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Reportage

En Israël, la culture trance au chevet des survivants du festival Tribe of Nova

De notre envoyée spéciale en Israël – Le Tribe of Nova devait être la première édition en Israël d'un festival psytrance parmi les plus célèbres dans le monde. Il est devenu le plus grand attentat du pays. Pour les adeptes de la culture trance, l'heure est à la thérapie pour éviter les syndromes post-traumatiques.

Einat Haimovich et les bénévoles en plein briefing, le 19 octobre 2023, au sud de Tel Aviv.
Einat Haimovich et les bénévoles en plein briefing, le 19 octobre 2023, au sud de Tel Aviv. © Assiya Hamza France 24
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"C'était la minute la plus incroyable de ma vie. Tous mes amis étaient là. Le ciel était magnifique. Les oiseaux étaient magnifiques. La musique… tout était incroyable. J'avais l'impression que le monde entier avait trouvé son salut. Et puis c'est arrivé. C'est ce qui rend la chose horrible. Parce que c'était le moment le plus beau." Des récits comme celui-ci, Einat Haimovich en entend beaucoup. Beaucoup trop. Depuis les attaques du 7 octobre menées par le Hamas en Israël, la psychologue et travailleuse sociale clinicienne est à l’écoute des rescapés du festival trance Tribe of Nova.

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Environ 260 personnes ont été tuées, plusieurs dizaines d’autres kidnappées sur les quelques 3 500 qui avaient afflué du monde entier pour célébrer les valeurs de "l’amour et l’esprit libres, la préservation de l’environnement, l’appréciation des valeurs naturelles" prônées par le festival. "Beaucoup m'ont dit que c'était la meilleure fête à laquelle ils avaient jamais participé, raconte celle qui devait partir en Grèce ce jour-là pour fêter ses 50 ans. Au lever du soleil, la beauté, l'amitié et l'amour. En une minute, l'obscurité est entrée dans notre vie."

Einat Haimovich a ouvert un lieu d'accueil pour les rescapés pour qu'ils puissent s'ancrer dans la réalité.
Einat Haimovich a ouvert un lieu d'accueil pour les rescapés pour qu'ils puissent s'ancrer dans la réalité. © Assiya Hamza France 24

Avec son compagnon Iftach Shahar, ils ont créé un endroit pour accueillir les membres de leur communauté, celle de la musique trance psychédélique. "Ce site devait être dédié à l'enseignement du Dhamma [doctrine du Bouddha, NDLR] et de la méditation, poursuit Iftach. Quand nous avons compris la situation en Israël, nous avons décidé de l’ouvrir spécialement pour la cause, pour les personnes qui sont revenues du festival. Mais nous sommes ouverts à tout le monde. Nous ne faisons pas de sélection. Quiconque sent le besoin de parler et de recevoir un gros câlin, nous sommes là pour le serrer dans nos bras. Il n’y a pas forcément de mots. Il suffit d’être avec eux, de pleurer avec eux et peut-être rire."

La maison, située dans un moshav, sorte de village coopératif agricole au sud de Tel Aviv, a été préparée en moins de 10 jours. L’installation est simple mais accueillante : une grande terrasse en bois couverte, des meubles de récupération, une cuisine ouverte et, derrière, une pièce entièrement dédiée à la méditation. Le tout dans l’ambiance apaisante du tintement métallique des carillons à vent.

"Des hippies dans l'âme"

"Je pense que la communauté trance a vu le jour après la première Intifada (1987-1993), raconte Einat. Après cela, nous avons tous ressenti le besoin d'apporter notre esprit libre, notre amour, l'idée de la paix. Bien que nous ayons dû faire la guerre et que la plupart d'entre nous aient fait l'armée, nous étions tous des hippies dans l'âme."

Depuis, la culture trance psychédélique est massive en Israël. Le Tribe of Nova était la première édition israélienne du festival brésilien psytrance Universo Paralello, l’un des plus connus dans le monde. Il est devenu le pire attentat de l’histoire d’Israël.

Iftach Shahar souffre de syndrome post-traumatique depuis 25 ans.
Iftach Shahar souffre de syndrome post-traumatique depuis 25 ans. © Assiya Hamza, France 24

Hormis les bénévoles, l’endroit est pour l’instant désespérément vide. La veille, jour de l’ouverture, seules six personnes sont venues. "Les gens ne connaissent pas encore cet endroit, précise Iftach Shahar. Je pense que la semaine prochaine, ils commenceront à venir." Comme de nombreux thérapeutes israéliens, Einat a commencé à parler aux victimes grâce aux zones zen ( Z zone), des groupes créés pour venir en aide aux personnes dont le voyage psychédélique ne se déroulait pas comme prévu.

"C'est là qu'ils nous ont envoyé leurs noms. Nous les avons appelés et nous avons commencé à leur parler. Pour les aider avec le traumatisme, nous avons essayé de les ancrer en respirant, en parlant de la peur, de la culpabilité, de tout ce qu'ils ont vécu au cours de cette horrible journée", explique la psychologue en précisant que leur cauchemar avait duré jusqu’à 12 heures.

Très vite, il est devenu évident que les victimes avaient besoin d’un endroit. "Pas pour une thérapie mais juste pour être ensemble, pour s'asseoir, pour manger quelque chose, pour boire du café, pour peindre, pour jouer de la musique, pour revenir à leur vie, à ce qu'ils connaissaient d'eux-mêmes, avant." Pas question pour autant de parler de thérapie. "L'idée, c’est que les personnes qui en auront besoin, iront en thérapie à long terme, et qu'elles pourront venir juste pour être là", insiste Einat.

Tal Weiss Sade utilise son tambour océan, le 19 octobre 2023.
Tal Weiss Sade utilise son tambour océan, le 19 octobre 2023. © Assiya Hamza France 24

Chaque jour cinq à dix personnes, toutes bénévoles, se relaieront pour les accueillir. Chacune avec ses outils, ses techniques. Tal Weiss Sade se définit comme thérapeute par la danse. "Mon point de vue est toujours celui du corps, explique-t-elle, agenouillée dans la salle de méditation. En cas de traumatisme, le corps parle rapidement et nous avons besoin de beaucoup, beaucoup d'ancrage. J’utilise les bols tibétains, le tambour océan, les coussins remplis de sable que je pose sur le corps. Le toucher est très doux, très relaxant. Cela permet de diminuer le niveau d’anxiété."

Les bols tibétains ont été installés dans la salle de méditation, le 19 octobre 2023.
Les bols tibétains ont été installés dans la salle de méditation, le 19 octobre 2023. © Assiya Hamza France 24

Tal confesse volontiers qu’apporter son aide aux rescapés lui permet de respirer un peu. De quitter les quatre murs de sa maison où elle est enfermée avec ses filles. "C'est ce qui est si beau en Israël. Les civils, les communautés sont incroyables, loue Einat. En une minute, tout le monde se porte volontaire pour faire quelque chose. Même si le pays ne fonctionne pas vraiment, les gens sont formidables. Il y a comme un amour gratuit. Tout le monde donne et c'est ce qui nous amène ici. Nous avons l'espoir que quelque chose de bon se produira en Israël après cette terrible chose."

 

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Syndrome post-traumatique. C’est le mal dont Iftach aimerait préserver les festivaliers. "Vous connaissez la série Fauda [série israélienne sur une unité de forces spéciales formées à se fondre dans la population arabe, NDLR] ? J’ai été dans les rues de Gaza habillé en femme. Les combats étaient très durs à cette époque. En six mois, neuf hommes de mon unité sont morts, et avec mes amis de l'unité nous avons tué des centaines de personnes, se souvient le compagnon d’Einat, soudain saisi par une bouffée d’émotion. Je suis sorti de l'armée avec un syndrome post traumatique très fort. Il m'a fallu 25 ans pour comprendre comment le gérer."

Sauvé par les thérapies psychédéliques

25 ans d’errance. D’alcool et de drogue. "Au bout d'un moment, j'ai compris que soit je choisissais la mort, soit je choisissais la vie. Le bouddhisme, la méditation, travail avec les psychédéliques et la médecine sont entrés en jeu. Et lentement, très lentement, j'ai commencé à toucher mes traumatismes et à les traiter. Aujourd'hui, je peux dire que je vais bien mais je ne suis pas guéri."

Le vétéran raconte alors sa première séance psychédélique. Atteint d’une sévère dépression, il avait dû prendre dix grammes de champignons hallucinogènes pour que cela fonctionne alors qu’aujourd’hui, il lui suffit de "deux grammes pour être au paradis". Iftach se voit dans un berceau, âgé d’un an et demi. "Je pleurais, je pleurais et personne ne venait vers moi. En regardant le bébé, j’ai compris que je ressentais la même chose.  C’était la dépression. J'ai pris ce bébé dans mes bras et je lui ai dit que tout irait bien et que j'étais désolé. Le lendemain, je me suis réveillé sans dépression. C’était comme un miracle."

Il commence ensuite à travailler avec d’autres psychédéliques comme le LSD et parvient à régler des traumas liés à l’armée. "Un jour, je me suis figé et des gens ont été blessés. J’ai passé toutes ces années passées à boire, à prendre des drogues et à fuir parce que j'avais oublié cette situation." Considéré handicapé à 60 % par l’armée israélienne en raison de syndrome post traumatique, Iftach avoue traverser une passe difficile depuis les attaques. "J’ai voulu construire tout cet endroit pour les gens que je connais et qui vont vivre l'enfer."

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Iftach est persuadé que nombre de survivants de l’attaque sont dans les limbes où il se trouvait 25 ans auparavant. "Ils sont assis chez eux et fument de l'herbe comme des fous, ou essayent peut-être de travailler sur eux-mêmes avec des psychédéliques, ce qui est très mauvais parce que vous avez besoin de gens qui savent comment travailler et vous emmener à travers le voyage. Nous devons les prendre par l'oreille et les amener ici."

Mais Einat prévient qu’elle n’utilisera aucune thérapie psychédélique. "Ce n’est pas légal. Nous ne faisons que de la préparation." La psychologue rappelle alors que nombre de festivaliers étaient sous drogues lorsque les attaques ont commencé. Parfois même en phase extatique. "Certains d'entre eux ont couru, se sont cachés, aidé d'autres personnes à se cacher, n’ont pas bougé pendant six heures. Ils ont trouvé la force, dans les minutes les plus terribles de leur vie, de parler à leur mère et de lui dire merci, je t'aime. C'est incroyable d'entendre leurs histoires. Ce sont vraiment des héros."

La culture trance, si ancrée depuis des décennies en Israël, peut-elle survivre à un tel traumatisme ? Einat n’en doute pas une seconde. "Dans ces fêtes, ces festivals, nous pensons que nous ne faisons qu’un. Des gens sont morts et nous devons perpétuer l’héritage qu’ils nous ont laissé. C’est l’héritage de l’amour et de la paix. Nous sommes l’armée de la paix."

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