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A Boca Raton, en Floride, les "Yiddishe Mamas" retraitées se soucient plus de la crise que d'Israël

Un réseau de jeunes juifs pro-Obama, venus de New York ou San Francisco, apporte aux retraités de Floride le message de leur candidat. On les appelle les "schlepper", un terme yiddish intraduisible.

Par Sylvain Cypel

Publié le 15 octobre 2008 à 15h46, modifié le 16 octobre 2008 à 14h10

Temps de Lecture 3 min.

Pour une fois, elles ne se sont pas retrouvées au Bagel Tree Café pour une partie de canasta. Sarah Shapiro, 86 ans, originaire de New York, Lil Bookman et Mildred Price, du New Jersey (elles taisent élégamment leur âge) font partie de ces dizaines de milliers de retraités juifs américains venus passer leurs vieux jours dans un centre pour personnes âgées de Floride. Le climat, les palmiers... Elles vivent à Boca Raton, à 70 km de Miami. Veuves, toutes les trois.

En général, le dimanche matin, autour d'un pancake, elles papotent enfants et petits-enfants. Cette fois, elles sont venues rencontrer des "schleppers". Le terme yiddish est quasi intraduisible. Un "schlepper", c'est un transporteur (de message, de colis). Cela désigne aussi un vagabond un peu dépenaillé. Parfois, cela veut dire aussi "dragueur". Ces "schleppers"-là sont venus de New York ou de San Francisco apporter aux retraités de Floride le message de Barack Obama. Ce réseau de jeunes juifs s'est formé il y a trois semaines : il a rapidement atteint 20 000 membres.

Au départ : un sketch-vidéo de la comédienne Sarah Silverman, visionné par 7 millions de visiteurs sur YouTube. "The Great Schlepp" (Le Grand Message) dit en substance : N'ayez pas peur d'Obama ; juifs et Noirs, nous sommes si proches. Les exemples choisis sont d'une hilarante causticité : "Jeunes Noirs et vieux juifs adorent tous deux se promener en survêtement ; les deux ont plein d'amis qui vont mourir..." Mick Moore, 34 ans, responsable national des "schleppers", assène l'argument le plus convaincant pour ces vieux juifs que le candidat démocrate "inquiète" : "Le père d'Obama était un immigrant. Sa mère s'est saignée pour qu'il ait une éducation. Il partait de très loin, mais a fini à Harvard. Puis, il a fait du travail social. Ça ne vous rappelle rien ?" Les retraités sourient.

Sarah, Lil et Mildred écoutent. Les "schleppers" répondent point par point à la "désinformation" que la Jewish Republican Coalition et d'autres groupes juifs diffusent massivement en Floride : Barack Obama est musulman, il est financé par le Hamas, son "agenda caché" vise à la destruction d'Israël... Ces groupes distribuent un "documentaire" vidéo, intitulé Obsession, la guerre de l'islam radical contre l'Occident, qui intercale des images d'enfants musulmans et des Jeunesses hitlériennes. "Ils sont pires que la droite chrétienne", dit Mick Moore. "Je n'ose pas vous rapporter certains propos au sujet de la négritude d'Obama : c'est d'un racisme affreux", ajoute Lil.

"PALIN ME FAIT PEUR..."

Elles ont toujours été démocrates, mais cette fois, elles hésitaient. "J'avais un peu peur de lui, admet Sarah. Son nom sonnait bizarrement, et il est si jeune. Je trouvais que voter pour lui était trop risqué." Sans lien avec les "schleppers", elles ont commencé à basculer début septembre, lorsque John McCain a choisi Sarah Palin comme colistière. Elles lui reprochent son "ignorance crasse", sa "vulgarité", son lien avec les évangélistes aussi. "Sarah Palin a été le plus beau cadeau que McCain nous a fait", souligne le "schlepper" Ari Wallach. Pour ces grands-parents juifs qui ont toujours placé l'éducation au-dessus de tout, "une femme qui tire le loup à l'arme automatique depuis un hélicoptère, ce n'est pas ce qui rassure". L'opinion de Sarah est faite : "Palin me fait peur. McCain a 72 ans. S'il disparaissait..." Mildred est définitive : "Qu'elle retourne en Alaska et qu'elle y gèle..."

Bien sûr, il y a Israël. Toutes les trois donnent régulièrement à des oeuvres pour Israël, observent les fêtes juives. "Pour une moitié d'entre nous, c'est une question prioritaire. Or le soutien républicain à Israël est plus important que celui des démocrates", juge Lil. L'obsession, c'est la menace de l'Iran, la crainte de voir l'Etat juif annihilé. Les "schleppers" écoutent, puis leur demandent de se projeter dans l'avenir : "Souhaitez-vous que les Israéliens continuent de vivre dans la peur ? Obama soutient la sécurité d'Israël, mais qui, de lui ou de McCain, est le plus à même de faire progresser la paix ? Le Proche-Orient n'a pas besoin d'un cow-boy." Surtout, la "question israélienne" pâtit énormément de la crise économique. "On ne pense qu'à ça, admet Sarah. Israël, c'est loin. Ici, on doit absolument régler l'assurance-santé. Ma petite-fille m'a convaincue que, sur les affaires économiques, Obama sera meilleur."

Toutes trois évoquent leur retraite. Leurs caisses privées ne risquent-elles pas de plonger ? Là, les "schleppers" jouent sur du velours. Ils sont venus en Floride pour que la génération de leurs grands-parents n'échappe pas aux démocrates. Dans cet Etat-clé, le "vote juif" sera un élément important du résultat. Les trois "Yiddishe Mamas" ne les écoutent déjà plus : "Mon fils, vous savez, l'avocat : il a réalisé quelque chose d'extraordinaire..."


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