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Grand écart

L’ambivalence du Qatar, acteur diplomatique incontournable de la guerre Israël-Hamas

Allié de Washington, le Qatar abrite sur son sol une importante base américaine, mais il accueille aussi le bureau politique du Hamas. Un "grand écart" qui lui permet de jouer un rôle clé dans les tractations pour la libération des otages aux mains du Hamas.

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken et le Premier ministre du Qatar Mohammed ben Abdelrahmane Al-Thani à Doha, le 13 octobre 2023.
Le secrétaire d'État américain Antony Blinken et le Premier ministre du Qatar Mohammed ben Abdelrahmane Al-Thani à Doha, le 13 octobre 2023. © AFP
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Le temps est compté. Alors qu’une offensive terrestre israélienne sur Gaza se prépare, tous les yeux sont rivés vers le Qatar. Ce petit État du Golfe, qui abrite le bureau politique du groupe islamiste palestinien, est l’un des seuls pays à même de peser sur le Hamas pour faire libérer les 224 otages restants entre leurs mains, jeudi 26 octobre, dont au moins 9 Français.  

La monarchie qatarie mène une intense activité diplomatique depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, déclenchée le 7 octobre après l'attaque sans précédent menée par le mouvement islamiste palestinien sur le sol israélien

"Il n'y a pas foule de médiateurs", souligne auprès de l’AFP Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et la Méditerranée, basé à Genève. Les acteurs potentiels sont "uniquement ceux qui ont noué des relations de longue date avec le Hamas et donc les seuls habilités à prendre contact avec ses dirigeants". 

Doha a déjà obtenu la libération de quatre otages : deux Américaines, le 20 octobre, et deux Israéliennes, le 23 octobre. Mais rien depuis. Pour ces libérations, le Hamas a reconnu une "médiation du Qatar". Et le président français Emmanuel Macron a souligné vendredi le "rôle très important" de l'émirat, se disant par ailleurs "confiant" dans les "canaux" utilisés par la France pour faire libérer ses otages. 

"Le double jeu" qatari 

Ce n'est donc pas un hasard si Jean-Yves le Drian, envoyé spécial pour le Liban du président français Emmanuel Macron, était au Qatar la semaine dernière. Il y a rencontré le ministre des Affaires étrangères, sur le dossier Israël et le Liban, a rapporté l'agence de presse qatarie QNA. 

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a, lui aussi, fait le déplacement à Doha le 13 octobre, tandis que l'Allemagne a appelé le Qatar à s'investir pour la libération de ses otages. 

"Le Qatar est utile car il parle avec les groupes avec lesquels la France ne peut pas se permettre de parler", explique sur France 24 Pascal Boniface, directeur et fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques. C’est la raison pour laquelle certains observateurs le comparent ces derniers jours à "la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale".  

Le pays "joue un double jeu : il maintient à la fois les relations avec les groupes terroristes et certaines nations occidentales qui lui sont redevables", note auprès de l’AFP Etienne Dignat, du Centre de recherches internationales (Ceri).  

Dans le passé, l'émirat avait invité les Taliban à ouvrir un bureau à Doha avec l'aval des États-Unis, permettant de négocier le retrait des forces américaines d'Afghanistan en 2021. Des discussions qui se sont achevées avec le retour du groupe extrémiste à Kaboul. 

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Vitrine politique du Hamas 

Anciennement exilé à Damas, le chef du bureau politique du Hamas Ismaël Haniyeh est à Doha depuis 2012, ainsi que son prédécesseur à la tête du groupe palestinien Khaled Mechaal. La branche politique du groupe islamiste palestinien s'est installée ici "en coordination avec le gouvernement américain, suite à sa demande d'avoir un canal de communication" avec le mouvement, a déclaré à l'AFP un responsable qatari.  

En plus de loger la vitrine politique du Hamas, le riche émirat gazier fournit aussi depuis des années une aide financière à la bande de Gaza, coordonnée avec Israël, les Nations unies et les États-Unis. "Ces fonds transitaient avec l’accord d’Israël pour que la bande de Gaza ne s’effondre pas", explique Pascal Boniface sur France 24. "C’est le Qatar qui s’occupait des fins de mois, ce que ne pouvaient pas faire les Européens qui ne reconnaissaient pas le Hamas, et ce que ne pouvait pas faire Israël". 

Ce soutien financier a commencé il y a cinq ans pour éviter “une crise humanitaire majeure à Gaza”, comme l’expliquait Libération en 2018. Le premier versement – 15 millions de dollars – avait été effectué en cash dans trois bagages transportés jusqu’au poste-frontière israélien d’Erez, au nord de Gaza, par un diplomate qatari chargé des questions palestiniennes. 

“C’est un soutien financier avéré, public et assumé, de l’ordre de 30 millions de dollars par mois”, précise encore Didier Billion, directeur adjoint de l'Institut des relations internationales et stratégiques. “Ces versements sont justifiés pour payer les fonctionnaires de Gaza, et on sait parfaitement bien que ces derniers sont des membres du Hamas. (L’argent de Doha) est donc l’équivalent d’un soutien direct à cette organisation qui tient d’une main de fer l’enclave palestinienne depuis de nombreuses années."

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Plus grande base militaire américaine de la région 

Pas à une contradiction près, le Qatar abrite à quelques kilomètres du siège du Hamas la plus importante base américaine du Moyen-Orient, Al-Udeid, avec quelque 10 000 soldats.  

Les liens avec Washington se sont renforcés depuis que les Américains ont soutenu ce petit mais stratégique État du Golfe lors d'un blocus de quatre ans (entre 2017 et 2021) imposé par ses voisins, dont la puissante monarchie saoudienne. Selon Sanam Vakil, spécialiste de la région interrogée par l’AFP, les relations avec les États-Unis sont une "priorité claire" du Qatar.  

Une alliance qui ne semble pas inconciliable avec les liens étroits entre Doha et le Hamas, même si lors de sa visite au Qatar la semaine dernière, Antony Blinken a mis en garde l'État du Golfe, déclarant qu’"il ne peut y avoir de statu quo avec le Hamas". Ce à quoi le Premier ministre du Qatar, cheikh Mohammed ben Abdelrahmane Al-Thani, a répondu que le bureau du Hamas n'était qu'un canal servant à "communiquer et à apporter la paix et le calme dans la région". 

En coulisses, il reste important pour Washington que l'"un de ses partenaires ait la capacité d'avoir un canal de communication" avec le Hamas, estime Sanam Vakil. Or, la fermeture du bureau du groupe islamiste palestinien signifierait au contraire que les États-Unis et leurs alliés perdraient toute surveillance et tout contrôle sur le Hamas. Le Qatar pourrait donc continuer à héberger le bureau du Hamas tout en établissant "une sorte de distance" avec ses dirigeants, affirme Andreas Krieg, autre spécialiste du Moyen-Orient. 

"Spécialisé dans la libération des otages" 

La position qatarie, que de nombreux experts qualifient de "grand écart", est précisément ce qui a permis à l’émirat du Golfe de se "spécialiser dans la libération d'otages", souligne Etienne Dignat, rappelant qu’avant les otages israéliens à Gaza, Doha est intervenu dans la récente libération d'Américains prisonniers en Iran. 

La République islamique, en rupture diplomatique avec les États-Unis, avait fini par libérer mi-septembre cinq citoyens américains en échange de 6 milliards de dollars de fonds iraniens gelés en Corée du Sud, qui ont transité vers le Qatar pour être rendus à Téhéran. 

Plus discrètement, le Qatar joue aussi ce rôle de négociateur bien au-delà du Proche-Orient. Ses diplomates avaient ainsi fait office de messager, mi-octobre, pour la libération d’enfants ukrainiens qui se trouvaient sur le territoire russe. 

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Ce rôle de négociateur permet aujourd'hui à Doha d’assurer sa propre sécurité sur le plan géostratégique. Mais son soutien au Hamas et sa proximité avec les Frères musulmans - dont le mouvement islamiste palestinien est une émanation - n'a pas toujours été à son avantage.

En 2017, lorsque l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont décrété un embargo économique contre le Qatar, l'une des principales raisons invoquées était précisément le soutien apporté par les Qataris aux "terroristes" - un terme largement compris comme désignant les Frères musulmans.

Le rôle cette confrérie dans les soulèvements arabes de 2011, ainsi que l'utilisation de la chaîne de télévision Al Jazeera - financée par l'État qatari -, ont été les principales sources d'irritation pour les monarchies saoudienne et émiratie. "Le Qatar fait tout pour se protéger des appétits de ses voisins émiratis et saoudiens, et c’est pour cela qu’il lance des filets dans toutes les directions", souligne Pascal Boniface.

S’il est un pays qui pourrait donc sortir renforcé de cette guerre entre Israël et le Hamas, c’est la petite monarchie du Golfe, "y compris quand il s’agira de gérer l’après-crise et la reconstruction de Gaza. On sait qui financera", analyse sur France 24 Bertrand Besancenot, ancien ambassadeur de France au Qatar et en Arabie saoudite.  

Avec AFP

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