Tzipi Livni, la ministre des
affaires étrangères israélienne, avait appelé, le 29
mai, à la tenue d'élections au sein du parti Kadima (En avant), pour désigner un
successeur à son président, l'actuel premier ministre Ehoud Olmert, mis
en cause par la justice. Elle apparaît aujourd'hui la mieux placée pour cette succession, qui ferait d'elle la première ministre
d'Israël. Un poste qu'une seule femme, avant elle, a occupé : Golda Meir.
Ne contrôlant pas les rouages du parti, Tzipi Livni, avocate de profession, dispose, outre sa popularité, d'un atout capital : son intégrité. Jamais impliquée dans un scandale de quelque nature qu'il soit, la "Madame Propre" de la politique israélienne se distingue après la succession d'affaires qui a terni l'image de bon nombre de dirigeants politiques du pays ces dernières années.
Sans espoir de lui trouver la moindre casserole, ses adversaires et concurrents se sont efforcés de mettre en avant son côté novice en politique ainsi qu'un parcours sans beaucoup de relief. Mais comme le dit Daniel Bensimon, journaliste à Haaretz, "son avantage est qu'ici en Israël, on adore le changement, et sa faiblesse est que le parti a peur d'elle. C'est un peu comme Ségolène Royal avant la présidentielle : plébiscitée à l'extérieur et contestée à l'intérieur".
Agée de 50 ans, Tzipi Livni est, il est vrai, entrée tard en politique. Fidèle du Likoud (droite nationaliste), elle a été élue pour la première fois à la Knesset (Parlement) en mai 1999. Issue d'une famille de combattants de l'Irgoun, organisation ultranationaliste juive, qui a eu recours à des opérations terroristes contre les Anglais et les Palestiniens avant la création de l'Etat d'Israël en 1948, Tzipi Livni a été élevée dans la tradition conservatrice, le goût du secret et la volonté indéfectible du combat dans lesquels ses parents Sara et Eitan se sont illustrés. Aujourd'hui encore, elle connaît par cœur les chants de conquête et de sacrifice qui ont bercé son enfance.
AGENT DU MOSSAD
Rendant hommage à sa mère, morte en octobre 2007, elle a salué "cette guerrière qui a entraîné tout le monde dans son sillage". Dans sa jeunesse, elle en fut aussi une. Pendant au moins quatre ans, au début des années 1980, elle a été une agente du Mossad – officiellement en tant qu'experte juridique – et aurait participé à la traque de dirigeants de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), notamment en Europe. Bien évidemment, peu a filtré de ces années de lutte clandestine.
Revenue à une vie plus paisible, elle achève des études de droit à peine commencées, puis devient avocate, spécialiste du droit commercial. C'est tout naturellement qu'elle s'est orientée vers la politique pour continuer le combat entrepris par les siens et par cette famille politique issue de l'Irgoun qu'est devenu le Likoud. Même si elle n'est pas du même bord politique que Golda Meir, elle voue une profonde admiration à la seule femme israélienne qui fut ministre des affaires étrangères pour devenir ensuite première ministre.
Une trajectoire qu'elle espère bien suivre. Son parcours politique a été rapide grâce à la protection que lui a offerte Ariel Sharon. Elle a suivi sans sourciller ses inflexions politiques en faveur du désengagement de la bande de Gaza et de la scission du Likoud avec la création de Kadima.
Tzipi Livni sait ce qu'elle veut, et elle est prête à faire ce qu'il faut pour y parvenir. On raconte qu'en février 2003, afin d'obtenir le portefeuille convoité, elle n'a pas hésité à devancer l'heure du rendez-vous du candidat précédent pour lui souffler le ministère qu'il allait se voir attribuer. Après plusieurs expériences au sein du gouvernement Sharon, elle obtient enfin, en mars 2006, le poste convoité de ministre des affaires étrangères, considéré comme le tremplin naturel à la direction du gouvernement.
Ce n'est pas parce qu'elle est particulièrement pressée qu'elle veut accéder à la plus haute marche mais parce qu'elle pense qu'il faut faire avancer les choses dans une certaine direction. Celle de la création d'un Etat palestinien, dont elle est convaincue que c'est une nécessité afin de préserver le caractère juif de l'Etat d'Israël. Elle est donc parfaitement à sa place à la tête de l'équipe qui mène les négociations avec les Palestiniens. Sa complicité avec Condoleezza Rice, secrétaire d'Etat américaine, lui a permis d'asseoir son autorité et de parfaire son apprentissage des arcanes internationaux.
Tout le monde avait mis sur le compte de son inexpérience sa demande de démission d'Ehoud Olmert, en mai 2007, après la publication du rapport préliminaire dévastateur de la commission Winograd sur la guerre du Liban de l'été 2006. Elle avait été accusée de manque de courage pour ne pas avoir abandonné ses fonctions après ce qui lui avait valu le surnom "Tzipi the Knife".
Certains lui reprochent d'être toujours profondément ancrée à droite lorsqu'elle affirme que les Palestiniens d'Israël n'auront plus qu'à se taire si l'Etat palestinien est créé ou que "les Palestiniens ne pourront célébrer leur indépendance que lorsqu'ils auront supprimé de leur vocabulaire le terme Nakba (catastrophe)", utilisé pour évoquer la saisie de leurs terres et l'éviction de leurs villages. Gideon Levy, du quotidien Haaretz, n'a pas manqué de la clouer au pilori, mais estime néanmoins qu'elle est "préférable" à tous les successeurs potentiels d'Ehoud Olmert.
En vérité, Tzipi Livni reste un grand point d'interrogation. "Le pays l'aime parce qu'il ne sait que peu de choses d'elle", ironise Herb Keinon, du Jerusalem Post. Discrète, secrète, refusant toujours de parler d'elle et de ses projets, cette quinquagénaire reste à découvrir. Plutôt froide, sérieuse, préférant les choses simples aux mondanités, elle préserve jalousement sa vie privée.
Mariée et mère de deux enfants, elle est considérée comme féministe, mais estime que la promotion doit reposer sur les mérites et non sur le genre. Au ministère des affaires étrangères, elle a la réputation d'être une bonne professionnelle, un peu trop distante, qui, pour se positionner dans le rôle de premier ministre, va devoir sortir de sa carapace.
(Cet article reprend un portrait de Tzipi Livni publié dans Le Monde daté du 13 juin 2008)
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