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Proche-Orient en ébullition

Le Hezbollah, combien de divisions ?

L’État hébreu a commencé à évacuer des localités à sa frontière avec le Liban en prévision de l’ouverture éventuelle d’un affrontement avec le Hezbollah. L’armée israélienne redoute d’avoir à se battre au sud contre le Hamas et au nord contre ce mouvement pro-iranien à la force de frappe sans égal dans la région pour un acteur non étatique. Mais que sait-on réellement des capacités militaires du Hezbollah ?

Des combattants de la branche armée du Hezbollah s'entraînant à Aaramta, un village du sud du Liban, en mai 2023.
Des combattants de la branche armée du Hezbollah s'entraînant à Aaramta, un village du sud du Liban, en mai 2023. © Hassan Ammar, AP
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Il a promis un "jour de colère contre l’ennemi" ce mercredi 18 octobre. Le Hezbollah, mouvement islamiste politico-militaire pro-iranien, appelle à d’importantes manifestations au Liban contre Israël, tenu pour responsable du bombardement d’un hôpital civil à Gaza mardi soir.

Une rhétorique qui suggère une montée en puissance de la menace venue du sud du Liban pour Israël, alors que son armée envisage toujours une offensive terrestre dans la bande de Gaza contre le Hamas.

Une force de frappe digne d'un pays ?

Cette promesse d’un "jour de colère" intervient aussi alors que l’Iran, principal sponsor du Hezbollah, a multiplié les mises en garde. Hossein Amir-Abdollahian, le ministre iranien des Affaires étrangères, a averti lundi que des "actions préventives" de l’axe dit "de la résistance" contre Israël – une alliance informelle entre l’Iran, le Hezbollah et des factions palestiniennes – devenaient de plus en plus probables. Sur X (anciennement Twitter), Mohammad Jamshidi, l’un des conseillers politiques du président iranien Ebrahim Raïssi, a pour sa part ajouté qu’une opération terrestre israélienne à Gaza entraînerait "‘l’ouverture d’un nouveau front" militaire.

Israël a d’ailleurs évacué depuis lundi près d’une trentaine de localités de Haute-Galilée, situées non loin de la frontière avec le Liban, en réponse à la hausse du nombre de roquettes tirées par le Hezbollah. "Nous sommes clairement sur le second échelon de l’échelle d’escalade des tensions [avec le Hezbollah, NDLR]", a résumé sur X Heiko Wimmen, spécialiste de la région du Levant pour l’International Crisis Group, une ONG spécialisée dans le suivi des conflits.

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Israël prend en effet la menace du Hezbollah très au sérieux. "En juin dernier, Gadi Eizenkot, ancien chef d'état-major des Forces de défense israéliennes (IDF) et membre actuel du Cabinet de sécurité israélien, avait assuré que seule une poignée de pays dans le monde détiennent une force de frappe militaire comparable à celle du Hezbollah", souligne Omri Brinner, spécialiste du Moyen-Orient à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona, un collectif international d’experts des questions de sécurité internationale. "La 'Résistance islamique', c’est-à-dire le bras armé du Hezbollah, est sans conteste la milice la plus puissante de la région", ajoute Didier Leroy, spécialiste du Hezbollah et des mouvements islamistes à l’École royale militaire de Belgique et à l’Université libre de Bruxelles.

Des chiffres à prendre avec des pincettes

Si tout le monde s’accorde sur la puissance militaire de ce mouvement chiite, il est beaucoup plus compliqué d’avoir une idée précise de sa force de frappe. "Cela fait partie de la stratégie du Hezbollah de garder autant que possible le secret autour de sa branche armée, et tous les chiffres avancés relèvent de la spéculation", avertit Filippo Dionigi, spécialiste du Hezbollah à l’université de Bristol.

Cette obsession du secret remonte à l’après-2006 et la dernière guerre contre Israël au Liban, souligne Yiftah Shapir, spécialiste des questions militaires au Moyen-Orient à l’Institut israélien d'études sur la sécurité nationale (INSS), dans une note consacrée au "Hezbollah en tant qu’armée" publiée en 2017.

Lors de cet affrontement, le Hezbollah avait fait étalage de toute sa puissance de feu. Un conflit qui lui avait coûté cher en équipements, roquettes et hommes, et qui avait permis à l’État hébreu d’avoir une image précise du danger que cette force militaire pouvait représenter. D’où un effort pour reconstituer ses stocks et se renforcer aussi loin que possible des yeux et des oreilles de l’armée et des services de renseignement israéliens, détaille Yiftah Shapir.

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L’armée israélienne estime ainsi que les rangs du Hezbollah sont passés d’environ 1 000 militants armés en 2006 à actuellement "environ 25 000 combattants à temps plein, et potentiellement un nombre de réservistes ou sympathisants qui peut aller jusqu’à 100 000 personnes si l’on en croit Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah", détaille Didier Leroy.

Des chiffres à prendre avec des pincettes, tant la propagande d’un côté ou de l’autre peut avoir intérêt à amplifier ou minimiser les troupes sous les ordres de Hassan Nasrallah. Mais les estimations des différents experts interrogés par France 24 ne se font pas non plus uniquement sur la base des dires de l’un ou l’autre camp. À ce titre, le conflit en Syrie a constitué un tournant pour la branche armée du Hezbollah et la compréhension de sa capacité militaire.

Le tournant de la guerre en Syrie

"À partir de fin 2012 et officiellement en 2013, le Hezbollah a démontré en Syrie sa capacité de déploiement de combattants hors du Liban. Selon les estimations existantes, le mouvement en a envoyé entre 2 000 et 3 000 par mois – en mettant en place un système de rotation – qui ont prouvé leur qualité au combat aux côtés du régime de Bachar al-Assad", analyse Filippo Dionigi.

Pour les membres de la "Résistance islamique", la Syrie a représenté un baptême du feu qui "leur a permis d’engranger une réelle expérience de terrain", souligne Omri Brinner. "Cette guerre a permis à la branche armée du Hezbollah de passer du statut de milice locale associée au territoire libanais à celui de milice d’envergure régionale", résume Didier Leroy.

Les combats dans les villes syriennes ont aussi beaucoup appris à ces combattants sur ce que Didier Leroy appelle la "techno-guérilla en milieu urbain". Autrement dit, ils sont dorénavant versés dans l’art d’utiliser les armements modernes – comme les drones par exemple – dans le contexte des affrontements en ville. Une expérience qui pourrait s’avérer utile si le Hezbollah tentait, à l’occasion d’une guerre contre l’État hébreu, d’occuper des localités israéliennes, assurent les experts interrogés par France 24.

L’expérience syrienne a aussi permis au Hezbollah d’affiner son mode opératoire et sa doctrine, notamment après 2015 et l’arrivée des Russes sur place, assure Yiftah Shapir dans sa note pour l’INSS. Les combattants de la milice pro-iranienne se sont ainsi retrouvés à combattre avec le soutien d'une puissante armée conventionnelle et ils ont "échangé avec les formateurs militaires russes", souligne l’expert israélien.

"Arsenal très diversifié"

Le Hezbollah, ce ne sont pas seulement des combattants. "En tant que champions de la guerre asymétrique, ils ont aussi un arsenal très diversifié", souligne Didier Leroy. Là encore, les données, impossibles à vérifier, sont sujettes à caution, mais "si on recoupe les sources, les estimations les plus crédibles font état de chars russes, de milliers de drones iraniens, de systèmes mobiles antiaériens et de plus de 130 000 projectiles – roquettes et missiles – à plus ou moins longue distance", précise Omri Brinner.

L’armée israélienne pousse même le soin du détail jusqu’à avancer que "50 % des projectiles du Hezbollah ont une portée de moins de 15 km [soit des roquettes et obus, NDLR], que 40 % peuvent toucher des cibles jusqu’à 30 km et seulement 5 à 10 % seraient des missiles à longue portée", ajoute Omri Brinner. De quoi, en théorie, toucher depuis le Liban n’importe quelle cible civile ou militaire jusqu’à Eilat, station balnéaire du sud d’Israël.

Autant de données qui "indiquent que si le Hezbollah partait en guerre contre Israël, ce serait un affrontement très dur pour l’État hébreu", résume Filippo Dionigi. Dans un tel scénario, l’effort principal du Hezbollah viendrait du ciel dans l’espoir de transpercer les fameuses défenses antiaériennes israéliennes.

Guerre politiquement coûteuse pour le Hezbollah

Quant à des incursions terrestres, la grande inconnue "reste de savoir si le Hezbollah possède encore des tunnels souterrains qui les amèneraient directement en Israël", estime Omri Brinner. L’État hébreu espère les avoir tous détruits lors de l’opération "Bouclier du Nord" en 2019, mais "les Israéliens ne peuvent pas être sûrs de les avoir tous trouvés", juge l’expert de l’ITSS Verona.

Mais encore faut-il que l’Iran et le Hezbollah soient réellement prêts à aller au-delà de la rhétorique guerrière de ces derniers jours. D’un côté, il y a "un facteur psychologique important qui joue en faveur de l’ouverture d’un second front", estime Omri Brinner. Pour lui, la "Résistance islamique" est formée de soldats entraînés à combattre et qui s’attendent à être utilisés, et, "si ce n’est pas maintenant, à un moment où l'État hébreu affronte une situation sécuritaire dégradée autour de la bande de Gaza, ces militants pourraient se demander à quoi ils servent".

D’un autre côté, la riposte israélienne serait violente, faisant probablement d’importants dégâts au Liban. "La situation économique y est déjà catastrophique et si le Hezbollah expose le pays à une nouvelle guerre, cela ferait beaucoup de mal au mouvement chiite alors qu’il essaie d’y maintenir sa mainmise politique", juge Filippo Dionigi.

De plus, la menace des États-Unis – qui ont avertit le Hezbollah le 9 octobre de ne pas ouvrir un second front contre Israël – constitue, pour les experts interrogés, l’un des principaux garde-fous contre l’ouverture d’un nouveau front.

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