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Haïm Korsia: «La thèse du loup solitaire offre un prisme trop commode pour nous exonérer de nos responsabilités»

Haïm Korsia. Jean-Christophe MARMARA / Le Figaro

FIGAROVOX/TRIBUNE - Il faut refuser la thèse du loup solitaire car les loups viennent toujours d’une «meute» qui facilite le passage à l’acte, analyse Haïm Korsia. Selon le Grand Rabbin de France, cette rhétorique permettrait trop facilement de nous éxonérer collectivement de nos responsabilités dans la montée de l’islamisme.

Grand rabbin de France depuis 2014, Haïm Korsia est la grande figure du judaïsme français. Il a notamment publié chez Fayard un livre très engagé pour un responsable religieux, Réinventer les aurores, Plaidoyer pour la République.


Lorsqu’une tragédie nous frappe, nous cherchons à quoi peut-elle ressembler de connu, je dirais presque, de rassurant. Mais rien ne se rapproche du terrible assassinat de Samuel Paty, ni dans sa terrifiante réalité ni dans sa symbolique contre l’Éducation. Et revient la rhétorique du loup solitaire.

A l’évidence oui, les loups sont de retour. Mais non, ils ne sont pas solitaires: les loups chassent toujours en meute, même s’il arrive parfois que l’un d’eux s’en éloigne un peu pour se fondre dans la nuit qui obscurcit les silhouettes et brouille les regards. Face à eux, ceux qui doivent agir, c’est-à-dire nous tous, ne doivent pas partir à la bataille en ordre dispersé. Il nous faut rester unis pour faire face.

D’abord, dire les choses sans les amenuiser ni les déformer: il n’y a pas d’auto-endoctrinement. C’est même précisément l’inverse: dans l’esprit de ces terroristes made in France, c’est l’élection en héros, l’inscription dans une filiation de l’horreur, l’anoblissement promis par une internationale des fanatisés, qui est visé. La thèse du loup solitaire offre un prisme trop commode pour nous exonérer de nos responsabilités et justifier l’apathie générale face à ces attaques répétées.

Il est certain que les choses commencent à changer. Un peu tard, mais tout de même. Nous nommons enfin clairement l’ennemi à combattre, nous osons enfin affirmer nos valeurs sans chercher des compromis qui tombent toujours dans la compromission et nous lançons enfin des opérations et de véritables sanctions qui donnent du poids à la parole de l’Etat.

A l’évidence oui, les loups sont de retour. Mais non, ils ne sont pas solitaires : les loups chassent toujours en meute

Dans cette lutte intransigeante, force doit toujours rester à la loi des hommes, celle qui repose sur la contrainte légitime. Mais il faut également entretenir la foi en l’Homme, porter pour l’ensemble de la Nation un discours de consolidation du lien social. Sans cette convergence entre loi d’airain pour combattre le terrorisme et message d’espérance en l’homme, la battue ne prendra jamais fin car les loups deviendront phœnix et le feu rejaillira sans cesse des cendres. Or, malgré les mots fermes des autorités pour dénoncer ces actes et rappeler la force du pacte républicain, l’indifférence de beaucoup perdure. C’est donc une mobilisation générale de tous qu’il nous faut lancer.

Nous devons redonner confiance aux forces de l’ordre de la République pour livrer contre ce terrorisme une lutte sans merci, sans faiblesse ni relâchement, sans errements ni péchés contre la raison par déni d’une réalité tragique qui a déjà trop tué. Mais sans oublier pour autant de nous adresser aux âmes, aux consciences et à l’humanisme de nos sociétés qui doivent produire de l’espérance, retrouver un rêve commun et, plus simplement, réapprendre à entendre plusieurs voix s’exprimer, certes distinctes, de racines diverses, mais fixées sur un même idéal d’humanité. Ce n’est pas abolir les différences auxquelles nous tenons et qui forgent nos identités, mais c’est retrouver nos valeurs communes.

Et ces valeurs, pour fraternelles qu’elles soient, nous obligent à envisager, si besoin, le combat pour les défendre. Or, sur la délation, la haine et le déchainement de violence sur les réseaux sociaux qui ont méthodiquement et tragiquement précédé, appelé et annoncé l’horrible assassinat de Samuel Paty, nous n’avions pas l’arsenal juridique pour agir au plus vite et avec fermeté. En effet, en censurant l’essentiel de la loi Avia, le Conseil Constitutionnel s’est hélas retranché derrière des concepts, un vocabulaire et finalement des arguments qui ne sont ni adaptées, ni proportionnées aux buts poursuivis par la société. Leur recherche d’un équilibre, vain dans le cas d’espèce, entre liberté d’expression et lutte contre la haine en ligne, est illusoire. Cette décision est donc rétroactivement terrible de conséquence. C’est ce qu’affirme le Talmud en disant: «Ne soyons pas méchants à force de vouloir être bons».

De quoi s’agit-il en effet? La loi du 14 mai dernier portée par Laetitia Avia faisait obligation aux opérateurs de réseaux sociaux de retirer sous 24 heures de leurs sites tout propos haineux. Le Conseil Constitutionnel a délibérément choisi de ne pas sortir des sentiers battus alors qu’il fallait enfin une nouvelle dimension à la lutte contre la haine sur internet qui gangrène pourtant notre société. Il aurait pu saisir cette occasion unique de dépasser le critère juridique de proportionnalité, totalement inopérant en l’espèce, le Conseil Constitutionnel s’est borné à la passivité et au conformisme.

Et ces valeurs, pour fraternelles qu’elles soient, nous obligent à envisager, si besoin, le combat pour les défendre

Au lieu de rompre avec une attitude frileuse et faire preuve de courage et de détermination, les Sages ont préféré se ranger dans le camp de ceux qui ne voient pas la réalité et l’influence des réseaux sociaux. Le Conseil n’a pas voulu admettre et comprendre que la notion de proportionnalité permettait la terrible erreur de considérer la haine, le racisme ou l’antisémitisme comme des phénomènes qu’il ne fallait pas combattre à tout prix alors que c’est le ferment de ce qui mine l’âme des peuples. Cette approche m’est totalement incompréhensible.

Faudrait-il que les forces maléfiques qui peuvent ainsi se déployer bénéficient d’une durable impunité? Un tel pouvoir serait sans précédent dans l’Histoire de l’Humanité, et ses conséquences concrètes totalement inédites, car si récentes, peuvent échapper à l’expérience accumulées de nos plus éminents jurisconsultes.

On me dira, comme pendant les débats sur la loi Avia: quelle est la définition d’un propos haineux? Nous en connaissons maintenant le nom de la victime, c’est Samuel Paty. Je veux, au nom du judaïsme français, exprimer à la famille de Samuel Paty toute notre douleur, notre compassion et notre fraternité. Je pense également à ses élèves, à ses collègues du Bois d’Aulne et à toute la grande communauté éducative du pays. Je demande à l’ensemble des synagogues de France de réciter une prière à sa mémoire ce Chabbat et souhaite que l’ensemble des cultes s’y associent.

J’ai depuis longtemps comparé le racisme et l’antisémitisme à des virus virtuels, propagés par les mots et les cultures, qui contaminent les esprits avec une virulence et une contagiosité qui valent bien celles des pires de leurs congénères quand ils s’attaquent à nos corps. Je ne m’accorde pas ici, en ces temps cruels de pandémie, la facilité de filer plus avant cette métaphore. Je veux néanmoins affirmer que comme la Covid-19, on ne se débarrassera pas du virus de la haine raciste et antisémite par des demi-mesures. Le virus de la haine doit être éradiqué par les voies les plus expéditives et les plus fermes.

Les grands maux de l’heure, matériels et spirituels, appellent de grands remèdes

Peut-être le temps viendra-t-il d’un vaccin, par l’éducation, mais à défaut, c’est le temps des traitements par la sévérité. Comme pour la Covid-19, il faut imposer les gestes barrières-verbales les plus définitifs, confiner les clusters culturels-racistes sans le moindre interstice, couper sans ménagement les chaînes de transmission haineuses, pilonner sans nuance et sans état d’âme le moindre brin de résurgence. Seule différence: ne jamais s’en laver les mains, l’indifférence étant coupable au plus haut degré.

Les grands maux de l’heure, matériels et spirituels, appellent de grands remèdes et les plus traditionnelles pharmacopées, dans tous leurs dosages, seraient-ils héritées du Siècle des Lumières, ont amplement prouvé leur utilité thérapeutique face au racisme. Le racisme et l’antisémitisme sont des comorbidités dont, face à tant d’autres périls qui nous menacent, il faut désormais nous débarrasser en priorité.

Voilà pourquoi j’appelle à réécrire une partie du texte, mais à ne surtout pas abandonner cette loi Avia qui permettra de lutter contre la haine sur internet avec des glaives d’acier et non pas avec des sabres de papier.

Il nous appartient d’être totalement déterminés à être nous-même, à être la République, à être la France.

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