Un jour noir pour les Israéliens
Soulagement, car c'est la fin de deux ans et quatre jours d'attente anxieuse. Déchirement, car le mince espoir de les revoir vivants s'est évanoui.
- Publié le 16-07-2008 à 00h00
Correspondante à Jérusalem Soulagement, car c'est la fin de deux ans et quatre jours d'attente anxieuse. Déchirement, car le mince espoir de les revoir vivants s'est évanoui.
Le rapatriement des corps d'Ehoud Goldwasser et Eldad Reguev, mercredi, a été un jour noir en Israël. Non seulement parce que l'enlèvement des deux réservistes, alors qu'ils étaient en patrouille de routine à la frontière israélo-libanaise, a conduit à une des guerres les plus controversées du pays. Mais parce que le prix payé pour leur retour suscite amertume et inquiétude.
"Piètre victoire pour le Hezbollah", insiste pourtant le père de Goldwasser, "quel héros est ce Nasrallah qui a sacrifié des milliers de vies libanaises, ainsi que toute l'économie et l'infrastructure du Liban, pour l'assassin d'une petite fille ?" Car en échange des deux Israéliens, le Hezbollah n'a pas obtenu la libération de milliers de Palestiniens, comme il l'avait promis. Il récupère uniquement cinq détenus libanais, dont le druze Samir Kuntar, qui, âgé à peine de 17 ans, mena un attentat dans le nord d'Israël en 1979 durant lequel il fracassa la tête d'une fillette de 4 ans. Et les seuls Palestiniens libérés ce mercredi, sont des dépouilles.
Israël s'est toutefois engagé à relâcher également une poignée de prisonniers palestiniens dans un mois. Les Israéliens ont donc du mal à se résigner au fait qu'ils restituent des vivants - et en particulier ce Kuntar abhorré - en échange de morts.
Craintes pour Chalit
Jusqu'en dernière minute, le Hezbollah avait refusé toute information sur le sort des deux otages. Israël présumait qu'ils avaient succombé aux blessures subies durant l'enlèvement. Mais cela ne s'est confirmé que ce mercredi. Et les premières images de leurs cercueils ont provoqué une onde de choc dans tout le pays. Israël a déjà rendu par le passé des vivants contre des morts. Conformément à l'éthique juive, sa doctrine militaire dicte de rapatrier jusqu'aux derniers restes de ses "fils".
Mais cette fois, l'échange compromet l'avenir du caporal Guilad Chalit, otage bien vivant à Gaza. Le Hamas risque de hausser le "tarif" de sa libération et ne s'efforcera plus de le tenir en vie.
Par ailleurs, contrairement à la promesse du Premier ministre Sharon en 2004, Samir Kuntar a été libéré sans que le Hezbollah lève le mystère sur le sort de Ron Arad, ce navigateur de l'armée de l'air israélienne qui tomba aux mains des islamistes libanais en 1986 et disparut en 1988. Le Hezbollah a transmis un rapport détaillant ses propres recherches à ce sujet et conclut que l'homme est mort en 1988. Mais il n'en livre aucune preuve tangible. Parallèlement, Israël a remis un rapport sur le sort de 4 diplomates iraniens, disparus durant la première guerre d'Israël au Liban en 1982. Téhéran accuse Israël de les garder au secret jusqu'à ce jour. Israël insiste : ils ont été tués en 1982 par les milices chrétiennes. Celles-ci le confirment.
Sans tapage
A la demande des familles, l'accueil des corps israéliens s'est donc fait sans tapage. Après l'identification des dépouilles par le rabbinat et l'armée, les familles sont venues se recueillir sur les cercueils dans une base militaire près de la frontière. D'abord dans l'intimité, puis rejointes par le Premier ministre, le ministre de la Défense et le chef d'état-major israéliens. Sans cérémonial. Sans médias.
Depuis le début des campagnes israéliennes au Liban à la fin des années '70, une dizaine d'échanges ont eu lieu avec les organisations palestiniennes et chiites au Liban. Israël a libéré dans ce cadre plus de 7000 combattants vivants et 200 morts, pour récupérer treize soldats vivants et sept morts. En plus de Ron Arad, trois tankistes israéliens, capturés au Liban en 1982, sont toujours portés disparus.
Si le retour des soldats Reguev et Goldwasser referme la boucle de l'été 2006, il ne met pas fin aux tensions entre l'Etat juif et le pays du Cèdre. Le Hezbollah jure toujours de venger l'assassinat de son maître d'oeuvre, Imad Moughnié, qu'il impute à Israël. Israël accuse le Hezbollah de s'être mieux réarmé que jamais, à l'aide de la Syrie et de l'Iran. Selon les renseignements israéliens, 42000 roquettes et missiles sont à nouveau pointés sur le territoire israélien. Et cela, en violation de la résolution onusienne 1701 de 2006. Et il y a le litige territorial qui persiste au sujet des Fermes de Cha'aba à la frontière israélo-libano-syrienne.
Dalal Moughrabi, icône du Fatah Les territoires palestiniens sont en émoi. Car Israël a également rendu mercredi les corps de quelque 190 combattants arabes tués lors d'infiltrations à la frontière libanaise. Et parmi eux, au moins 150 Palestiniens, pour la plupart du Fatah. Une dizaine de corps n'ont pas été restitués comme prévu, car leurs ossements n'ont pas pu être retrouvés de façon identifiable dans le cimetière militaire qu'Israël consacre aux combattants ennemis. L'Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas va conférer à ces héros tous les "honneurs nationaux". Par des obsèques en terre palestinienne, si Israël autorise un jour leur transfert du Liban en Cisjordanie. D'ici là, par des funérailles symboliques à Ramallah et à travers la Cisjordanie. M. Abbas tient ainsi à sauvegarder son prestige personnel, face au triomphalisme du Hezbollah et du Hamas qui se targuent de mieux oeuvrer que lui pour libérer les frères palestiniens. L'émoi est d'autant plus grand que parmi les dépouilles se trouve celle de Dalal Moughrabi, héroïne du Fatah et icône de la résistance féminine palestinienne. Du moins, ses restes mêlés aux ossements de ses camarades d'action que l'armée israélienne avait ensevelis dans une tombe commune. Issue d'une famille réfugiée depuis 1948 au Liban, Dalal Moughrabi fut la première femme à mener un attentat d'envergure en Israël. En 1978, âgée de 19 ans, elle dirigea le commando du Fatah qui atteignit Israël par la mer, y prit un bus en otage sur la route côtière et le fit exploser au bout d'une poursuite mouvementée par les forces israéliennes. L'attentat causa la mort de 36 Israéliens et une Américaine. La Palestinienne et quatre de ses hommes y laissèrent la vie. Trois jours plus tard, Israël déclenchait sa première campagne majeure contre l'OLP au Liban, l'Opération Litani. Dalal Moughrabi avait pour dernière volonté d'être "inhumée en Palestine". Paradoxalement, aux yeux des siens, elle l'était depuis '78, puisqu'elle était enterrée en Israël. Aujourd'hui, ses restes se retrouvent en "terre arabe, mais étrangère". (RAG)