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Impasses palestiniennes (3/3)

Accords d’Abraham : "Les leaders palestiniens ne réalisent pas que la région est en train de changer"

De passage à Paris, l’ancien négociateur palestinien et avocat spécialisé dans les droits de l’Homme Ghaith al-Omari, fervent défenseur de la solution à deux États, a accordé un entretien à France 24. Ce troisième et dernier volet est consacré aux accords d’Abraham, qui ont scellé le rapprochement entre Israël et plusieurs pays arabes.

Une fresque représentant l'amitié entre les Émirats arabes unis et Israël lors d'une exposition commémorant l'Holocauste à Dubaï, le 26 mai 2021.
Une fresque représentant l'amitié entre les Émirats arabes unis et Israël lors d'une exposition commémorant l'Holocauste à Dubaï, le 26 mai 2021. © Kamran Jebreili, AP (illustration)
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Avocat spécialisé dans les droits de l’Homme, chercheur éminent au sein du groupe de réflexion du Washington Institute for Near East Policy, Ghaith al-Omari est un acteur reconnu du processus de paix israélo-palestinien, au point mort depuis 2014.

L'ancien négociateur palestinien, présent notamment au sommet de Camp David en 2000 et aux pourparlers de Taba en 2001, fut conseiller du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas jusqu’en 2006. Il était de passage à Paris en mars pour la présentation du projet "Murmuré depuis Gaza", une série de courts-métrages animés, à l'Assemblée nationale.

L'ancien négociateur palestinien Ghaith al-Omari, le 22 mars 2023 à Paris.
L'ancien négociateur palestinien Ghaith al-Omari, le 22 mars 2023 à Paris. © Marc Daou, France 24

L’occasion pour Ghaith al-Omari d’accorder un long entretien à France 24. Après avoir abordé le désarroi de la jeunesse palestinienne et la situation politique en Cisjordanie occupée et l’avenir du leadership palestinien, il se penche dans ce troisième et dernier volet sur les accords d’Abraham signés en 2020, sous l'égide des États-Unis.

 

France 24 : Alors que la cause palestinienne reste populaire dans la rue arabe, les pays signataires des accords d’Abraham ont ouvert une nouvelle ère dans la région. Est-ce aux dépens des Palestiniens ?

Ghaith al-Omari : Je ne pense pas que les signataires de ces accords aient tourné le dos aux Palestiniens. Nous assistons à une toute nouvelle façon de faire de la politique au Moyen-Orient, impulsée par les pays du Golfe. Ainsi, les pays arabes qui se sont engagés dans cette voie l'ont fait au nom de leurs intérêts légitimes, et ils ont tout à fait le droit de le faire. Je pense que les leaders palestiniens ne réalisent pas que la région est en train de changer. Ils vivent toujours dans le passé, pensant toujours que les jours de Gamal Abdel Nasser [le président égyptien porte-flambeau du panarabisme, NDLR] reviendront. Or ils ne reviendront pas. Le bon vieux temps des idéologies disparaît lentement, les temps du panarabisme, du panislamisme, du nassérisme ne sont plus dominants. 

C'est une réalité. La question qui se pose donc aux Palestiniens, alors que tout le monde est concentré sur ses propres intérêts, est de savoir s'ils peuvent trouver un moyen de tirer profit de la nouvelle donne, ou s'ils se contentent de rester sur la touche et regarder l'Histoire passer devant eux. Je pense qu'il y a des moyens d'en tirer profit. J'ai été négociateur palestinien et je peux vous dire que lorsque nous avions besoin de faire pression d’une manière efficace sur le gouvernement israélien, nous faisions d'abord appel à Washington, bien sûr, puis ensuite à Amman et au Caire. Pourquoi ? Parce que les pays arabes qui ont des relations avec Israël ont aussi des leviers pour faire pression sur ses dirigeants. Aujourd'hui, de nouveaux pays arabes disposent de nouveaux leviers. N'oublions pas que les Émirats arabes unis ont signé les accords d'Abraham avec Israël à condition que le gouvernement israélien cesse les annexions de territoires palestiniens. En quelque sorte, ils ont donc déjà fait leur part. Les dirigeants palestiniens ont donc le choix entre aller voir ces pays et leur dire qu’ils respectent leurs décisions de nouer des liens avec Israël, et voir comment ils peuvent bénéficier de ces accords, ou alors faire ce qu'ils font actuellement, c'est-à-dire condamner cette nouvelle donne et refuser de s'y associer.

Quels peuvent être ces bénéfices pour les Palestiniens ?

S'ils s'engagent, ils obtiendront un soutien politique arabe accru. Nous avons récemment vu, durant le mois de février, que les Émirats arabes unis étaient prêts à parrainer une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU pour soutenir les Palestiniens contre la construction et l’expansion de colonies israéliennes. Au-delà du soutien politique, il peut également y avoir des possibilités dans le domaine économique. Je vais prendre un exemple. Il y a deux ans, Israël, la Jordanie et les Émirats ont signé un accord en partant d’une équation à résoudre : les Israéliens sont en pointe dans le domaine de la désalinisation de l'eau de mer, mais ont de gros besoins en électricité, en particulier dans le sud du pays. De son côté, la Jordanie est un leader régional en termes de production d'énergie propre, en partie grâce à l’énergie solaire, mais reste l’un des pays les plus pauvres en eau. Quel fut donc le marché conclu ? Construire des champs solaires en Jordanie et des usines de dessalement en Israël, de sorte que les uns et les autres exportent de l'électricité et de l'eau pour répondre aux besoins de chacun. Ce sont les Émirats arabes unis qui financent le tout, sachant que tout excédent vendu commercialement rapporterait de l'argent aux Émiratis. C'est un accord triplement gagnant. Or les Palestiniens auraient été de parfaits candidats pour ce genre de deal. Il y a beaucoup d'idées de projets comme celle-ci qu’ils peuvent intégrer. Il y a beaucoup à gagner, mais ils doivent faire le choix d'adhérer à la nouvelle réalité. La région change et ces accords d’Abraham sont là pour rester – d’ailleurs, on peut voir que malgré la tension actuelle entre le gouvernement israélien et ses partenaires arabes, leurs relations économiques et sécuritaires continuent à se développer. 

Au regard de la donne politique actuelle en Israël, ces accords d’Abraham jouent-ils un rôle dissuasif à l’égard du gouvernement le plus à droite de l’histoire israélienne ?

Les considérations politiques israéliennes resteront principalement d'ordre intérieur, comme pour tous les pays de la planète. Mais avec les accords d'Abraham, Israël doit désormais réfléchir à deux fois avant de prendre certaines décisions. Je peux vous dire de source officielle israélienne que le Premier ministre Benjamin Netanyahu, l'establishment diplomatique et la communauté du renseignement israéliens sont très sensibles aux critiques émanant des Émirats arabes unis, de Bahreïn et du Maroc. Les Israéliens se sont presque habitués aux critiques en provenance de l'Égypte et de la Jordanie. Ils ne les prennent pas tellement au sérieux, mais lorsque leurs nouveaux partenaires émettent des critiques, ils les écoutent parce que ces accords sont très populaires en Israël. Nous savons par exemple que le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, voudrait multiplier les provocations à Jérusalem. Or c'est la crainte de voir les Émirats arabes unis, qui ont développé des relations très profondes et très rapides avec Israël, couper les relations qui pousse Benjamin Netanyahu à faire pression sur son ministre pour qu'il s'abstienne de passer à l’action. Il ne réussit pas tout le temps, il ne veut peut-être pas réussir tout le temps, mais cela met une nouvelle pression sur Israël. Sans elle, je pense que les éléments extrémistes de ce gouvernement seraient beaucoup plus forts qu'ils ne le sont aujourd'hui.

D’un point de vue plus général, le conflit israélo-palestinien, autrefois question centrale des relations internationales, semble avoir été relégué au statut de simple conflit régional. Partagez-vous ce constat ? Ce déclassement a-t-il facilité la conclusion des accords d’Abraham ? 

Aujourd'hui, lorsque la communauté internationale observe le monde, elle y voit des menaces bien plus importantes : la guerre en Ukraine, la montée en puissance de la Chine, la menace nucléaire iranienne – sans parler des situations au Yémen, en Syrie et en Libye. En termes de risques, la question israélo-palestinienne qui nous concerne a donc été éclipsée par d’autres conflits. Dans les années 1990 et jusqu’au début des années 2000, il y a eu un sens de l’opportunité, l'idée que si vous investissez politiquement dans le conflit israélo-palestinien, vous pouvez obtenir des résultats. Aujourd'hui, il n'y a plus cette possibilité : les Occidentaux et les acteurs régionaux ont compris que les Palestiniens sont trop faibles pour conclure un accord, et que les Israéliens ne sont pas intéressés par cette perspective. Les leaders politiques cherchent donc des opportunités ailleurs, et c'est pourquoi les accords d'Abraham sont populaires. Si vous êtes un dirigeant, voudriez-vous vous engager dans quelque chose qui va échouer ? Alors oui, le monde est passé à autre chose. Et c'est en fin de compte aux Palestiniens et aux Israéliens de convaincre le monde de se réengager sur ce dossier. Paradoxalement, les politiques extrémistes et parfois racistes de l’actuel gouvernement israélien attirent l'attention et suscitent beaucoup de réactions internationales. Il est presque sans précédent que l'ambassadeur d'Israël soit convoqué au département d'État à Washington, comme il le fut récemment. Même les nouveaux alliés d'Israël, comme les Émirats arabes unis, se retrouvent à le critiquer en permanence. C'est une chose d'ignorer ce conflit, mais si la situation dégénère, en particulier du côté de Jérusalem, cela peut avoir des répercussions sur le monde arabe et le monde musulman. C'est donc un rappel que cette question ne peut pas être complètement ignorée.

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