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«Nous, habitants d'Israël, exprimons notre inquiétude quant à la fuite en avant de ce pays»

«En exposant au reste du monde nos avis critiques, nous craignons qu'ils soient récupérés par certains politiciens mal intentionnés.»
«En exposant au reste du monde nos avis critiques, nous craignons qu'ils soient récupérés par certains politiciens mal intentionnés.» AHMAD GHARABLI / AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Les frasques de certains élus israéliens et le maintien de la réforme des institutions judiciaires, contre l'avis de l'opinion, oblige le peuple d'Israël à faire entendre sa voix, explique l'ancien journaliste Julien Bahloul.

Franco-israélien, Julien Bahloul a été journaliste à I24 News. Dans le passé, l'auteur a par ailleurs servi en tant que réserviste dans l'unité du porte-parole de Tsahal. Désormais business development manager dans une entreprise high-tech israélienne à Tel Aviv, il analyse régulièrement l'actualité israélienne sur Twitter et dans plusieurs médias français.


«Peux-tu m'expliquer ce qui se passe en Israël ?». Combien de fois ai-je reçu ce message au cours des douze dernières semaines. Douze semaines au cours desquelles la société israélienne s'est profondément divisée. Non pas cette fois à cause d'une concession territoriale, comme dans les années 1970 avec l'Égypte, ou dans les années 1990 avec l'Autorité palestinienne. Cette fois les Israéliens se déchirent sur une question qui concerne l'avenir de leur société : la place de la justice dans l'équilibre des pouvoirs, si crucial dans une démocratie, entre exécutif, judiciaire et législatif.

Les repas de shabbat en famille s'enflamment en une seconde, le ton monte autour de la machine à café au bureau, les mots fusent dans les deux camps : traîtres, anarchistes, fascistes, élitistes, racistes… Les manifestations s'enchaînent, parfois plusieurs fois par semaine. Les Israéliens, si peu habitués aux mouvements sociaux, qui ne protestent pas lorsque l'âge de la retraite est repoussé, sortent dans la rue par dizaines de milliers, drapeaux d'Israël à la main. De jour comme de nuit, sous la pluie ou le soleil. Pour la plupart d'entre eux, c'est la première fois qu'ils manifestent. À mesure que le temps passe chacun est prié, sommé même, de prendre position. Les artistes qui se taisent sont pris à partie.

Et le monde nous regarde, médusé, sans voix face à une société israélienne qui a traversé tant d'épreuves et qui a toujours impressionné par sa résilience. Ces Israéliens frappés par tant de guerres et d'attentats mais qui ont épaté de nombreux pays par leur capacité de reprendre une vie normale, si vite, à continuer de vivre quoi qu'il arrive, ces mêmes Israéliens aujourd'hui seraient au bord du gouffre selon certains.

Les frasques racistes et homophobes de certains élus israéliens d'extrême droite ainsi que la première version du projet de réforme de la justice nous imposent de parler, d'exprimer notre attachement à l'État d'Israël et notre inquiétude pour son avenir.

Julien Bahloul

Au-delà des journalistes et des observateurs, les amis d'Israël ressentent un profond malaise. Juifs ou non, ceux qui ont toujours admiré cette forte démocratie, ceux qui ont un proche dans le pays, ceux qui ont un lien spirituel, culturel, politique ou tout simple affectueux pour l'État d'Israël ne savent que penser. Et certains se posent cette question : doit-on parler ? Sommes-nous légitimes pour nous exprimer ?

Pour ces personnes vivant à l'étranger, la règle qui était de mise était la suivante : on ne lave pas le linge sale en public. En particulier pendant les périodes de guerre. Les amis de l'extérieur doivent soutenir cet État dont la sécurité est systématiquement menacée. Seuls ceux vivant sur place sont légitimes pour exprimer leurs désaccords et leurs critiques. Eux vivent la réalité, eux effectuent leur service militaire, subissent les attaques, eux seuls ont le droit de parler.

J'ai moi-même suivi cette ligne très longtemps. En dehors de quelques sujets, je gardais mes opinions sur la politique intérieure pour les débats en hébreu…et pour l'isoloir le jour des élections (si nombreux ici…).

Une des raisons est simple à comprendre : en exposant au reste du monde nos avis critiques, nous craignons qu'ils soient récupérés par certains politiciens mal intentionnés. Aucun de nous n'a envie de donner de l'eau au moulin de la propagande anti-israélienne grotesque d'élus comme la député LFI Ersilia Soudais qui parle de déportation pour désigner l'expulsion de Salah Hamouri, ou bien de Louis Boyard qui utilise le mot «massacre» au sujet d'un raid de Tsahal contre le djihad islamique (reconnu terroriste par l'UE)...et qui ne dit pas un mot de solidarité lorsque, quelques jours plus tard, sept civils israéliens sont assassinés à la sortie d'une synagogue à Jérusalem.

Mais la situation actuelle a changé et a contraint beaucoup d'entre nous, moi y compris, à sortir de notre silence. Les frasques racistes et homophobes de certains élus israéliens d'extrême droite (qui ne représentent en rien l'essentiel de la société israélienne) ainsi que la première version du projet de réforme de la justice (qualifiée de «danger pour la démocratie» par le président de l'État) nous imposent de parler, d'exprimer notre attachement à l'État d'Israël et notre inquiétude pour son avenir.

Le modèle des manifestations en Israël peut servir d'inspiration : tout est fait pour montrer qu'il s'agit d'une mobilisation de fiers patriotes.

Julien Bahloul

Récemment, j'ai reçu un message privé sur Twitter d'un responsable communautaire juif me reprochant d'avoir écrit contre les propos racistes et homophobes du ministre des Finances Smotrich. Ses mots étaient les suivants : «Constatez par vous-même combien et comment ce type de tweet génère la haine d'Israël». Je comprends sa sincère inquiétude, mais nous ne pouvons plus accepter ce type de chantages.

Il y aura toujours des voix extrémistes, de gauche comme de droite, religieuse ou non. Reprocher à ceux qui parlent d'attiser la haine d'Israël est un constat erroné et dangereux. Ceux qui portent atteinte à l'image du pays ce sont ces élus qui tiennent des propos insupportables, pas ceux qui les condamnent. On ne reproche pas à la sirène d'alerte incendie d'être à l'origine du feu. Quelle crédibilité a-t-on dans le combat contre l'antisémitisme, par exemple, si l'on se tait lorsque sous nos yeux des propos inadmissibles sont tenus ? Je refuse de leur laisser le monopole de la parole.

Les amis d'Israël un peu partout dans le monde, juifs ou non, se demandent aujourd'hui s'ils doivent réagir sur la question de la réforme de la justice. La question est légitime, ils sentent que l'avenir du pays les engage également, dans leur lien au pays. Ils se demandent aussi, surtout, comment le faire sans que leur prise de position ne soit reprise par la propagande anti-israélienne.

Le modèle des manifestations en Israël peut servir d'inspiration : tout est fait pour montrer qu'il s'agit d'une mobilisation de fiers patriotes. Les drapeaux bleus et blancs sont distribués par milliers, les orateurs à la tribune sont d'anciens gradés de l'armée, les chants entonnés sont patriotiques… Si le mouvement continue de s'étendre à l'étranger (comme c'est déjà le cas dans certaines villes), il doit s'inspirer de ce qui se passe dans les rues d'Israël et surtout veiller à se tenir à distance de faux amis mal intentionnés en quête de récupération politique. Ne pas se tromper d'alliés. Ne pas oublier que pour certains, le problème ne sera jamais la politique du gouvernement israélien, mais bel et bien l'existence du pays et son drapeau.

Aux vrais amis d'Israël, juifs et non juifs, sincèrement inquiets face aux divisions de la société israélienne, la réponse à leurs interrogations se trouve peut-être dans la Bible, dans le Livre d'Isaïe : «Pour l'amour de Sion je ne me tairai point. Pour l'amour de Jérusalem je ne prendrai point de repos» (Ésaïe 62:1-5). Les divisions finiront par passer, les Israéliens par se retrouver.


«Nous, habitants d'Israël, exprimons notre inquiétude quant à la fuite en avant de ce pays»

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3 commentaires
  • Klakmuf

    le

    La gauche israélienne, laminée dans les urnes pour cause d'angélisme envers les terrocrates palestiniens, tente d'inverser les résultats électoraux dans la rue. En soutenant une bien mauvaise cause: celle d'une magistrature cooptée qui, comme en France, interfère sur les décisions de l'exécutif au détriment de la volonté du peuple. Cette gauche a servi d'agent électoral aux très minoritaires extrémistes de droite.

  • Bertrand lyon 44ans

    le

    Des juges non élus ne doivent pas avoir plus de pouvoirs que les politiques élus. C'est de la démocratie.

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