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Macron au Proche-Orient: «Depuis de Gaulle et Pompidou, la politique arabe de la France a perdu sa cohérence»

Emmanuel Macron et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi au Caire le 25 octobre.
Emmanuel Macron et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi au Caire le 25 octobre. CHRISTOPHE ENA / AFP

ENTRETIEN - S’il s’inscrit dans la tradition diplomatique française en cherchant à jouer un rôle dans le conflit entre le Hamas et Israël, le président ne parvient pas à masquer son absence de vision d’ensemble, analyse Jean-François Figeac, auteur de La France et l'Orient de Louis XV à Emmanuel Macron.

Agrégé et docteur en histoire contemporaine de Sorbonne Université, Jean-François Figeac a publié La France et l'Orient de Louis XV à Emmanuel Macron (Passés composés, 2022).


LE FIGARO. - En déplacement en Israël, Emmanuel Macron a apporté son soutien à Benyamin Nétanyahou et annoncé sa volonté de «bâtir une coalition internationale» contre le Hamas. Comment cela s'inscrit-il dans la tradition diplomatique française?

Jean-François FIGEAC. - Le voyage du président de la République avait pour première fonction de clarifier une position officielle déjà connue, mais qui connaissait des contestations intérieures venues des bancs de l'extrême gauche. Dans ce contexte, l'attitude d'Emmanuel Macron pour une riposte israélienne allait être scrutée, compte tenu des positions en faveur du cessez-le-feu de la part de la majeure partie de la gauche française, comme des acteurs régionaux du monde arabe. Dans le même temps, le président français devait rappeler que la seule solution militaire à la crise était insuffisante si elle n'était pas associée à une volonté de débouché politique. En d'autres termes, il s'agissait de mettre en avant l'engagement de longue date de la France pour deux États: d'une part, pour l'intégrité d'Israël et de ses populations qui a été bafouée par le Hamas, de l'autre pour celle du droit du peuple palestinien à disposer d'un véritable État souverain.

Cet équilibre a été relativement respecté, tout en apportant une inflexion nouvelle, qui est celle d'une coalition internationale, dans le prolongement de ce qui a été observé dans la lutte contre Daech. Celle-ci apparaît indispensable, tant pour aider Tsahal à tenter d'éradiquer le Hamas, que pour épauler l'armée israélienne dans le respect indispensable du droit humanitaire et de la protection des populations gazaouies.

Certains considèrent qu'Emmanuel Macron a renoué avec la tradition gaullienne dans sa politique arabe. Pourtant sur la question d'Israël, il est davantage proche de la diplomatie menée sous la IVe République. Comment analysez-vous cette situation? Est-ce paradoxal?

Il est vrai qu'Emmanuel Macron apparaît, aux yeux de certains observateurs, comme un des présidents les plus pro-israéliens de la Ve République, tout comme ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy et François Hollande. Ce point de vue me semble inexact. Si on se replonge dans l'histoire, on s'aperçoit que tous les présidents depuis de Gaulle ont tenu à maintenir une coopération étroite avec Israël, ce qui n'était pas incompatible avec une défense de la cause du peuple palestinien, y compris chez les plus fervents partisans de ce dernier.

Le rapprochement entre la France et Israël à la fin de la présidence Chirac avait justement pour objectif de favoriser la coopération avec le Mossad dans l'identification et la neutralisation des terroristes, notamment venus du Hezbollah.

Jean-François Figeac

La vision du Général a souvent été hâtivement résumée à sa prise de position pro-arabe dans la guerre des Six Jours et à sa fameuse petite phrase sur le peuple hébreu «sûr de lui-même et dominateur». Mais c'est oublier que la France gaullienne avait, jusque-là, maintenu une étroite coopération avec Israël, aussi bien sur le plan politique que militaire. De même, si l'action Jacques Chirac a souvent été résumée à sa colère contre les services de sécurité israéliens lors de sa visite de la vieille ville de Jérusalem en 1996, ainsi qu'à son amitié sincère avec Yasser Arafat, elle connut une nette inflexion en direction d'Israël lors de son second mandat, matérialisée par la venue d'Ariel Sharon à Paris en 2005.

En inscrivant son soutien à Israël dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et contre Daech en particulier, la France risque-t-elle de réorienter sa politique arabe sur la question de l'islamisme?

En réalité, cela fait presque deux décennies que la France a déjà en partie réorienté sa diplomatie en fonction de ce paramètre. Le rapprochement entre la France et Israël à la fin de la présidence Chirac avait justement pour objectif de favoriser la coopération avec le Mossad dans l'identification et la neutralisation des terroristes, notamment venus du Hezbollah. Cette politique ne cesse d'être réaffirmée depuis par les décideurs politiques, bien qu'elle soulève un certain nombre d'interrogations au sujet de sa cohérence.

Pour prendre un exemple récent, le soutien apporté à Sleiman Frangié au Liban pour succéder à Michel Aoun à la présidence de la République apparaît très hasardeux, compte tenu des liens que l'impétrant entretient avec l'Iran et le Hezbollah. Ce qui caractérisait la politique arabe, telle qu'elle fut pensée sous le général de Gaulle et Georges Pompidou, était une forme de cohérence d'ensemble et de philosophie générale applicable à l'ensemble du Proche-Orient. Celle-ci semble avoir été perdue.

Dans quelle mesure la présence de personnes originaires du Maghreb en France influe sur la politique au Proche et au Moyen-Orient?

Je ne crois pas qu'une communauté, quelle qu'elle soit, détermine les décisions de politique étrangère des dirigeants français. Néanmoins, on observe en effet une porosité de plus en plus grande entre les tensions au Proche-Orient et le débat public dans l'Hexagone, avec un risque d'importation du conflit qui avait été identifié par Gilles Kepel il y a déjà plusieurs années.

Contrairement à ce qu'affirment Mélenchon et ses thuriféraires, leur posture n'est en rien en continuité avec une quelconque politique arabe de la France, laquelle a toujours pris comme un postulat intangible le droit d'Israël à l'existence et à la survie.

Jean-François Figeac

Face à ce phénomène, on ne peut qu'espérer que les Français issus de l'immigration maghrébine, souvent propalestiniens, soient solidaires de la politique française. À ce titre, je trouve que les appels à l'apaisement de l'imam de Paris, Abdennour Tahraoui, de l'imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, ainsi que de l'imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, vont dans le bon sens. En revanche, la politisation du conflit israélo-palestinien qui est faite par certains responsables politiques – surtout Jean-Luc Mélenchon et les Insoumis – est nettement plus inquiétante. On ne peut que souligner le caractère irresponsable d'une telle attitude qui cible nos compatriotes juifs dans une société déjà extrêmement fracturée et en proie à une radicalisation d'une partie de la jeunesse des quartiers sous l'influence du salafisme.

Contrairement à ce qu'affirment Mélenchon et ses thuriféraires, leur posture n'est en rien en continuité avec une quelconque politique arabe de la France, laquelle a toujours pris comme un postulat intangible le droit d'Israël à l'existence et à la survie. En outre, les prises de position insoumises rompent même avec la philosophie de ce qu'a été la gauche française propalestinienne et tiers-mondiste, laquelle se plaçait, dans les années 1970-80, dans une perspective universaliste au nom de laquelle Israéliens comme Palestiniens devaient être reconnus à parts égales. Au lieu de cela, l'attitude des Insoumis consiste à utiliser ce débat pour tout ramener à une identité arabo-musulmane assimilée à un nouveau prolétariat qui serait, selon eux, opprimé en France, comme au Proche-Orient. Dans cette vision manichéenne, l'antisionisme sert de paravent à un antisémitisme de plus en plus visible. L'histoire jugera de cette rupture majeure dans notre vie politique nationale.

Emmanuel Macron s’est également rendu à Amman, où il a rencontré le roi Abdallah II, puis en Égypte. Quelle est la position de la France dans les négociations? La France a-t-elle un rôle particulier à jouer en Orient, comme le prétend une certaine tradition qui remonte à François Ier?

En effet, Emmanuel Macron s'inscrit dans une tradition bien française qui consiste à ce que la France serve d'intermédiaire entre les acteurs régionaux. Que ce soit à l'occasion de la rivalité entretenue entre les rois de France et les Habsbourg sous l'Ancien Régime, puis lors du billard à trois bandes joué contre les Russes et les Britanniques à l'occasion de la Question d'Orient au XIXe siècle, la France a toujours cherché à trouver une voix qui lui soit propre, notamment en matière d'influence culturelle. Ce rôle revêt bien évidemment une forte dimension symbolique en Palestine, la France s'étant pendant longtemps portée garante de la protection des lieux saints du christianisme.

Dans le cas présent, la visite du président en Jordanie induit, à mon sens, deux enjeux. Le premier consiste à impliquer davantage la Jordanie et l'Égypte qui sont des acteurs cruciaux dans le règlement du conflit. Or, on observe de la part du roi Abdallah II comme du président Sissi une forme de retrait prudent vis-à-vis d'un affrontement craint comme pouvant générer une déflagration régionale. Le président égyptien redoute ainsi un afflux de réfugiés pouvant déstabiliser l'Égypte, d'autant plus que des djihadistes sévissent dans le nord du Sinaï. En la matière, la situation connue par la Jordanie à la fin des années 1960 fait jurisprudence. L'objectif français pourrait davantage consister à créer les conditions de la mise en place d'un corridor humanitaire permettant d'assurer les soins et le ravitaillement élémentaires aux populations civiles.

Le deuxième enjeu consiste à tenter de réunir autour de la table Israël, l'Autorité palestinienne, mais aussi l'Égypte, la Jordanie et l'Arabie saoudite, afin de réamorcer un dialogue considéré comme illusoire aujourd'hui, mais pourtant indispensable à moyen terme. Dans ce cadre, les hypothèses d'un retrait d'une partie des colons israéliens de Cisjordanie et d'une démilitarisation de la bande de Gaza pourraient constituer une bonne base de départ dans les négociations.


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6 commentaires
  • 34pomme

    le

    Macron est une catastrophe pour la France en général, et ne vaut guère mieux à l’international ou son discours n’est pas entendu et où ses postures font passer les français pour des prétentieux incapables.

  • anonyme 93056

    le

    laissez De Gaulle reposer en paix !

  • Camille ans 3

    le

    Nous n'avons rien ni à gagner là-bas à nous investir dans ce conflit. Occupons de nos propres problèmes, il y en a bien assez

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