Depuis quatre jours la cité des croisés est sous tension. La coexistence pacifique qui régnait entre les communautés juive et arabe est ébranlée. Sept cents policiers et gardes-frontières ont été déployés pour tenter d'éviter de nouvelles violences. L'entrée principale de la cité et celle de la vieille ville et sa forteresse sont filtrées par les forces de l'ordre. Les carrefours stratégiques sont surveillés.
Plus d'une cinquantaine de personnes ont été arrêtées. Le calme apparent reste très précaire. Les touristes ont fui et les restaurants sont vides. Dans Ben-Ami, la principale rue commerçante, on remplace les vitrines brisées. Saint-Jean-d'Acre se prépare à la fête de Soukkot (la Fête des cabanes) qui commence, mardi 14 octobre, dans l'inquiétude. Les affrontements vont-ils recommencer ?
Tout a démarré à la veille d'une autre fête, celle de Yom Kippour (Grand Pardon), dans la nuit du 8 au 9 octobre. Pendant cette célébration juive, la circulation automobile est interdite. Un quinquagénaire arabe qui a eu le tort de braver cette règle religieuse largement respectée a été pris à partie par de jeunes juifs estimant qu'il s'agissait d'une provocation. Sa voiture a été caillassée. Jusqu'à présent, juifs et Arabes vivaient côte à côte dans les mêmes quartiers sans friction. Mais depuis quelques années, l'arrivée d'une nouvelle population juive, essentiellement des religieux (dont certains seraient d'anciens colons de Cisjordanie, voire de Gaza), a modifié l'entente cordiale.
L'incident de Yom Kippour a dégénéré lorsque la rumeur a couru qu'un Arabe avait été tué. Des centaines de jeunes Arabes en colère ont déferlé sur le centre-ville. La police n'a pas pris tout de suite la mesure de l'émeute. C'est ainsi que plus d'une centaine de voitures de la rue Yosef-Gadish a été vandalisée aux cris d'"Allah akbar" et "mort aux juifs". Gisèle Osiel a eu la peur de sa vie. "Ils avaient le visage masqué, des couteaux et des pierres. J'ai cru qu'ils allaient nous tuer." La foule a continué son expédition vengeresse dans la rue Ben-Ami, brisant les vitrines. Siwan, jeune vendeuse d'un magasin de vêtement, ne comprend pas pourquoi tout a explosé car, dans cette ville de 52 000 habitants dont un tiers est arabe, les incidents intercommunautaires étaient jusqu'à présent très rares. "Aujourd'hui,dit-elle, ça peut dégénérer à tout moment. On se dit à peine bonjour. On se lance des mots mauvais. Et cet hélicoptère qui tourne ne fait pas baisser la tension."
Shimon Lankri, le maire, a décidé d'annuler le festival de théâtre qui devait démarrer cette semaine. Ce qui a irrité les commerçants arabes de la vieille ville pour lesquels l'afflux de visiteurs à cette occasion constitue une importante ressource. La proximité des élections municipales, prévues le 11 novembre, exacerbe également les tensions. Saint-Jean-d'Acre, tranquille cité fortifiée que Bonaparte n'était pas parvenu à conquérir, vacille sous la menace d'un conflit intercommunautaire. Comme le souligne Claude Lévy, conseiller du maire : "Il n'était pas possible de laisser faire un tel débordement. La frontière a été franchie. Le maire a exigé de la fermeté afin d'éviter que la prochaine fois ce ne soit pire." Le premier ministre démissionnaire qui expédie les affaires courantes, Ehoud Olmert, a demandé à la police de faire preuve de "tolérance zéro à l'égard des actes de violences" et appelé au "respect mutuel". Le chef de l'Etat, Shimon Pérès, devait se rendre sur place, lundi, pour tenter "de calmer les esprits".
Mais la fracture s'est faite. Elle sera longue à réparer. A l'est de la ville, dans le quartier Numéro Trois, d'importantes forces de police sont postées dans les secteurs sensibles. Après la descente des Arabes dans le centre-ville, des groupes de juifs s'en sont pris à leurs voisins en criant "mort aux Arabes". Plusieurs maisons ont été incendiées. D'autres ont été caillassées.
Des familles arabes ont été évacuées par la police de peur d'être victime de représailles. La famille Barghouti, à l'angle de la rue Hayot-Zrim, refuse de quitter sa maison de peur qu'elle ne soit vandalisée puis brûlée. Les vitres ont été brisées. Les canapés servent de boucliers contre les pierres. Depuis quatre jours, les Barghouti vivent reclus et espèrent que la raison va l'emporter sur la vengeance. "Voilà vingt ans que nous habitons ici sans problème avec nos voisins,déplore Khaled, le fils de 25 ans. Aujourd'hui, ils veulent que les Arabes partent mais cette ville est à tout le monde et j'espère que l'on pourra vivre à nouveau ensemble en paix."
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