La France doit avoir une politique «non-unilatérale»

S'abonner
Interview de Jean-Yves Camus, politologue, chercheur associé à l'IRIS, consécutive à la visite de Nicolas Sarkozy en Israël
Interview de Jean-Yves Camus, politologue, chercheur associé à l'IRIS, consécutive à la visite de Nicolas Sarkozy en Israël

- La visite de Nicolas Sarkozy en Israël ouvre, dit-on, une nouvelle ère dans les relations franco-israéliennes, qui ont été très froides ces dernières décennies. Jusqu'à quel point, avec Sarkozy, Israël et la France peuvent se rapprocher?

- Le véritable rapprochement avait déjà commencé sous le gouvernement de Dominique de Villepin et d'ailleurs, si les relations étaient assez tendues dès lors qu'était abordé le conflit israélo-palestinien, cela n'empêchait pas les relations entre Paris et Jérusalem d'être soutenues dans les domaines culturel et économique. De surcroît, la responsabilité dans la tension entre les deux pays n'était pas toujours française: lorsque des officiels israéliens qualifiaient la France de pays antisémite ou appelaient à l'émigration des juifs français, ils ne faisaient que du mal aux relations franco-israéliennes. Depuis l'élection de Sarkozy, le climat est beaucoup plus cordial sur le plan des principes, car le président français est plus attaché que ses prédécesseurs à des notions comme les "valeurs occidentales" ou l'amitié avec les USA. Mais en même temps, Sarkozy garde des contacts étroits dans le monde arabe, au Maghreb comme au Moyen-Orient, ainsi qu'en témoignent le projet d'Union Méditerranéenne; la visite de Kadhafi et demain celle de Assad. Et il a une vision équilibrée sur le conflit israélo-palestinien, puisqu'il demande la création d'un Etat palestinien, Jérusalem comme capitale pour les deux Etats et qu'il décrit les colonies comme le principal obstacle à la paix. La France ne peut pas faire autrement que d'avoir une politique prudente et non-unilatérale.

- Sous de Gaulle, la France est passée à une politique de "dialogue euro-arabe". Elle a toujours eu un poids et une autorité particulière dans le monde arabe. Est-ce que Sarkozy tente de modifier cette politique ou de la rendre plus équilibrée ?

- ll tient beaucoup aux relations nord-sud en général, et il n'est pas dans une optique de "clash des civilisations" ou même de critique radicale de l'islam. Il tient aux bonnes relations franco-arabes, mais pas au détriment de l'amitié franco-israélienne. Et là où certains secteurs de la diplomatie française étaient parfois remplis de préjugés négatifs à l'égard de l'Etat hébreu, il veut aboutir à une politique étrangère fondée à la fois sur des principes (universalité des droits de l'homme et de la démocratie) et sur des intérêts objectifs, souvent d'ordre économique (approvisionnement énergétique; contrats pour les entreprises françaises). Au fond, ce que veut Sarkozy, c'est faire comprendre aux pays arabes qu'ils ne peuvent plus espérer une relation unilatérale avec la France qui sacrifierait le droit à l'existence et à la sécurité d'Israël.

- Rappelons-nous un peu l'évolution des relations entre la France et Israël. Comment la nouvelle politique de Sarkozy vis-à-vis d'Israël peut-elle se répercuter sur les relations entre la France et les pays arabes ? 

- Dans nombre de milieux arabes, aussi bien islamistes que panarabes, Sarkozy est vu comme l'homme de l'axe Washington-Tel Aviv. Les rumeurs sur son origine juive amplifient la méfiance.  Cependant, les relations franco-arabes restent solides. Elles reposent sur une histoire, une longue expérience d'interpénétration culturelle, sur l'existence d'un excellent réseau de diplomates arabisants qui connaissent bien la région. Et sur des intérêts réciproques, liés notamment à la lutte contre le terrorisme et l'islam radical, à la stabilité régionale. Et la crainte de l'Iran semble aujourd'hui à certains pays pourtant très anti-israéliens comme l'Arabie saoudite, bien plus importante que celle d'Israël, ce qui amortit pas mal le choc causé par le rapprochement avec Jérusalem.

- Comment, globalement, juge-t-on la politique d'Israël aujourd'hui ?

- En France? L'image des Palestiniens est encore meilleure que celle d'Israël, en particulier chez les électeurs de gauche et chez les jeunes, alors que les personnes de plus de 65 ans et les électeurs de droite ont une meilleure image de l'Etat hébreu que des Palestiniens. La majorité des Français ne soutiennent ni l'un, ni l'autre, et jugent que les responsabilités du conflit son partagées. La peur de l'islamisme rend désormais le rapprochement franco-israélien plus acceptable, d'autant plus que pour les jeunes français, l'époque du gaullisme est très lointaine.

Propos recueillis par Anastasia Terletskaïa.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала