Face à Israël, l’Iran invoque la solidarité envers la Palestine, le monde arabe la trahissant

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Ayatollah Ali Khamenei - Sputnik Afrique, 1920, 25.10.2021
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L’Iran appelle à revenir sur les accords de normalisation que plusieurs pays arabes ont conclu avec Israël. Or ce partenariat stratégique semble s’inscrire dans la durée, au détriment de Téhéran et surtout de la cause palestinienne.
L’Iran ne décolère pas. Plus d’un an après les accords d’Abraham, normalisant les relations entre plusieurs États arabes et Israël, le guide suprême iranien est monté au créneau. Dans un discours à l’occasion d’une fête musulmane, le 23 octobre, à Téhéran, Ali Khamenei a déclaré: "Certains gouvernements ont fait malheureusement des erreurs, de grosses erreurs et péché en normalisant [leurs relations]avec le régime sioniste usurpateur et oppresseur. C’est un acte contre l’unité islamique, ils doivent revenir en arrière et rattraper cette grosse erreur."
Depuis la proclamation de la République islamique, en 1979, l’Iran refuse de reconnaître l’État hébreu. Ainsi, cette nouvelle alliance géopolitique a bouleversé l’échiquier régional. Des pays arabes se sont alliés avec Israël pour s’opposer à l’Iran. Sous la houlette de Donald Trump et de son gendre Jared Kushner, le Bahreïn et les Émirats arabes unis ont signé à Washington le 15 septembre 2020 un accord de normalisation avec Tel-Aviv. Ce partenariat répond à des intérêts commerciaux communs. Il atteste surtout des inquiétudes sécuritaires concernant Téhéran.

"L’Iran se sent visé"

"Dans la psychologie iranienne, ces accords sont perçus comme une sorte d’encerclement", affirme Michel Makinsky, chercheur associé à l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE) et spécialiste de l’Iran.
"L’Iran a perçu ces accords avec beaucoup de contrariété. L’Iran se sentait menacé par ses accords économiques et sécuritaires. Mais ils ont une portée différente selon les États du Golfe avec des transferts de technologie, des partenariats pour la lutte contre le terrorisme et automatiquement l’Iran se sent visé", souligne-t-il au micro de Sputnik.
Et il y a de quoi s’inquiéter! Lors de sa visite au Bahreïn fin septembre, le ministre israélien des Affaires étrangères évoquait un front commun entre Israël et les pays arabes face à l’Iran. "Nos opportunités sont partagées. Nos menaces sont également partagées, et elles ne sont pas loin d’ici", faisait remarquer Yaïr Lapid. Dans le sillage de cette rencontre, il a également mentionné la possibilité de mener des actions conjointes contre les drones et les mines ventouses iraniennes. Pour contrer cette menace, l’US Navy, a déjà lancé en septembre une force opérationnelle, dotée de drones aériens et navals. Une possibilité d’intervention qui passera par ""l’intégration rapide de systèmes sans pilote et de l’intelligence artificielle aux opérations maritimes dans la région""
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Une visite qui n’avait pas manqué de provoquer l’ire de Téhéran. "L’accueil honteux par les dirigeants de Bahreïn d’une autorité du régime d’occupation de Jérusalem allait contre la volonté de leur peuple", a précisé le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saeed Khatibzadeh.
Mais le partenariat stratégique serait surtout développé avec les Émirats arabes unis.
"Les Émirats arabes unis ont une coopération très avancée avec Israël, mais ils essayent de trouver un équilibre avec les échanges iraniens. Il faut se garder de tout schématisme et de tout manichéisme", nuance Michel Makinsky.
En un an, le montant des échanges d’Abou Dhabi avec Israël a dépassé les 600 millions de dollars (hors investissements). Les secteurs concernés? L'aviation, les services financiers, la cybersécurité et la culture. D’ailleurs, l’entreprise militaire émiratie Edge a signé un accord avec Israeli Aerospace Industry pour la mise au point d'un système anti-drones.
Pour éviter un isolement régional, Téhéran remet en cause ce partenariat, évoquant l’abandon de la cause palestinienne par certains pays arabes.

Mais il y aurait au moins une bonne nouvelle pour l’Iran

"Si l’unité des musulmans est réalisée, la question palestinienne sera définitivement résolue de la meilleure façon", a affirmé l’ayatollah Khamenei. Une posture politique évidente, pour notre interlocuteur: "C’est pour combler le vide et satisfaire un certain public, mais les moyens d’actions des Iraniens à l’égard des Palestiniens sont limités. C’est beaucoup de dialogue mais ça ne trompe personne." Pourtant, ces accords avec Israël sont loin d’avoir fait consensus auprès des populations locales. À Manama et à Dubaï, la rue a critiqué le marchandage de la cause palestinienne. Leurs dirigeants l’entendent d’une autre oreille:
"Il ne faut pas oublier la fois où Yasser Arafat [ancien leader de l’Organisation de libération de la Palestine, ndlr] a soutenu l’Irak de Saddam Hussein dans son intervention au Koweït [en 1990, ndlr], c’est une tache indélébile pour certaines monarchies du Golfe", rappelle Michel Makinsky.
En dépit de l’opposition des populations, ces accords avec Tel-Aviv seraient voués à s’étendre. Le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salmane, ne cacherait pas son souhait de nouer un partenariat stratégique avec l’État hébreu. Il a même rencontré l’ancien Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou à Neom, sur le littoral saoudien en novembre 2020. Mais, à l’heure actuelle, rien ne serait encore entériné. "Tant que le roi Salmane est en vie, il n’y aura pas de normalisation sans État palestinien. Compte tenu de la politique israélienne, un rapprochement n’est pas pour tout de suite", avance Michel Makinsky.
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De surcroît, même en Irak, des voix s’élèvent pour intégrer les accords d’Abraham. Sous la houlette d’un cercle de réflexion américain, le Center for Peace Communications (CPC), plusieurs personnalités irakiennes ont plaidé pour un rapprochement avec l’État hébreu.
Malgré ces convergences arabo-israéliennes, Téhéran ne serait pas nécessairement perdant sur toute la ligne.
"Avec ces accords d’Abraham, il y a deux aspects, le verre à moitié plein et le verre à moitié vide. Indépendamment de cet encerclement, les Iraniens constatent que c’est une matérialisation progressive du désengagement américain", conclut Michel Makinsky.
En définitive, ce processus de normalisation serait-il donc pour l’Iran un mal pour un bien?
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