Que de chemin parcouru depuis le mea culpa catholique, la rencontre de l'Eglise et de la Synagogue, la recherche patiente d'un dialogue, l'effroi partagé devant la Shoah ! Mais "nous n'avons pas le droit de nous endormir", conviennent, d'entrée, deux grosses "pointures", juive et catholique, Gilles Bernheim, 55 ans, grand rabbin de la synagogue de la Victoire à Paris, et Philippe Barbarin, 57 ans, archevêque de Lyon, deux exégètes de la même génération, tous deux séducteurs, brillants prédicateurs, chefs de communauté.
Philippe Barbarin et Gilles Bernheim connaissent par coeur les textes sacrés de la Torah et du Talmud, des Evangiles. Ils évoquent leurs souvenirs communs en France ou dans des yeshivot new-yorkaises. Porteurs de deux traditions éloignées pendant deux millénaires, ils mettent la charité au-dessus de tout, conformément aux Ecritures communes. Ils témoignent, dans ce dialogue, avec élégance, souci de vérité, sans mièvrerie, d'un rapprochement historique et salutaire.
Même sur des points aussi disputés que le personnage de Jésus ou le rapport entre la foi et la loi, les "lignes" ont bougé. "Ce qui nous sépare encore, ce sont les dernières quarante-huit heures de Jésus", explique le rabbin Bernheim, dans un raccourci saisissant sur le mystère chrétien de la Crucifixion et la Résurrection. Il ne dit même pas mot de l'Incarnation de Jésus, homme Dieu, "scandale pour les juifs", tonnait Paul dans ses épîtres (à propos de la Résurrection). Gilles Bernheim n'hésite pas à parler de la parole prophétique de Jésus, sa vision messianique, les "fondements authentiquement juifs" de la morale chrétienne.
Il ne se console pour autant pas que l'Eglise ait, pendant tant de siècles, "déjudaïsé" Jésus, l'ait "hellénisé", en ait fait un sujet d'"horreur" pour les juifs à cause des conversions forcées, des baptêmes imposés, de la litanie des pogroms. Philippe Barbarin répond que, si le travail est loin d'être terminé, l'enseignement de l'Eglise a changé, que les catholiques savent désormais de quel "riche terreau d'humanité" est né Jésus, qu'il est "un beau fruit de la tradition et de la sainteté" du peuple juif. Et ajoute : "Nous avons encore à apprendre des juifs pour mieux comprendre la parole de Dieu et l'enseignement de Jésus."
Plus vif reste le débat sur la foi et la loi, au moins aussi vieux que saint Paul. Le cardinal reprend l'argumentaire paulinien sur les risques d'une fausse interprétation de la loi "paralysant les gens en leur ôtant toute liberté". Le rabbin répond que les Prophètes d'Israël, les premiers, avaient mis en garde contre tout détournement de la loi et qu'il est faux de réduire le judaïsme à un pointillisme juridique, à un "formalisme" qui aurait pris le pas sur une "loi vivante".
Repris par Jésus, l'amour est le "commandement ultime" de la tradition juive. La cacherout, par exemple, n'est pas un corset, mais une ouverture à la vie. Elle commande de ne pas faire cuire le "chevreau", symbole de l'innocence tuée pour la nourriture, avec le "lait", c'est-à-dire la "dynamique de la vie". Autrement dit, la mitsva (commandement) est toujours un moyen, jamais une fin en soi.
Ce dialogue pétillant, bouleversant, il faudra non seulement le lire, mais le relire, le méditer, le transmettre. Il se termine par l'obligation d'une "vraie fraternité" entre chrétiens et juifs, voie de salut pour l'humanité. Il n'y manque même pas l'humour dont le rabbin Bernheim dit joliment qu'il est "une manière de ne pas faire peser sur l'autre la dimension tragique de l'existence" et qu'il est "la fine pointe de la charité".
LE RABBIN ET LE CARDINAL de Philippe Barbarin et Gilles Bernheim. Ed. Stock, 302 p., 19,50 €.
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