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Blocus médiatique

Pris au piège à Gaza, les journalistes palestiniens tentent d’informer au péril de leur vie

Mis en danger par les frappes israéliennes, contraints de fuir avec leurs familles, sans accès à l’eau ni à l’électricité, les journalistes restés à Gaza tentent d’informer dans des conditions très précaires et au péril de leur vie. Avec 19 journalistes tués depuis le début de la guerre, l’enclave est devenue le lieu le plus dangereux pour la profession. 

Des Palestiniens, principalement des journalistes, rassemblés autour des corps de deux reporters palestiniens, Mohammed Soboh et Said al-Tawil, tués par une frappe aérienne israélienne à Gaza, le 10 octobre 2023.
Des Palestiniens, principalement des journalistes, rassemblés autour des corps de deux reporters palestiniens, Mohammed Soboh et Said al-Tawil, tués par une frappe aérienne israélienne à Gaza, le 10 octobre 2023. © AP, Fatima Shbair
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Dix-huit jours après l’attaque du Hamas, la bande de Gaza reste complètement inaccessible, mardi 24 octobre, y compris à la presse. Aucun journaliste n’a pu sortir ni accéder à l’enclave palestinienne. L’information sur place est relayée par les correspondants locaux, pris eux aussi en tenailles entre les bombardements et le blocus israélien.   

"Un manque de couverture médiatique de Gaza ... dû à l'assassinat de plus de 12 journalistes, aux bombardements, et à la coupure d'électricité et d'Internet. Cependant, nous essayons toujours de résister et de poursuivre la couverture afin que le monde puisse voir les crimes israéliens à Gaza ", écrivait le 17 octobre le photojournaliste Roshdi Sarraj sur le réseau social X, avant d’être tué à son tour, dans une frappe israélienne, à son domicile, dans le quartier de Tel Al Hawa, à Gaza City. Sa femme et sa fille, âgée d'un an, ont été blessées dans ce bombardement. 

Sa mort, le 22 octobre, fait grimper le nombre des journalistes victimes de cette guerre à 23 morts, dont 19 Palestiniens tués à Gaza, selon le dernier bilan du Comité de protection des journalistes (CPJ), basé à New York.

Ce jeune père de famille de 31 ans, fixeur pour Radio France et France télévision depuis 2021, mais aussi Le Monde, la BBC et beaucoup d'autres médias, avait fondé l’agence de presse audiovisuelle Ain Media dans la bande de Gaza, avec son épouse et son ami Yasser Mourtaja. Ce dernier est mort en 2018, victime d'un tir de l'armée israélienne lors de la couverture d'une manifestation à la bordure de séparation avec Israël.

"Ceux qui ont connu Roshdi Sarraj et travaillé avec lui saluent un journaliste hors pair", écrit Radio France dans un article lui rendant hommage. "C'est grâce à son travail que la vie des Palestiniens et l'horreur de la guerre étaient racontées sur l'antenne de France Inter".

"Il était celui qui nous informait en premier, celui qui risquait sa vie pour ça, au moment où personne ne peut entrer", indique sur X la journaliste Alice Froussard, qui travaille pour Radio France. 

Crainte d’un black-out médiatique 

Reporters sans frontières, qui enquête actuellement sur les conditions de la mort de Roshdi Sarraj, évoque le chiffre de neuf journalistes tués à Gaza dans le cadre de leurs fonctions ou ciblés en raison de leur métier. "Les mesures générales comme le blocus, imposé depuis longtemps et renforcé récemment, et ces derniers jours le déplacement forcé de civils affectent les journalistes locaux et leurs familles. Mais il y a aussi une mise en danger spécifique des rédactions et des professionnels de l’information, sous des formes multiples", alerte RSF, qui redoute "un véritable black-out médiatique" sur ce territoire. 

L’ONG pour la liberté d’information a recensé la destruction entière ou partielle par les missiles israéliens de plusieurs centres de médias. "Le 19 octobre, une frappe a détruit une rédaction éphémère sous tente abritant des équipes de la BBC, Reuters, Al-Jazira, l'AFP et des agences de presse locales, sans faire de blessés, à proximité de l'hôpital Nasser de Khan Younès", fait savoir RSF. Selon le Syndicat palestinien de la presse, 50 locaux de médias sont désormais hors d'usage.  

L’Agence France-Presse, qui dispose d’une équipe de neuf salariés dans l’enclave palestinienne, a dû évacuer son bureau situé dans la ville de Gaza. "Maintenant on est dispersés dans plusieurs appartements dans le sud, nos journalistes et aussi leurs familles, une cinquantaine de personnes en tout", explique Philip Chetwynd, directeur de l’Information de l’AFP. "Le travail de nos journalistes est extrêmement difficile dans ces conditions. Ils vivent sous pression constante. Ils couvrent l’actualité et en même temps ils s’inquiètent du sort de leur famille. L’un de nos photographes a perdu cette nuit [dans la nuit du 22 ou 23 octobre] plusieurs de ses proches". 

Des caméras braquées sur le ciel de Gaza 

En l’absence d’envoyés spéciaux à l’intérieur de Gaza, les informations transmises par les journalistes de l’AFP sur place deviennent une matière encore plus précieuse pour les médias internationaux. Trois caméras de l’agence sont braquées en permanence sur le ciel de Gaza pour capter et documenter les bombardements et leurs conséquences.

L’une d’entre elle se trouve toujours sur le toit de leur ancien bureau dans la ville de Gaza, l’autre sur le terminal de Rafah et une troisième filme depuis le sol israélien. Mais tout comme les rares reporters présents dans l’enclave, l’agence est elle aussi soumise à la pénurie d’eau et d’essence. "Nous avons encore du pétrole pour deux ou trois jours pour faire fonctionner nos générateurs. Nous recherchons des solutions pour la suite", indique Philip Chetwynd.  À défaut de ravitaillement, les caméras allumées sur le sol gazaoui s’éteindront et le monde ne verra plus ce qui s’y passe.  

La plupart des médias français, faute de pouvoir envoyer des reporters à Gaza, s’appuient sur des fixeurs et les agences de presse encore présentes sur place.  

Chez France 24, ces caméras "live" de l’AFP sont scrutées en permanence. France 24 travaille aussi avec sa correspondante arabophone à Gaza, Maha Abu Al Kass, qui a survécu il y a deux semaines à un bombardement de l'armée israélienne. Légèrement blessée mais indemne, elle a été évacuée de son quartier résidentiel avec sa famille. Elle travaille courageusement dans des conditions éprouvantes avec un accès limité à l’électricité et au téléphone, internet étant coupé dans l’essentiel de l’enclave.  

Guerre Israël-Hamas : témoignage de notre correspondante blessée à Gaza
Guerre Israël-Hamas : témoignage de notre correspondante blessée à Gaza © France24

L’équipe des Observateurs de France 24 s’attèle en complément à authentifier les images partagées sur les réseaux sociaux, comme elle le fait au quotidien. Ses journalistes travaillent aussi avec des observateurs à Gaza pour avoir accès à des informations vérifiées sur ce qui se déroule dans l’enclave.

Conduire des enquêtes journalistiques indépendantes 

La frappe de l'hôpital Al-Ahli de Gaza, qui a fait des centaines de morts le 17 octobre, selon les autorités du Hamas, et dont l’origine a donné lieu à une grande confusion médiatique, a montré la nécessité de disposer de sources locales, indépendantes et libres de circuler sans danger dans l’enclave, pour conduire des enquêtes journalistiques sur les faits.  

"Ces journalistes palestiniens de terrain sont la première ligne de défense contre la désinformation et la propagande qui malheureusement sont de plus en plus présentes dans les zones de conflits", rappelle le responsable du bureau Moyen-Orient de RSF, Jonathan Dagher.

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En plus d’être les cibles potentielles des bombardements sur Gaza, ils sont aussi confrontés depuis des années dans l’enclave à la pression exercée par le Hamas. "La vingtaine de journalistes avec lesquels nous sommes en contact à Gaza nous expliquent que les risques principaux actuellement relèvent des frappes aériennes d’Israël, du blocus imposé et du déplacement forcé. Mais avant cette guerre ils subissaient une pression du Hamas", souligne Jonathan Dagher.  

Plusieurs ont été victimes par le passé d’arrestations ou d’intimidations pour avoir soulevé des faits de mauvaise gestion et de corruption de la part du Hamas. "Il y a des propagandistes qui travaillent avec eux, mais il y a aussi des journalistes professionnels à Gaza, qui font un vrai travail, et qui se retrouvent coincés entre la répression du Hamas et le violent blocus imposé par Israël", poursuit le chef du bureau Moyen-Orient.  

RSF avait d’ailleurs, en 2019,  appelé tant le Hamas que l’Autorité palestinienne "à ne pas faire des journalistes des victimes collatérales de leurs dissensions" à Gaza et en Cisjordanie. Selon le classement mondial de la liberté de la presse 2023 établi par RSF, la  Palestine occupe la 156e place. 

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