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Jean-Luc Mélenchon: «Le français est une langue créole et politique»

Jean-Luc Mélenchon, le 11 octobre.
Jean-Luc Mélenchon, le 11 octobre. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Dans un article du Figaro, le linguiste Jean Pruvost explique que la langue française n’est «pas une “créolisation réussie”». Le leader de la France insoumise lui répond. Le français résulte du mélange de mots italiens, espagnols, arabes, russes mais aussi hébreux ou persans, explique-t-il.

Jean-Luc Mélenchon est co-président de l’Institut La Boétie.


L'actualité brulante ne m'a pas détourné de l'intérêt pour l'inauguration de la cité de la langue française à Villers-Cotterêts par Emmanuel Macron. J'ai alors publié ce tweet : «Villers-Cotterêts. Réponse aux intégristes Macron et Le Pen. La langue française est une créolisation réussie. (…) La langue appartient à ceux qui la parlent !» Merci au Figaro d'avoir interrogé à ce sujet le linguiste Jean Pruvost. Pour lui ,«non, la langue française ne serait pas une “créolisation réussie”».

J'ai apprécié son entretien argumenté. Je lui réponds. Monsieur Pruvost situe le français comme un jaillissement de la cuisse de Jupiter. «Au IVe siècle, dit-il, plus personne pour ainsi dire ne parlait gaulois». Mais oublie-t-il comment plus de la moitié des sujets du royaume ne parle toujours pas français en 1792, comme le montra l'enquête de l'abbé Grégoire aux députés ébahis ? D'ailleurs de quelle langue gauloise parle-t-il ? C'était plutôt un bourdonnement de dialectes celtes. Ils côtoyaient d'ailleurs de nombreux parlés très différents, comme les cinq langues bretonnes ou le basque, par exemple. Au demeurant les Gaulois, de tradition orale, n'utilisaient pas non plus un alphabet propre. Ils ont successivement emprunté celui des Étrusques, des Romains et des Grecs avec lesquels ils étaient en contact. D'ailleurs, le premier texte connu d'un gaulois est écrit en grec ! Comment croire que ce fut sans influence sur leur pensée, leur propre parler, leurs coutumes ? Le français se construisit dans la même ambiance dans un secteur de la région parisienne. Mais je suis finalement satisfait de voir le linguiste confirmer le mécanisme de la créolisation. «Notre langue, écrit-il, est en effet née clairement de la succession de trois langues, le celte, le latin et le germanique». Enfin ! Il l'admet ! Oui, notre langue résulte bien d'un processus créatif concret, pratiqué au fil du temps. Mais, les langues celte, latine, et germanique, pour reprendre la chronologie de M. Pruvost, ne se sont pas remplacées les unes les autres. Elles ont fusionné, se sont mélangées et par les usages ont donné naissance à une nouveauté: la langue des anciens gaulois parisi de Nanterre. Il note encore comme moi : «on n'oubliera pas évidemment qu'elle fut enrichie par nombre d'emprunts à la langue arabe, à la langue italienne, et progressivement à l'anglais, à partir du XVIIIe siècle». Quel meilleur exemple de créolisation qu'une langue avec 850 mots empruntés à l'italien, 400 mots espagnols, 400 mots arabes, 100 mots russes mais aussi avec des mots hébreux, persans, chinois ou hindi, sans oublier ceux des langues régionales de nos provinces d'anciens régimes?

Puis Monsieur Pruvost conteste étrangement que l'usage général de notre langue soit le fruit d'une décision politique. Pourtant c'est bel et bien l'un des objets de l'édit de Villers-Cotterêts dont s'est prévalu le Président Macron. Quand François 1er l'impose, elle est seulement la langue d'un secteur du domaine royal. Raison pour laquelle Marie de Gournay dès le début du XVIIe siècle demande que l'on s'en tienne exclusivement aux règles d'usage en vigueur dans Paris même. Jusque-là on usait du latin pour écrire et pour se faire comprendre entre lettrés des diverses régions. Pour autant il y avait déjà de très nombreuses langues en usage de masse comme le provençal, l'occitan et combien d'autres. Elles fournissaient aussi un moyen de surveillance des appartenances locales et sociales. La langue des parisiens les supplante toutes bureaucratiquement.

Dans notre pays, la décision du sommet est toujours présente dans l'évolution du langage. Ainsi commence par une décision de l'académie elle-même, et non par l'usage des locuteurs, l'origine de la suprématie du masculin dans notre langue.

Jean-Luc Mélenchon

Mais la nouvelle langue officielle est alors terriblement pauvre. Le poète de cour Joachim du Bellays écrit, aussitôt prise la décision du roi qui le paye, une «défense et illustration de la langue française» où il recommande d'y remédier sans tarder. Il se fait alors le premier avocat d'une certaine forme autoritaire de créolisation. Il propose en effet d'emprunter au grec et au latin chaque fois qu'on manque du mot pour désigner quelque chose en français. Il prône même le recours au langage vulgaire parlé dans la pratique des métiers. Car, dit-il, même si l'on n'y comprend rien cela doit être très utile à ceux qui en usent puisque c'est avec cela qu'ils effectuent leurs tâches. Et il en va toujours de même. Ainsi quand «lideur» entre au dictionnaire pour nommer un «leader», on se réfère à l'usage et non à la volonté du dieu des mots.

Dans notre pays, la décision du sommet est toujours présente dans l'évolution du langage. Ainsi commence par une décision de l'académie elle-même, et non par l'usage des locuteurs, l'origine de la suprématie du masculin dans notre langue. Quand Macron s'insurge contre «l'air du temps» à ce sujet il épouse seulement celui d'une époque contre celui d'une autre. Car jusqu'au XVIIe, le genre neutre était très courant dans la langue française. Pour parler d'un état de fait on disait par exemple «ça pleut». Ce qui semble plus effectif que le mystérieux «il pleut». On formait les mots masculins et féminins à partir d'un radical, pour donner des termes comme «doctoresse», «écrivaine». On pratiquait également l'accord de proximité, en fonction du dernier mot employé comme : «quelle heure est-elle ?». Avant cela le chevalier La Mothe le Vayer, dès la sortie du XVIe siècle, polémique sur les règles générales d'organisation de la langue. Il moque contre Vaugelas les nouveaux puristes mondains de la langue, «les souverains arbitres du langage» quand ceux-ci prétendaient déjà discerner une essence immuable de la langue pourtant à peine instituée. Mais elle restera toujours transformée par ceux qui l'utilisent. Et ceux-là, voyagent, émigrent, rencontrent, transfèrent des pratiques, aiment et se mélangent.

Mais bien sûr, je suis de l'avis du linguiste quand il écrit : «ils sont nombreux les répertoires de mots d'hier, de mots d'argot, du rap, et personne ne légifère à leur égard, et c'est très bien ainsi». Rejeter le processus de créolisation par obsession du passé serait en effet une blessure. À supposer que cela soit possible. Cela nous couperait de la possibilité de vivre dans un espace culturel commun à des centaines de millions de personnes. L'avenir du français est là où se trouvent ses locuteurs. Dans l'espace francophone d'aujourd'hui, la langue française est en contact avec bien d'autres langues et mode de vie, particulièrement en Afrique. Le pays francophone le plus peuplé du monde a pour capitale Kinshasa en République démocratique du Congo. Les Africains seront quatre milliards et demi dès la fin du siècle… La moitié de la jeunesse du monde s'y trouve déjà. Elle ne restera ni muette ni davantage au garde-à-vous devant les usages officiels des parisiens que ne l'ont jamais été les Français eux-mêmes. L'Académie qui nous garantit la stabilité des évolutions de nos usages communs, gagnerait d'ailleurs, chaque fois que possible, à intégrer des auteurs écrivant dans notre langue commune plutôt qu'à des romanciers comme Mario Vargas Liosa qui n'en ont jamais écrit une ligne. De même la francophonie n'a pas à être présidée par une ministre du Rwanda anglophone au désespoir de tous les lettrés de notre communauté de langage.

En effet la créolisation permise par notre langue commune ne nous morcelle pas. En nommant la similitude de nos besoins et de nos sentiments elle légitime l'énoncé juridique des droits et des règles communs à toute humanité.

Jean-Luc Mélenchon

Le processus de créolisation est un futur actif. Elle nous dit comment la pluralité des cultures n'a pas pour conséquence l'enfermement de chacun dans les pratiques de ses ancêtres mais au contraire la circulation, le mélange, l'hybridation, la nouveauté. Elle nous permet d'être plus sensibles au feuillage qu'aux racines. Je le résume en disant comment la créolisation est une bonne nouvelle : demain n'y est plus l'exigence d'un passé toujours recommencé. La créolisation légitime la création, le neuf, l'imprévu comme des contributions précieuses et non des dérogations insupportables à éradiquer au nom de la tradition.

L'usage de notre langue a été une décision politique comme le confirme Emmanuel Macron quand il parle de la langue qui «bâtit l'unité de la nation». Encore devrait-il préciser combien cela ne concerne pas la seule France. En effet 29 pays l'ont en langue officielle ! Et les décisions politiques continuent d'avoir un impact sur la diffusion de celle-ci. Ainsi quand Emmanuel Macron supprime le ministère délégué à la francophonie et multiplie les slogans en anglais. Pire, quand l'orwellien dispositif «Bienvenue en France» est mis en place en 2018, multipliant par dix les frais d'inscription pour les étudiant·es non issus de l'Union européenne. Ce fut un terrible coup d'arrêt aux échanges universitaires avec le continent africain dont les candidatures ont baissé de 50 %, depuis 2019. C'est alors une réduction terrible de la circulation des mots et de capacité de mutation performante par l'usage des locuteurs.

Je terminerais à mon tour par une citation du révolutionnaire Burkinabé Thomas Sankara. «La francophonie peut être un instrument de notre libération puisque c'est à travers la langue commune que nous accédons à tel ou tel domaine de la vie». En effet la créolisation permise par notre langue commune ne nous morcelle pas. En nommant la similitude de nos besoins et de nos sentiments elle légitime l'énoncé juridique des droits et des règles communs à toute humanité. Elle nous unit, nous rapproche, nous donne les moyens du sentiment d'appartenance commun dont nous avons besoin. La créolisation est alors le chemin le plus praticable vers l'universel. Surtout dans ce temps où les puissances voudraient plutôt le choc des civilisations et des religions qui, paraît-il, les sous-tendraient toutes. En cela, elle contribue à l'émergence d'un peuple humain lui-même créole et d'un nouvel humanisme enraciné dans la puissance créatrice de la vie elle-même.


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141 commentaires
  • Herbert Von Detarte

    le

    L'Anglais aussi est une langue créole dans ce cas, car leur vocabulaire est riche de mots venant de tous horizons. Non le truc c'est pas ça, Mélenchon mélange tout dans le même panier afin de rabaisser les locaux au niveau des nouveaux venus venant d'Afrique, une façon de dire à l'académie, mettez-vous à jour, le français vous dépasse. Quel téfu !

  • WINSTON

    le

    Ce Monsieur" Jourdain " faisant de la prose sans le savoir, a été tellement encensé par les médias (qu'il méprise par ailleurs), qu’il fait comme dans la fable de la grenouille et du bœuf... La seule chose qui reste en suspens est de savoir à quand l’implosion??

  • SYLVAIN CASSONNET

    le

    Pourvu que les mouches mal menées ne portent pas plainte auprès de la SPA...!

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