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Notre critique de L’Enlèvement : de la foi et beaucoup de lois

Pour ce film, L’Enlèvement, Marco Bellocchio s’est inspiré de l’affaire Edgardo Mortara, un enfant juif baptisé en secret et retiré à sa famille sur ordre de Pie IX en 1858. Anna Camerlingo 2023/IBC MOVIE KAVAC FILM AD VITAM PRODUCTION MATCH FACTORY PRODUCTIONS ARTE FRANCE CINEMA

CRITIQUE - Dans ce film en forme de fresque intimiste, Marco Bellocchio met en scène un jeune garçon juif converti de force au catholicisme. Efficace et raffiné.

Cela ne s’invente pas. En 1858, à Bologne, un garçon de 6 ans fut enlevé à sa famille juive par les soldats du pape. Tout cela parce qu’il aurait été baptisé en cachette par sa nourrice. L’événement ne passa pas inaperçu. Dans le monde entier, des caricaturistes s’en mêlèrent, qui ignoraient l’existence des réseaux sociaux. Avec L’Enlèvement , Marco Bellocchio s’attarde sur ce fait divers qui semble avoir été imaginé par un romancier en panne d’inspiration. C’est trop gros. Les écailles tombent des yeux. Tout cela est réel de A à Z. On ne peut pas toujours voir au cinéma les aventures d’une navigatrice passant son temps à se saouler ou les dessous invraisemblables d’une campagne électorale entre les deux tours. On voit par là que l’enlèvement constituait déjà un sport national en Italie. Le cinéaste s’était intéressé à cette curieuse discipline avec Aldo Moro dans Buongiorno, notte.

Le petit Edgardo se retrouve dans un collège religieux. Il doit renier sa foi, apprendre le latin, assister à la messe. Dans le dortoir, sous les draps, il récite en douce les prières qu’on lui a toujours enseignées. La famille ne s’en remet pas. Le père est reçu solennellement par un cardinal. Aucun résultat. Pie IX n’en démord pas: le gamin aura une éducation catholique. Ses proches tentent de le récupérer: les balourds chargés de cette tâche se trompent d’enfant.

Par moments, le converti malgré lui est saisi de doutes. Ils ne durent pas. L’âme obéit à des injonctions contradictoires. Coupé du monde et des siens, baigné dans une profonde et frugale solitude, Edgardo s’éloigne de ses racines. Il découvre la vocation d’un autre avenir. C’est une tragédie au ralenti. Pendant ce temps, l’autorité vaticane est contestée. Son pouvoir décline. La colère gronde. Les drapeaux s’agitent. Le souverain pontife ne bouge pas un cil. L’Italie commence à s’unifier, à ruer dans les brancards.

Opéra du clair-obscur

Marco Bellocchio déroule cette fresque intimiste d’une main ferme, d’une caméra sûre de ses mouvements. Il brasse les décennies dans une lumière de vitrail. C’est un opéra du clair-obscur, bercé par des violons tantôt mélancoliques tantôt tonitruants. II y souffle un vent noir. Il s’y passe des choses surprenantes, des audiences, des procès, des larmes et des cris. Les espoirs sont déçus, dans le tapage et les bousculades.

Comme dans un feuilleton documenté, le héros hésite, s’emporte, vieillit. On le suit dans ses affres. On comprend son malaise. Dans un épisode, il se jette sur Sa Sainteté, ce qui est choquant. Plus tard, une saine colère l’embrasera devant le corbillard de son chef spirituel, sur un pont enjambant le Tibre. Il est trop tard. L’homme est, disons, victime du syndrome de Bologne. Le mystère demeure. Edgardo reste comme les voies de la Providence: impénétrable.

Le film, solide et patiné comme un bahut d’époque, avance d’un pas décidé, avec efficacité et raffinement, empreint d’un lyrisme contrôlé. Bellocchio a une voix qui porte. Le murmure n’est pas de saison. L’histoire l’inspire. Ses convulsions le passionnent, en sismographe de son pays. On lui reprochera peut-être quelques dérives inutiles dans le pompeux (le cauchemar du pape, le Christ qui descend de sa croix, la colère surjouée du père). C’est un beau livre d’images. Le mélodrame ne va pas mourir. Il a mille fois raison. Amen.

L’avis du Figaro: ○○○

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