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Israël a le sentiment que l'étau se resserre, par Benny Morris

Benny Morris, historien du Moyen-Orient et professeur à l'université Ben-Gourion, estime qu'"Israël est confronté à la combinaison d'une série de menaces toutes plus néfastes les unes que les autres". Mais il juge qu'une offensive terrestre à Gaza ne changera rien à l'angoisse de la population israélienne.

Publié le 02 janvier 2009 à 13h16, modifié le 14 janvier 2009 à 18h10 Temps de Lecture 5 min.

De nombreux Israéliens ont le sentiment que les murs et l'étau de l'histoire se resserrent. Une situation qu'ils ont déjà vécue début juin 1967, juste avant la guerre des Six-Jours. Les Israéliens d'aujourd'hui - disons plutôt la population juive d'Israël - commencent à ressentir beaucoup de ce que leurs parents ont éprouvé au cours de ces journées d'apocalypse. Certes, Israël aujourd'hui est plus puissant et plus prospère. En 1967, on n'y comptait que 2 millions de juifs, contre 5,5 millions maintenant, et l'armée ne disposait pas de l'arme atomique. Cela n'empêche cependant pas la majorité de nourrir pour l'avenir un pressentiment aussi sinistre que profond.

Ce pessimisme est d'abord alimenté par le fait patent que le monde arabe, et de façon plus large le monde musulman, n'a jamais accepté de considérer l'Etat d'Israël comme légitime. Il continue de s'opposer à son existence, en dépit des espoirs formés par Israël dès 1948, et malgré les traités de paix que l'Egypte et la Jordanie ont signé en 1979 et 1994.

En second lieu, on note que l'opinion publique occidentale - et jamais les dirigeants de régimes démocratiques ne peuvent rester bien longtemps à sa traîne - est de moins en moins favorable à la cause d'Israël. L'Occident voit d'un oeil désapprobateur la manière dont l'Etat juif traite les voisins palestiniens qu'il a sous sa tutelle. Petit à petit, la mémoire de l'Holocauste s'estompe et perd de son impact, alors qu'à l'inverse, les Etats arabes renforcent leur puissance et s'affirment davantage.

Pour être plus précis, Israël est confronté à la combinaison d'une série de menaces toutes plus néfastes les unes que les autres. A l'est, l'Iran fait avancer son programme nucléaire à marche forcée. La plupart des Israéliens partagent avec un certain nombre de services secrets la conviction que ce programme a pour objectif de produire des bombes atomiques. Ajoutez à cela les menaces de destruction d'Israël proférées publiquement par le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, son négationnisme affiché et vous comprendrez pourquoi les responsables politiques et militaires israéliens sont sur les dents.

Au nord, le Hezbollah s'est réarmé depuis sa guerre contre Israël, en 2006. Selon les services secrets israéliens, il dispose maintenant de 30 000 à 40 000 roquettes de fabrication russe, que la Syrie et l'Iran lui ont fournies : son arsenal a doublé par rapport à 2006. Certaines de ces roquettes peuvent atteindre Tel-Aviv et Dimona, là où sont localisées les installations nucléaires israéliennes. Au sud, Israël doit faire face au Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, et dont la charte voue Israël à la disparition et veut placer chaque centimètre carré de la Palestine sous la férule et la loi de l'islam. Aujourd'hui, le Hamas dispose d'une armée de plusieurs milliers d'hommes et d'un grand nombre de roquettes : des Kassam faites maison, des modèles russes, des Katioucha payées par l'Iran, ou des Grad, le tout étant infiltré depuis le Sinaï par des tunnels, sous l'oeil complaisant des Egyptiens.

Au mois de novembre 2008, et encore début décembre, le Hamas a multiplié les tirs de roquettes pour, au final, annoncer officiellement la rupture unilatérale de la trêve. Le ministre de la défense, Ehoud Barak, a alors reçu carte blanche de la part du gouvernement et de l'opinion publique. Sa première décision a été d'ordonner les attaques aériennes très efficaces. La plupart des bâtiments officiels du Hamas ont été réduits en poussière, et plusieurs centaines de ses combattants tués. Ces attaques ne régleront pas pour autant le problème de fond, qui est que, dans la bande de Gaza, 1,5 million de personnes privées de tout et désespérées vivent sous le joug d'un régime fanatique, parqué dans un enclos fait de barrières et de postes frontières contrôlés par Israël et l'Egypte.

Si les Israéliens lançaient une opération terrestre d'envergure pour s'emparer de la bande de Gaza et éliminer le Hamas, il est probable que cette opération s'enliserait dans les ruelles des camps de réfugiés avant d'avoir atteint son but. Et même si la réussite était au rendez-vous, le retour à une domination durable d'Israël sur Gaza paraîtrait insupportable à tous.

Il est plus vraisemblable qu'Israël procédera à l'envoi de blindés pour mener des incursions rapides et limitées, destinées à réduire les tirs de missiles et à décimer les rangs du Hamas. Ce genre d'intervention ne suffira pas à abattre l'organisation, mais la pression ainsi exercée peut, moyennant la médiation de la Turquie ou de l'Egypte, ouvrir la voie à une nouvelle trêve temporaire. Voilà ce qu'Israël peut espérer de mieux, même si l'on peut être certain que, dès que le Hamas aura recouvré des forces, les tirs de roquettes reprendront.

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Le quatrième facteur de risque qui menace l'existence d'Israël est interne : il s'agit de la minorité arabe qui vit dans le pays. On compte en Israël 1,3 million de citoyens arabes, lesquels se sont radicalisés au cours des deux dernières décennies. En 2006, la plupart des piliers de cette communauté avaient pris plus ou moins le parti du Hezbollah. Si les tendances statistiques actuelles se confirment, les Arabes pourraient constituer la majorité de la population israélienne à l'horizon de 2040 ou de 2050. Dans un avenir plus proche, d'ici cinq à dix ans, les Palestiniens - l'ensemble formé par les Arabes israéliens et les Arabes vivant en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza - seront majoritaires en "Palestine", au sens du territoire qui s'étend du Jourdain à la Méditerranée.

L'antagonisme qui oppose les Arabes israéliens aux juifs est déjà devenu une variable de la vie politique israélienne. En 2000, alors que la deuxième Intifada venait d'être lancée, des milliers de jeunes Arabes ont provoqué des émeutes sur les grands axes routiers du pays et dans les villes de mixité ethnique, pour exprimer leur soutien fraternel aux Arabes des territoires. De semblables émeutes se sont produites au cours des deux dernières semaines, à une échelle plus modeste toutefois.

Toutes ces menaces très précises ont en commun leur caractère non conventionnel. Entre 1948 et 1982, Israël a su trouver la parade au danger classique que représentaient les armées arabes. De fait, celles-ci ont été écrasées à plusieurs reprises. Mais dès lors qu'il s'agit de la menace nucléaire iranienne, de la montée en puissance d'organisations comme le Hamas ou le Hezbollah - qui opèrent en faisant fi des frontières et au sein même des populations civiles -, ou encore de la désaffection croissante que les Arabes israéliens manifestent à l'égard d'Israël, le type de défis est de nature différente et bien difficile à relever, quand on est un responsable politique ou un simple citoyen israélien et qu'on raisonne à l'aune des normes de comportement démocratiques et libérales de l'Occident.

En sentant ainsi l'étau se resserrer, Israël a réagi la semaine dernière par la manière forte. Au regard des évolutions en cours, il ne serait pas surprenant que d'autres explosions de violence se produisent.

Traduit de l'anglais par Christine Lahuec

© The New York Times Company


Benny Morris est historien du Moyen-Orient, professeur à l'université Ben-Gourion (Beer-Sheva, Israël).

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