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Guerre médiatique entre Al-Jazira et Israël

Al-Jazira est privée d'accès à tout représentant officiel de l'Etat juif, même en conférence de presse. Une mesure justifiée par le ton jugé trop "militant" de sa couverture de la récente offensive israélienne dans la bande de Gaza.

Par Benjamin Barthe

Publié le 15 mars 2008 à 14h02, modifié le 15 mars 2008 à 14h02

Temps de Lecture 3 min.

L'incident remonte au 7 mars, lendemain de l'attentat contre la yeshiva (école talmudique) Mercaz Harav de Jérusalem, au cours duquel huit étudiants israéliens ont été tués par un Palestinien armé.

Dans les bureaux de la chaîne d'information qatarie Al-Jazira, la journaliste Sherine Abu Akleh appelle le ministère des affaires étrangères israélien pour obtenir une réaction officielle. "Ils ont accepté à condition que l'entretien se fasse dans la yeshiva et que nous parlions avec des étudiants, raconte-t-elle. Pour nous, c'était impossible. En nous rendant sur place, nous aurions aussitôt été attaqués", assure-t-elle. Pas faux : deux jours plus tard, la ministre de l'éducation, Yuli Tamir, avait écourté sa visite de condoléances après avoir été conspuée. "Depuis, nos demandes d'interview ont toutes été rejetées", ajoute Sherine Abu Akleh.

Officiellement, aucun boycottage n'a été décrété. Le bureau d'Al-Jazira à Jérusalem n'a reçu aucune notification en ce sens de la part du gouvernement israélien. "On se donne encore le temps de la réflexion", affirme Ygal Palmor, un porte-parole du ministère des affaires étrangères. Mais les sanctions sont d'ores et déjà en place et équivalent de facto à un boycottage.

L'équipe de la station panarabe est privée d'accès à tout représentant officiel de l'Etat juif, qu'il s'agisse d'une simple conférence de presse ou d'un entretien en face à face. Une mesure justifiée par le ton jugé trop "militant" de sa couverture de la récente offensive israélienne dans la bande de Gaza, qui s'est soldée par la mort de 120 Palestiniens, en majorité civils.

Le gouvernement israélien accuse Al-Jazira d'avoir "occulté ou mentionné en passant" les tirs de roquettes sur Israël et pointe du doigt les "clips inflammatoires" à base de gros plans sur les victimes, qui passent en boucle sur l'écran. "Al-Jazira a franchi la ligne rouge, affirme Ygal Palmor. On comprend qu'une chaîne arabe soit propalestinienne, mais on s'attend à un certain niveau d'éthique professionnelle. Or cette chaîne a choisi son camp, qui n'est pas celui des Palestiniens, mais du Hamas. Ses journalistes ne sont plus des observateurs mais des acteurs. A ce titre, ils doivent être soumis à d'autres règles."

Le chef du bureau d'Al-Jazira à Jérusalem, Walid Al-Omari, un Arabe israélien, repousse ces critiques. "Cette campagne d'incitation à la haine a débuté avant l'opération de Gaza, dit-il. Il s'agit d'une tentative pour faire pression sur nous, nous intimider, comme le font de nombreux régimes, arabes et non arabes."

De fait, en janvier, les porte-parole israéliens, désarçonnés par les dégâts médiatiques occasionnés par les coupures de courant dans la bande de Gaza, avaient reproché à la station, sans fournir de preuves, d'avoir "mis en scène" avec le Hamas les images de la ville plongée dans le noir.

Pendant la guerre du Liban, à l'été 2006, Walid Al-Omari avait même été questionné par la police au motif, là aussi infondé, que les reportages d'Al-Jazira fournissaient aux artilleurs du Hezbollah des informations permettant de rendre leurs tirs plus précis.

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"Au lieu de nous harceler, Israël devrait s'interroger sur sa politique de punition collective, dit Sherine Abu Akleh. Avec 120 morts à Gaza contre un seul en Israël, il est naturel de couvrir davantage le côté palestinien." Pour autant, au plus fort de l'offensive israélienne, une équipe d'Al-Jazira est allée à Sderot, la cible privilégiée des tirs de roquettes palestiniens. L'hostilité de la population l'a cependant forcée à faire vite demi-tour. Un traitement auquel les journalistes de la CNN arabe sont aussi habitués. "Au début de l'Intifada, en 2000, le gouvernement israélien nous avait retiré nos cartes de presse, un document indispensable pour travailler dans la région, dit Sherine Abu Akleh. Il a fallu que je dépose plainte devant la Cour suprême pour la récupérer."

En Israël, le boycottage d'Al-Jazira n'a pas ému les milieux médiatiques. Motti Kischenbaum et Yaron London, deux des journalistes les plus célèbres du pays, l'ont même applaudi durant leur émission diffusée sur la Chaîne 10.

Un enthousiasme que ne partage pas Akiva Eldar, l'une des plumes les plus acides du quotidien Haaretz. "Bien sûr qu'Al-Jazira prend parti, dit-il. Pas tant pour le Hamas d'ailleurs que pour le peuple de Gaza. Leur couverture n'est pas objective. Mais celle de la chaîne israélienne numéro un ou même de Haaretz ne l'est pas davantage."

Pour ce critique féroce du gouvernement d'Ehoud Olmert, la sanction infligée à la chaîne aura un "effet boomerang". "A la fin de leur reportage, les journalistes pourront dire que leur demande d'entretien a été rejetée. La voix d'Israël va disparaître de l'écran d'Al-Jazira. Pour un pays qui se targue d'être la seule démocratie du Moyen-Orient, c'est gênant."

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