Présentée au Musée d'Israël à Jérusalem du 18 février au 3 juin (Le Monde du 18 février), l'exposition Tableaux cherchent propriétaires est désormais à Paris, au Musée d'art et d'histoire du judaïsme. Ainsi est accompli le souhait d'information de la commission Mattéoli. Celle-ci a été chargée en 1997 d'enquêter sur les vols des biens appartenant aux juifs de France, et donc en particulier sur les toiles dites MNR (Musées nationaux récupération).
Retrouvées en Allemagne en 1945, restituées à la France par les Alliés, elles sont conservées par les musées faute d'avoir retrouvé leurs propriétaires. On estime que 100 000 œuvres d'art ont quitté la France entre 1940 et 1944, que 60 000 y sont retournées en 1945 et que 45 000 ont été alors restituées.
Des 15 000 restantes, 13 000 ont été vendues par l'administration des domaines entre 1950 et 1953. Restaient donc 2 000 MNR, tableaux et objets d'art. Après une longue période d'indifférence, jusqu'au milieu des années 1990, les musées ont entrepris des recherches qui ont permis d'identifier des descendants de propriétaires spoliés et, pour certains, assassinés dans les camps d'extermination.
Aujourd'hui, environ 10 % des MNR restants relèvent de la spoliation de collectionneurs juifs non identifiés. Les autres sont des œuvres qui ont été acquises par des Allemands durant l'Occupation d'une manière en apparence légale.
En apparence, car, dans le détail, les histoires peuvent être bien plus complexes. Afin d'y voir clair, la présentation de l'exposition à Paris procède à une typologie rigoureuse des cas possibles. Les 53 peintures réunies, parmi lesquelles des toiles de Chardin, Manet, Degas ou Ingres, mais aussi d'auteurs bien moins illustres, sont classées selon leur trajectoire durant l'Occupation.
Premier cas, le plus simple : les toiles prises chez des collectionneurs juifs par les services de l'ambassade du Reich, dès l'été 1940, puis par l'ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg), créé par Hitler et placé sous l'autorité d'Alfred Rosenberg, et par la Dienstelle Westen, qui "administre" le pillage de 38 000 appartements parisiens. Des tampons et des inscriptions au dos des toiles permettent de préciser ces points et de connaître les propriétaires. La restitution a alors été aisée. Certaines de ces œuvres,telle La Buveuse, de Peter de Hooch, volée puis rendue à la famille Rothschild, ont plus tard rejoint le Louvre par don ou achat.
Second cas, moins direct : des tableaux modernes volés sont échangés par les officines nazies auprès de marchands, tel Gustav Rochlitz, afin d'obtenir des œuvres anciennes convoitées par des institutions ou des dignitaires du Reich. Des Picasso, des Matisse, des Léger – peintures "dégénérées" – servent à acquérir des œuvres du XVIIe siècle hollandais pour Goering.
On touche ici à la principale difficulté. Une transaction qui semble légale peut reposer sur le vol ou la contrainte : soit que l'achat ou l'échange soit financé par le produit de spoliations, soit que la vente soit forcée, dans le cas de collectionneurs juifs cédant leurs biens à bas prix afin de payer leur fuite hors de France. Or les musées allemands achètent beaucoup à Paris sous l'Occupation : 510 MNR, dont 239 tableaux, en proviennent. Acquis pour Düsseldorf, Cologne, Krefeld ou Bonn, ils ont été rendus à la France parce qu'ils y ont été achetés. Beaucoup l'ont été avec l'assentiment des vendeurs, quand ceux-ci n'ont pas eux-mêmes sollicité les musées allemands afin de profiter de la force du Reichsmark et des facilités d'exportation vers le Reich.
Mais comment sont-ils eux-mêmes entrés en possession d'un Degas, d'un Cézanne, d'un Courbet ? A qui l'ont-ils acheté ou pris ? Qui sont les intermédiaires ? D'où proviennent les fonds avec lesquels ils ont été payés ? Le marché de l'art parisien sous l'Occupation, si prospère, est entièrement "pollué" par les exactions des nazis et de leurs complices français, parmi lesquels des marchands comme Martin Fabiani.
Il arrive que les trajets des toiles soient si obscurs qu'une section de l'exposition est consacrée à des MNR de provenance inconnue, dont ni le propriétaire ni même parfois l'artiste ne sont connus. Désignés par des termes vagues dans les registres tenus par l'ERR – paysage, bouquet –, ce sont des énigmes irrésolues et peut-être insolubles, en dépit des efforts déployés aujourd'hui par les historiens.
"Tableaux cherchent propriétaires", Musée d'art et d'histoire du judaïsme, 71, rue du Temple, Paris 3e. Mo Hôtel-de-Ville. Tél. : 01-53-01-86-48. Du dimanche au vendredi de 11 heures à 18 heures, le mercredi jusqu'à 21 heures. Entrée : 5,50 €. Jusqu'au 26 octobre.
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu