La plupart des fêtes juives abordent un aspect ou un événement particulier lié à notre peuple (à sa naissance, à son sauvetage des mains de nos ennemis…) et elles mettent l’accent sur des sujets différents. Par exemple, Pessa’h symbolise la liberté, tandis que Souccot se focalise sur la joie. Toutefois, deux fêtes semblent se chevaucher : Chavou'ot et Sim’hat Torah – toutes deux concernent la sublimité de la Torah. Notons également que la fête de Chavou'ot est prescrite par la Torah, tandis que Sim’hat Torah fut instituée par les Guéonim[1]. Pourquoi ces derniers estimèrent-ils nécessaire d’ajouter une fête liée à la Torah[2] ?

L’autre nom qui décrit la fête de Chavou'ot nous aide à répondre à cette question : « Zman Matan Toraténou – le temps du don de la Torah ». L’accent est mis sur le fait qu’Hachem nous donna la Torah, et non sur celui que le peuple juif la reçut. Effectivement, nous ne l’avons pas réellement reçue à Chavou'ot ! Après avoir fait descendre les deux Tables sur lesquelles les Dix Commandements étaient gravés, Moché Rabbénou monta aux Cieux pour apprendre la Torah et il était censé en redescendre pour l’enseigner à la nation, qui allait alors la recevoir. Malheureusement, la faute du veau d’or fit réaliser à Moché Rabbénou que les Bné Israël n’étaient encore pas au niveau de recevoir la Torah et il brisa les Tables. C’est seulement le jour de Kippour, après que Moché fut remonté durant quarante jours supplémentaires pour implorer le pardon d’Hachem, qu’il revint avec de nouvelles Tables. Et ce n’est qu'alors que le peuple juif reçut la Torah.

Sim’hat Torah met l’accent sur la réception de la Torah et sur la joie qu’elle procure. Par contre, la fête de Chavou'ot évoque le cadeau qu’Hachem nous fit en nous la donnant. En ce cas, pourquoi fallut-il fêter ce don de la Torah, en quoi est-ce une étape tellement importante ?

Le texte de Dayénou, que nous lisons dans la Haggada de Pessa’h nous éclaire sur ce point : « Si Tu nous avais amenés jusqu’au mont Sinaï, mais que Tu ne nous avais pas donné la Torah, cela nous aurait suffi. » Nous listons ici les bienfaits qu’Hachem nous a prodigués depuis la sortie d’Égypte et nous précisons que chacun d’entre eux aurait été suffisant, en soi, pour remercier Hachem. Plusieurs commentateurs soulignent que le simple fait de nous avoir amenés jusqu’au mont Sinaï n’était pas un bienfait, mais uniquement un moyen pour atteindre le but – la réception de la Torah. Ainsi, comment aurions-nous pu nous suffire d’arriver au Har Sinaï, sans recevoir la Torah ? On répond que cet événement était nécessaire en soi pour inculquer au peuple juif, crainte et révérence à l’égard d’Hachem, et pour montrer l’importance de la Torah qu’ils allaient recevoir. Ainsi, même si Hachem nous avait seulement amenés au mont Sinaï, sans nous y donner la Torah, cela aurait été un grand bienfait de Sa part.

La Torah exprime cette idée à deux occasions – tout du moins : dans la Paracha de Yitro, Moché Rabbénou dit au peuple que la Torah lui fut donnée « afin que Sa crainte soit sur votre visage et que vous ne commettiez pas de faute »[3]. Aussi, dans la Paracha de Vaét’hanan, il décrit cet événement grandiose comme « le jour où tu t’es tenu devant Hachem, ton D.ieu à ’Horev…"Afin qu’ils apprennent à Me craindre". »[4]

Ainsi, l’arrivée au mont Sinaï ne fut pas un événement ponctuel qui facilita le don de la Torah, mais elle imprégna les Juifs d’une crainte révérencielle qui allait rester gravée en eux éternellement. D’ailleurs, plusieurs Halakhot sont basées sur ce qui s’est passé au mont Sinaï. Par exemple, certains se lèvent durant la lecture de la Torah, à l’instar du peuple juif qui était debout lors du don de la Torah.[5] De même, trois personnes doivent rester autour de la Bima pendant la lecture de la Torah, tout comme les trois « participants » au don de la Torah – Hachem, Moché et le Klal Israël.

Ces idées montrent l’importance de considérer la Torah et sa nature divine, avec crainte. Ceci s’exprime également dans les nombreuses lois quant au respect dû au Séfer Torah – comme le fait de se lever quand on le fait entrer dans la pièce – ou à tout ce qui est lié à la Torah (livres de Torah à ne pas dénigrer, etc.)  Cette attitude devrait même influer sur notre manière d’étudier la Torah, nous faire réaliser qu’il ne s’agit pas d’un livre rédigé par une personne hautement intelligente, mais plutôt de concepts et d’idées d’origine divine.

C’est l’un des points principaux sur lesquels nous devons nous focaliser à Chavou'ot – le don de la Torah fut un événement impressionnant et il doit nous marquer, nous faire révérer la Torah et tout ce qui y a trait.

 

[1] Les Guéonim vécurent après la fin de la rédaction de la Guémara et avant celle des Richonim – environ entre l’an 500 et 1000 de l’ère chrétienne.

[2] Ces questions furent posées par Rav Daniel Fine. L’idée développée ici est basée sur ses explications.

[3] Chémot 20,17.

[4] Dévarim 4,10.

[5] Michna Béroura, Siman 141, s.k 1