Publicité

Tous les matins, dès potron-minet, Gilles Bernheim fait son jogging. Le rabbin de la synagogue parisienne de la Victoire l'a compris : dans la course au grand rabbinat de France, dont l'élection aura lieu le 22 juin, mieux vaut avoir du souffle et le pied assuré, car les peaux de banane ne manquent pas. Elles se sont même multipliées, tant la joute était rude contre Joseph Sitruk, sortant, depuis vingt ans, figure emblématique de la communauté juive. Ce dernier, âgé de 63 ans, proche des courants ultra-orthodoxes israéliens, a su animer la communauté durant ses mandats à force de rassemblements populaires, grâce à un charisme et un sens de la communication inégalés. Son challenger, 56 ans, agrégé de philosophie, orthodoxe tendance libérale, mise sur son aura d'intellectuel et sa réputation de rabbin d'ouverture

Dès le début du printemps, Rafi Marciano, directeur de campagne de Gilles Bernheim, attaque au micro de Radio J, sur l'air de « 20 ans, ça suffit ». Le responsable communautaire glisse quelques mots sur le délicat état de santé du grand rabbin, hémiplégique depuis un accident vasculaire, en 2001. Les partisans de Joseph Sitruk détestent être chatouillés sur ce sujet sensible.

Rumeurs et vidéo truquée

Dans une lettre ouverte à Gilles Bernheim - envoyée à tout le monde sauf à l'intéressé - un membre éminent de la communauté de Sarcelles riposte, en reprochant au candidat, vice-président de l'Amitié judéo-chrétienne de France, de fréquenter d'un peu trop près les catholiques. La lettre brûlot cite des passages d'un livre que Gilles Bernheim a publié peu avant la campagne sur les conditions du dialogue théologique avec la religion chrétienne, Le Rabbin et le cardinal (Fayard), écrit avec l'évêque de Lyon, Mgr Barbarin. Le message est clair : voter pour Bernheim le « christianisant », c'est voter contre le judaïsme religieux.

Rumeurs et courriers vinaigrés envahissent le Net. Le grand rabbin séfarade d'Israël, Shlomo Amar, à qui une bonne âme a lu quelques passages de l'ouvrage incriminé, invite à mots couverts les électeurs à voter Sitruk. Quelques jours plus tard, une vidéo truquée déboule sur Dailymotion. On y découvre Bernheim déblatérant à propos de son rival. Celui-ci s'émeut, envoie une lettre à son concurrent, qui ne dit mot. « Il ne faut pas descendre dans les bas-fonds d'une élection », réplique Michaël Abizdid, directeur de campagne de Joseph Sitruk.

D'autres s'en chargent. Outrés, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et le Fonds social juif unifié s'invitent dans la campagne en demandant aux uns et aux autres de « faire preuve de retenue ». « On se dirait chez les démocrates américains durant les primaires », grince un membre de la communauté. Pour le gagnant, la campagne aura été dure. Mais l'après-22 juin risque d'être pire.

Publicité