Récemment, j'ai accompagné Sa Majesté le roi d'Espagne lors de sa tournée à travers plusieurs pays du Golfe, et je me suis aussi rendu au Liban à l'occasion de l'élection du nouveau président. Je viens également d'effectuer une brève visite en Syrie. La semaine précédente, j'étais allé en Egypte, et en Israël, où je m'étais entretenu avec les Israéliens et les Palestiniens.
Partout j'ai pu confirmer cette impression qu'au cours du printemps le Proche-Orient a franchi une nouvelle étape, et que, pour la première fois depuis longtemps, les raisons d'espérer peuvent l'emporter sur les ombres qui - nous ne pouvons l'oublier - continuent de planer sur les peuples de cette région. Tout semble indiquer que nous assistons à l'apparition d'un nouveau modèle.
Ce dernier mois, nous avons assisté à une succession de progrès importants. Le Liban a élu par consensus le président Michel Sleimane, une personne que je crois capable, avec l'aide de toutes les autres forces politiques, de rassembler les Libanais autour d'un projet commun. L'accord trouvé à Doha est le fruit de la réussite de la médiation arabe, présidée par le Qatar et la Ligue arabe, et en partie européenne, l'Espagne, la France et l'Italie ayant joué un rôle spécifique.
Par ailleurs, la Syrie et Israël ont officiellement confirmé les contacts qu'ils entretiennent par le biais de la Turquie. Enfin, ce qui ne signifie pas que cela soit moins important, nous constatons que les négociations israélo-palestiniennes en vue d'établir un nouvel Etat palestinien se poursuivent à un bon rythme. Et puis, outre ces événements ponctuels, le Moyen-Orient vit un profond processus de transformation, à la fois interne et externe.
Le contexte international et régional diffère totalement de celui des années 1990, époque de la conférence de paix de Madrid, quand nous participions tous avec enthousiasme aux progrès du processus de paix. Aujourd'hui, ce sont les acteurs régionaux eux-mêmes qui définissent l'engagement et le rythme de leurs comportements. Les Etats-Unis restent une référence indispensable, mais elle n'est plus la seule désormais. Toutes les parties ont compris qu'elles doivent chacune assumer leur part de responsabilité.
La réalité de l'UE a également changé, grâce au traité de Lisbonne, et elle est aujourd'hui bien différente de l'organisation divisée qui siégeait à Madrid, au Palacio de Oriente, à l'automne 1991. A cette époque, il n'y avait même pas de délégation palestinienne autorisée et, bien entendu, l'Iran n'était pas présent dans la salle, mais, et cela est plus important, il ne l'était pas non plus dans l'esprit des organisateurs. Le monde arabe a changé, et son opinion publique réclame avec plus de force une modernité qui n'en finit pas de se consolider. Israël accepte déjà politiquement la création de l'Etat palestinien, mais il est tenaillé par la crainte de ne pas disposer des garanties suffisantes pour assurer sa sécurité. La division intrapalestinienne, ainsi que la présence du Hamas et son contrôle sur Gaza retardent le moment d'accomplir le saut final vers la réconciliation définitive.
Le nouveau Moyen-Orient n'est pas le produit de l'imaginaire collectif occidental, comme nous le rappelait toujours Edward Said, mais un Proche-Orient désireux d'être l'acteur principal de son avenir. Il faudrait revoir le rôle et l'intervention de la communauté internationale. Les Etats-Unis et l'UE devraient engager un véritable dialogue stratégique et élaborer un plan d'action différent de celui mis en oeuvre jusqu'à présent.
Il nous faut accompagner les efforts des parties, les stimuler dans la prise de décision, garantir la paix et la sécurité, et les encourager à prendre eux-mêmes les dernières décisions courageuses et engagées. Annapolis a annoncé cette nouvelle approche, mais le chemin à parcourir est encore long pour éliminer les vieux réflexes et les vieilles pratiques. Ce n'est pas à Washington que se trouve la solution, pas plus qu'à Bruxelles ou à Moscou. La solution doit partir de l'engagement des Israéliens et des Arabes de profiter de la nouvelle conjoncture qui se présente à eux. Leurs intérêts géostratégiques convergent, ils le savent, comme ils savent que le temps qui passe et les retards inutiles n'aident pas à résoudre le processus de paix le plus long, le plus frustrant et, pourtant, le plus important de ceux qui marquent les relations internationales.
Miguel Angel Moratinos est ministre espagnol des affaires étrangères et de la coopération.
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