"Selon Benny Lévy, la laïcité marque la fin de la philosophie"

Né au Caire en 1945, Benny Lévy a été le chef de file des maoïstes en France, puis le secrétaire de Jean-Paul Sartre, avant de se pencher sur les études talmudiques. - DR
Né au Caire en 1945, Benny Lévy a été le chef de file des maoïstes en France, puis le secrétaire de Jean-Paul Sartre, avant de se pencher sur les études talmudiques. - DR
Né au Caire en 1945, Benny Lévy a été le chef de file des maoïstes en France, puis le secrétaire de Jean-Paul Sartre, avant de se pencher sur les études talmudiques. - DR
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Dans le cadre de la programmation spéciale de France Culture pour la journée de la laïcité, ce 9 décembre, le philosophe René Lévy développe les réflexions de son père, le penseur Benny Lévy, sur le concept de laïcité.

Avec
  • René Lévy Chercheur au CNRS rattaché au CESDIP (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales).

« Article 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit la liberté des cultes (…) ». Le 9 décembre 1905, la loi concernant la séparation des Eglises et de l’Etat est promulguée. Elle entrera en vigueur le 1er janvier 1906. Comme chaque année, le 9 décembre est l’occasion d’une commémoration officielle de la loi, rendue particulièrement sensible à la suite de l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre dernier. A cette occasion, France Culture se penche sur les significations de la laïcité depuis 1905 à nos jours. Pour continuer d'explorer cette notion plurielle, René Lévy, philosophe et fils du penseur Benny Lévy, se demande si laïcité et religion sont fondamentalement opposées.

"La laïcité marque la fin d'un ordre du monde"

Si l'on entend par religion un certain rapport à la transcendance, alors oui, car si l'on en croit Benny Lévy, la laïcité est la destruction de la transcendance. Pour lui, la laïcité elle est la fin de la philosophie : à la fois son but ultime depuis sa genèse, et son achèvement, son terme. La laïcité marque la fin d'un certain ordre du monde.              
René Lévy 

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Cette conception de la laïcité, telle que donnée par Benny Lévy lors de son dernier séminaire intitulé La pensée du retour (paru en octobre 2020 aux éditions Verdier), si elle peut bien sûr être remise en question, est un héritage direct de la pensée du philosophe Emmanuel Levinas, précise René Lévy

Laïcité et religion : distinctions conceptuelles de Sartre à Levinas

La définition de la laïcité de Benny Lévy est tirée des textes d'Emmanuel Levinas, notamment du texte Etre juif, à partir duquel il a écrit son propre livre avec le même titre. Dans le Etre juif de Levinas comme dans celui de Benny Lévy, il y a l'idée que le juif est celui qui sort de l'être et de l'ordre du monde. Et paradoxalement, l'être juif est absolument passif. L'expression de Levinas est très belle : Le juif exprime la passivité plus passive que la passivité. Une passivité qui ne se ressaisit pas sous forme d'une activité, d'une assomption, comme elle le ferait chez Sartre. En effet, chez ce dernier, le juif authentique, c'est l'homme jeté dans la situation juive et qui assume cette situation. S'il y a donc un ressaisissement chez Sartre, Levinas critique cette position et définit au contraire le juif comme la pure passivité, comme le sujet pur.              
René Lévy 

Le sujet pur, explique le philosophe René Lévy, est chez Levinas comme chez Benny Lévy, toujours conceptualisé en opposition à l'Humain. La laïcité est considérée comme le dispositif de l'humain. Benny Lévy la considère comme synonyme de l'Empire (romain) en ce qu'elle tend à réduire tous les hommes à l'Humain. 

Ainsi, l'homme de la laïcité, c'est l'homme fait de tous les hommes. C'est pourquoi l'Etat laïc ne peut tolérer le moindre séparatisme : il ne peut tolérer qu'une modalité de l'Humain fasse scission. Cette vision impériale de Benny Lévy sur la laïcité rencontre un obstacle : le juif. Le juif n'est pas réductible à l'humain. Le fameux Gaulois de Goscinny (Astérix)est une métaphore inconsciente du juif irréductible dans l'Empire romain. C'est de là que vient ce qu'on a appelé au 19ème siècle la question juive.              
René Lévy

Y a-t-il une solution à la question juive qui ne soit pas finale ? Mon père Benny Lévy n'en voyait pas, d'où sa rupture avec l'Occident comme tel. Il n'a jamais rompu avec la philosophie, il affirmait qu'il fallait pousser la philosophie jusqu'à ses conséquences ultimes, jusqu'à sa fin, et que c'est une fois que l'on a constaté cette fin que la pensée du retour peut se déployer.              
René Lévy

Selon René Lévy, on peut envisager une conception de la laïcité qui ne soit plus une laïcité générale, mais une laïcité restreinte. Autrement dit, une laïcité indifférente aux espèces religieuses qui, par son indifférence, ne serait pas hostile à l'égard des formes de religion, mais au contraire, qui ferait preuve d'une hospitalité "souveraine" à l'égard des hommes de toutes religions. "Voire à l'égard de Dieu lui-même, si Dieu il doit y avoir", conclue le philosophe.

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