quds, à l’Est de Jérusalem a écrit que le Coronavirus est une arme biologique que les Etats-Unis et Israël ont décidé de déployer contre la Chine et l’Iran, après avoir échoué à leur porter préjudice par des moyens conventionnels[6].

Le leader charismatique suisse, Ivo Sasek, est un prêcheur laïc, fondateur de “Génération Organique Chrétienne” basée en Suisse. Il a prétendu par le passé que des conspirateurs juifs se préparent à réduire la population mondiale à 500 millions par un massacre à grande échelle d’un milliard de personnes à la fois[7]. Ces temps-ci, le même groupe partage un flyer antisémite prétendant que le Coronavirus est une arme biologique lâchée par le survivant de la Shoah George Soros[8]. L’extrémiste de droite autrichien Martin Sellner, membre du groupe néofasciste ‘Identitäre’  diffuse l’idée que la Fondation Soros de la Société Ouverte est responsable de la crise du Corona[9]. Il a des centaines de visiteurs sur Internet.

La candidate Républicaine au Congrès américain, Joanne Wright, a affirmé que le virus est le fruit de Bill Gates et George Soros[10].

On doit resituer ces théories antisémites et conspirationnistes dans un cadre historique déjà très ancien. La fausse assertion selon laquelle les Juifs joueraient un rôle central dans la propagation des maladies est liée à un second courant majeur des théories de la conspiration – au-delà de l’accusation de crime rituel – et remonte également au profond Moyen-Âge. On a accusé les Juifs de divers fléaux. L’un des principaux a été la Peste Noire au 14ème Siècle. A cette époque, les Juifs ont été accusés d’avoir empoisonné les puits.

Ce thème de l’empoisonnement et de la maladie a même été réutilisé par le leader Palestinien Mahmoud Abbas, lors d’une séance plénière au Parlement européen en 2016. Là il a déclaré qu’un rabbin avait demandé au gouvernement palestinien d’empoisonner l’eau potable des Palestiniens. Abbas a alors reçu des applaudissements nourris pour son discours et une ovation debout, de la part d’un très grand nombre de députés européens. Le Président du Parlement européen de l’époque, le socialiste allemand Martin Schulz, a déclaré que le discours antisémite d’Abbas était “inspirant”. Deux jours plus tard, Abbas a bien dû reconnaître qu’un tel rabbin n’avait jamais existé[11].

Palestinian Media Watch a publié une longue liste de mutations palestiniennes contemporaines de l’antique accusation d’empoisonnement. Elle comprend, entre autres, la prétendue propagation par Israël du SIDA parmi les Palestiniens, plus spécifiquement par des femmes immorales. D’autres mutations du même motif incluent le paiement de médecins pour propager des maladies parmi les Palestiniens. Dans l’Union Soviétique de Staline, des médecins juifs ont été arrêtés  et inculpés à cause de leur prétendu “plan visant à empoisonner Staline et les cercles dirigeants soviétiques.[12].

La variante selon laquelle les Juifs et Israël cherchent à dominer le monde appartient à une troisième catégorie principale de théories antisémites de la conspiration. Le document primordial, qui accuse les Juifs de conspirer pour contrôler le monde s’exprime dans les Protocoles des Sages de Sion, un montage brodé par un employé zélé des services secrets tsaristes, et qui a été réimprimé en très grand nombre[13]. Cette publication est régulièrement reproduite, en particulier dans le monde arabo-musulman. Parfois, cela arrive aussi dans le monde occidental. Une édition est apparue en Norvège il y a un certain nombre d’années[14]. Des copies de ce texte remontent à la surface de temps en temps. Il y a quelques semaines, l’organisation caritative britannique, Oxfam, a supprimé deux éditions des Protocoles  de sa boutique en ligne, après une plainte diffusée par Mark Regev, l’ambassadeur d’Israël est au Royaume-Uni[15].

Un cas hilarant tournant autour d’une théorie antisémite de la conspiration a été exposé par Malcolm Hoelein, Vice-Président exécutif de la Conférence des Présidents des Principales organisations juives-américaines. Il a décrit comment, une fois, alors qu’il répondait aux questions des auditeurs sur une station de radio africaine, on lui a posé une question sur le rôle qu’ont joué les Juifs dans le déclenchement de la Guerre d’Irak. Hoelein a répondu en détail, mais d’autres ont continué à répéter la même question. Hoelein a alors fait remarquer : “Je vois que le Secrétaire d’Etat s’appelle Colin Powell et que la Conseillère à la Sécurité Nationale est Condoleeza Rice. Il me semble que c’est plus une conspiration noire !” Juste après cela, les questions malveillantes se sont arrêtées[16].

La plus ancienne variante connue d’accusation de crime rituel dans le monde chrétien remonte à l’année 1144 dans la ville de Norwich, au Royaume Uni. Au fil des siècles, cela s’est répété en plusieurs endroits d’Europe. Un exemple infâme s’est illustré dans la ville italienne de Trente, au quinzième siècle. Récemment, mardi dernier, un peintre italien Giovanni Gasparro, a affiché sur sa page Facebook sa peinture : “Le martyr de St Simon de Trente, selon le meurtre rituel juif”. Le journal Algemeiner écrit : “Ces travaux décrivent un jeune garçon encerclé par une foule de Juifs à l’allure sinistre, portant des franges bouclées et des objets religieux, qui l’étranglent, lui ouvrent le ventre et le vident de son sang[17]“.

Raphael Israeli : “L’usage de l’accusation de meurtre rituel par les Arabes se manifeste en partie par le recyclage de l’Affaire de Damas. Par exemple, Mustafa Tlass, qui a été Ministre syrien de la Défense de 1972 à 2004, accordait de la crédibilité à l’accusation de crime rituel, puisqu’il a écrit sa thèse de doctorat sur ce sujet, comme s’il s’agissait d’un fait historique et non d’une fabrication antisémite”. Dans son libre, Israeli donne des dizaines d’autres exemples d’usage arabe de l’accusation de crime rituel[20].

Une version postmoderne de l’accusation de crime rituel affirme qu’Israël tue les Palestiniens dans le but de recycler certains de leurs organes. Le 17 août 2009, la section “Culture” du plus grand quotidien suédois, le journal social–démocrate Aftonbladet, a publié un aticle écrit par Donald Boström intitulé “Våra söner plundras på sina organ” (“On pille les organes de nos enfants”). Boström racontait comment un jeune Palestinien, recherché pour terrorisme, avait été tué après le lancement d’une campagne en faveur du don en 1992, et de quelle façon on avait restitué son corps à sa famille quelques jours plus tard pour l’enterrer. Boström prétendait ensuite qu’il y avait des rumeurs que Tsahal tuait des Palestiniens et prélevait leurs organes à fins de transplantation -en collusion avec l’institution médicale israélienne. L’article se terminait en disant qu’il était temps de jeter un œil sur cette activité macabre, et il exhortait les Israéliens à mener l’enquête sur ces allégations[21]“.

L’historien Richard Landes dit que de nos jours : “Nous assistons à la renaissance des théories de la conspiration. Les sociétés musulmanes sont prédominantes dans la production, la circulation des récits et les croyances en eux. La théorie de la conspiration la plus connue est probablement que les Américains eux-mêmes, ou le Mossad ont mené les attentats terroristes du 11 septembre et non leurs auteurs jihadistes d’Al Qaïda. Cette croyance a imprégné les esprits des éloites à travers tout le monde arabe”.

Landes remarquait en outre, que : “Les théories de la conspiration émanant du monde musulman sont accompagnées d’un autre phénomène surprenant. Dnas le passé, les conspirationnistes accusait un Autre malveillant : les Juifs, les lépreux, les sorcières, les communistes. Actuellement nous trouvons des adeptes occidentaux des théories de la conspirations qui prennent l’Occident pour cible – par exemple celles concernant le 11 septembre – par lesquelles les adeptes occidentaux confirment les accusations paranoïaques de leurs ennemis. Le chant des sirènes des théories modernes de la conspiration chante ainsi : “C’est “Nous” qui sommes à blâmer, “notre” ennemi est innocent[22]“.

Les théories de la conspiration à propos du Coronavirus prouvent que les Juifs sont, une fois encore, les premiers accusés, mais pas les derniers. On peut être sûrs que le coronavirus mourra bien plus vite que les théories antisémites de la conspiration. Une version moderne de l’accusation de crime rituel, et de très loin, la croyance antisémite principale, de nos jours, est que des dizaines d’Européens croient qu’Israël se comporte comme les Nazis ou, alternativement, qu’il a pour intention d’exterminer les Palestiniens

Article préalablement paru sur le site du Centre Begin-Sadate : besacenter.org

Par Manfred Gerstenfeld

Le Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski

[1] www.aish.com/h/9av/j/48966346.html

[2]

www.israelnationalnews.com/News/News.aspx/277356

[3] www.adl.org/blog/extremists-use-coronavirus-to-advance-racist-conspiratorial-agendas

[4] www.timesofisrael.com/conspiracy-theory-that-jews-created-virus-spreads-on-social-media-adl-says/

[5] www.aljazeera.com/news/2020/03/iran-leader-refuses-cites-coronavirus-conspiracy-theory-200322145122752.html

[6] “Palestinian Writers: Corona virus is a biological weapon employed by US, Israel against their enemies.” MEMRI, March 24

[7] https://stm.baden-wuerttemberg.de/de/service/presse/pressemitteilung/pid/warnung-vor-antisemitischen-verschwoerungsmythen/

[8] www.weforum.org/agenda/2020/03/coronavirus-conspiracy-theories-false-information-coid19-health/

[9] www.bitchute.com/video/yiTwlJpPXK5O/

[10] https://thehill.com/policy/technology/485427-california-gop-candidate-tweets-coronavirus-conspiracy-theories

[11] www.israelnationalnews.com/Articles/Article.aspx/20819

                                                                                                           

[12] Ibid.

[13] Hadassa Ben-Itto, The Lie That Wouldn’t Die: The Protocols of the Elders of Zion (Edgware, UK: Vallentine Mitchell, 2005).

[14] Erez Uriely, “Jew-Hatred in Contemporary Norwegian Caricatures,”

Post-Holocaust and Anti-Semitism, 50, November 1, 2006.

[15] https://jewishnews.timesofisrael.com/oxfam-pulls-protocols-of-elders-of-zion-from-online-shop/?fbclid=IwAR3mGtm_CEorgdUCIOrAVFkKw5JbmYBsR4YAO-UpfdvR17N93oLVdt-Flwo

[16] Malcolm Hoenlein, personal communication

[17] www.algemeiner.com/2020/03/27/protests-greet-repulsive-painting-by-italian-catholic-artist-depicting-antisemitic-blood-libel/

[18] Raphael Israeli, Blood Libel and its Derivatives: The Scourge of Anti-Semitism. Transaction Publishers 2012.

[19] www.israelnationalnews.com/Articles/Article.aspx/20230

[20] Ibid.

[21] Donald Boström “Våra söner plundras på sina organ” Aftonbladet, August 17, 2009 (Swedish). See also Mikael Tossavainen, “The Aftonbladet Organ-Trafficking Accusations against Israel: A Case Study,” Post-Holocaust and Anti-Semitism, 95, March 1, 2010.

[22] Manfred Gerstenfeld, interview with Richard Landes, “Muslim Conspiracy Theories Affect Jews,” in Demonizing Israel and the Jews (New York: RVP Press, 2013), 151.

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