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La communication politique mise en cause

L'enquête sur l'agression de trois jeunes juifs, le 6 septembre, dans le 19e à Paris, a démontré que la bagarre ne revêtait aucun caractère antisémite.

Par Service Europe-France

Publié le 17 septembre 2008 à 14h40, modifié le 17 septembre 2008 à 20h18

Temps de Lecture 4 min.

Le monde politique et le milieu associatif ont-ils manqué de prudence dans l'affaire de l'agression de trois juifs dans le 19e arrondissement ? L'enquête policière a montré que l'agression de trois jeunes juifs, légèrement blessés samedi 6 septembre, ne revêtait pas de caractère antisémite. A l'issue de leur garde à vue, cinq des six jeunes interpellés ont été présentés, mercredi 17 septembre, devant un juge d'instruction. S'appuyant sur une enquête policière qui privilégie l'hypothèse d'une simple bagarre, le procureur de la République devait requérir leur mise en examen pour "violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de moins de huit jours commis en réunion". Le parquet ne devait pas requérir de placement en détention. Récit d'un emballement.

La compétition des communiqués. Dès l'annonce de l'agression, dans la nuit de samedi à dimanche, les responsables politiques ont voulu réagir très rapidement. Le premier a été Bertrand Delanoë. Dès le dimanche matin, le maire socialiste de Paris a envoyé un communiqué dénonçant "l'agression à caractère manifestement antisémite" et évoquant des "actes inqualifiables". La ministre de l'intérieur, Michèle Alliot-Marie, a réagi dans la foulée, condamnant "avec la plus grande fermeté les violences antisémites perpétrées à l'encontre de trois jeunes qui se rendaient à une synagogue".

Aujourd'hui, le cabinet du maire de Paris se défend d'avoir manqué de prudence. "Nous avons été informés par le cabinet du préfet de police, le samedi soir. Nos interlocuteurs à la préfecture étaient catégoriques sur le mobile apparemment antisémite de l'agression", précise l'entourage de M. Delanoë. Dès le départ, les médias ont "précisé qu'il s'agissait de trois jeunes juifs portant une kippa", se justifie le cabinet de M. Delanoë. Dans l'entourage de Mme Alliot-Marie, on rejette également toute idée de précipitation. "La ministre ne se prononce que sur la base de ce qui lui rapportent ses services", affirme-t-on au ministère de l'intérieur en citant la source : la préfecture de police de Paris.

La prudence de la police. Les premières déclarations de la police étaient pourtant extrêmement prudentes : "Pour le moment, le caractère antisémite de cette agression n'a pas été établi, car, selon les témoignages unanimes des trois garçons, aucune injure ni propos antisémites n'ont été prononcés", explique la PJ à l'AFP le dimanche matin. La communication évolue dans l'après-midi - après que Mme Alliot-Marie a repris l'hypothèse antisémite. Lors d'une conférence de presse, Christian Lambert, le directeur de cabinet du préfet de police, déclare qu'"il y a de grandes chances" que l'agression présente un caractère antisémite. Il dit alors s'appuyer sur le fait que les trois victimes portaient des kippas.

La pression politique et médiatique conduit les policiers à mobiliser des moyens importants. En dix jours, ils vont ainsi rédiger 700 pages de procès-verbaux. La piste de l'agression antisémite se dégonfle pourtant très vite. "C'est une histoire de baston, une bataille de cour de récréation. D'ailleurs, les trois victimes n'ont jamais dit avoir entendu des propos antisémites", insiste un policier.

Lors de leurs auditions en garde à vue, les jeunes suspectés d'être les agresseurs ont livré une seule version : tout aurait commencé pour une histoire de "pistolet à bille". L'un des jeunes interpellés est d'ailleurs juif lui-même, assure un policier en relevant qu'"il avait une kippa lui appartenant dans ses affaires".

Les certitudes des associations juives. Tout en reconnaissant "faire confiance à la police", Raphaël Haddad, le président de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), qui avait contribué à médiatiser l'agression du 6 septembre, estime qu'"il ne faut pas se précipiter pour ôter tout caractère antisémite à cette affaire". "Si cela se confirme, je me réjouirai d'une agression antisémite de moins, mais au-delà de cette affaire, il faut prendre en compte l'augmentation de l'antisémitisme dans ce quartier". Assurant être plus prudent depuis la fausse agression de Marie L. dans le RER D en juillet 2004, il se félicite toutefois que l'émotion suscitée par cet incident ait "mis la pression" sur les responsables politiques.

"Dans ces affaires, il faut peut-être attendre le résultat des enquêtes avant de réagir trop vite", reconnaît Sammy Ghozlan, responsable du Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme, l'un des relais communautaires le plus actifs dans la dénonciation des actes antisémites. "Ensuite, en ce qui concerne les réactions des politiques, ce ne sont pas les institutions juives qui informent (la ministre de l'intérieur) de l'état de l'enquête". Pour Richard Prasquier, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France, qui s'était déclaré "certain" du caractère antisémite de l'agression, cette dimension demeure. "Le fait même que cette agression vise des jeunes portant une kippa en fait un acte antisémite. Cela participe d'un climat général qui laisse entendre "on peut s'en prendre aux feujs (juifs en verlan), c'est normal"". Qu'il y ait un jeune de confession juive parmi les agresseurs ne change rien à cette affaire, selon lui : "La communauté n'est pas à l'abri de jeunes déboussolés."

La mise en garde du MRAP. Dénonçant "la précipitation hasardeuse" de Mme Alliot-Marie, le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples) s'est inquiété des conséquences de cette affaire. "Si le combat contre l'antisémitisme ne peut souffrir de la moindre tolérance, il reste que, en cette circonstance comme dans d'autres, mal nommer la motivation d'un acte violent dessert la cause de la lutte contre l'antisémitisme et laisse de côté les véritables incitations à la haine raciale et les discriminations."

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