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Tous n'étaient pas des anges

Simon Epstein enquête sur un constat paradoxal: des antiracistes choisissent la Collaboration et des antisémites la Résistance.

Pendant très longtemps tout parut clair et logique. Le régime de Vichy était présenté comme un système revanchard, peuplé de personnages pratiquement tous classés à l'extrême droite. Ce simplisme avait quelque chose de rassurant: il évitait de se poser trop de questions gênantes sur la fin de la IIIe République; il permettait surtout d'occulter beaucoup de trajectoires assez sinueuses.

Dans L'Étrange défaite, l'un de ces maîtres livres écrits à chaud pendant la Seconde Guerre mondiale, Marc Bloch avait bien vu que rien n'était aussi clair, le pacifisme des années 1920-1930, soulignait-il déjà, eut son rôle dans la défaite de 1940. Par la suite, de bons historiens, comme Jean-François Sirinelli, étudièrent plus spécifiquement ce phénomène. Il n'empêche que les vieux clichés avaient la vie dure. La mise en cause de René Bousquet et de Maurice Papon ouvrit sans doute définitivement les yeux : deux radicaux avaient bel et bien mis leurs compétences au service de Vichy.

Économiste et historien, Simon Epstein a lui aussi contribué à abattre quelques confortables idées reçues en publiant, il y a sept ans, un livre iconoclaste, consacré à plusieurs dreyfusards passés dans les rangs de la Collaboration. Dans ce nouvel ouvrage, il poursuit son enquête, affine sa démonstration et soulève un autre lièvre en partant à la recherche des antisémites présents au sein de la France libre.

Doriot contre l'antisémitisme

À dire vrai, les pages relatives à ces investigations ne sont pas les plus convaincantes. Autour du général de Gaulle, à Londres, il y eut sans doute quelques hommes peu philosémites, mais ils demeurèrent isolés. Il serait plus exact de reconnaître qu'à côté de figures venues de la gauche, comme Georges Boris, René Cassin et Pierre Brossolette, beaucoup de Français libres ou de grands résistants avaient été des lecteurs de L'Action française, sans nécessairement partager les sentiments de Maurras envers les Juifs. Quelques-uns étaient dans ce dernier cas, mais leur nombre n'est guère significatif.

Plus riches d'enseignement sont les passages dans lesquels Simon Epstein dévoile des dizaines d'itinéraires étonnants, insoupçonnés, de progressistes souvent très actifs après la Première Guerre mondiale au sein des organisations antiracistes et qui, à partir d'un certain moment, versèrent dans l'antisémitisme.

En 1931, Doriot était encore sympathisant de la Lica (Ligue internationale contre l'antisémitisme), Paul Chack, fusillé à la Libération, était présent le 10 mai 1933 à une grande réunion publique de protestation contre l'antisémitisme nazi au Trocadéro. Exécuté lui aussi en 1945, le journaliste Paul Ferdonnet, de sinistre mémoire, proclamait de son côté en 1934 son horreur du racisme allemand. Figure de Je suis partout, Pierre-Antoine Cousteau se révèle sous les traits d'un pacifiste convaincu, ami des Juifs. Membre du cabinet de Léo Lagrange en 1936, le socialiste Marc Augier deviendra quant à lui l'écrivain Saint-Loup, chantre des SS sous l'influence d'Alphonse ­de Châteaubriant, lui-même ancien dreyfusard. À ce tableau éloquent, il faut enfin ajouter plusieurs ministres de Vichy au premier rang desquels Pierre-Étienne Flandin, René Belin, Lucien Romier, Marcel Peyrouton et ­Joseph Barthélemy : tous dans les années 1920 ou 1930 s'étaient élevés contre les persécutions.

Pas d'explication

Simon Epstein ne propose pas une véritable explication du phénomène troublant qu'il constate et éclaire. De fait, il est difficile de trouver une grille d'interprétation unique. Tout au plus peut-on remarquer que pour beaucoup le tournant se situa au milieu des années 1930, quand arrivèrent en grand nombre des Juifs venus d'Europe centrale, porteurs de traditions et de cultures particulières. Le pacifisme est évidemment une autre clef importante : il est facile d'imaginer que pour des gens farouchement opposés à toute action armée, les Juifs, à partir d'un certain moment, devinrent des fauteurs de guerre, objets d'une haine inexpiable.

En sens inverse, un nationalisme conséquent et sincère ­prédisposait à la Résistance, comme l'attestent tant d'exemples, du colonel Rémy à Pierre de ­Bénouville en passant par Honoré d'Estienne d'Orves.
Un paradoxe français: antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance de Simon Epstein Albin Michel, 124 p., 28 €.

Tous n'étaient pas des anges

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1 commentaire
  • Ph83h

    le

    Article intéressant, mais au fait Pierre Bénouville s'appelle bien Pierre Bénouville, sans la particule qu'il voulait attacher à son nom! SON RÖLE DANS l'arrestation de jean Moulin a fait couler beaucoup d'encre..

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