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Filmer la Shoah

Falkenau, vision de l'impossible Samuel Fuller face aux camps de concentration.

Par Jean-Luc Douin

Publié le 09 janvier 2009 à 12h46, modifié le 09 janvier 2009 à 12h46

Temps de Lecture 2 min.

En mai 1945, la première division d'infanterie américaine (Big Red One) libère le camp de concentration de Falkenau en Tchécoslovaquie. Alors sous les drapeaux, le cinéaste Samuel Fuller est invité par son supérieur à filmer l'événement avec sa caméra 16 mm que lui a envoyé sa mère. Aujourd'hui, un film consacré à ce document sort en DVD, d'une qualité technique douteuse mais d'une importance historique capitale. L'auteur, le jeune Emil Weiss, y invite Samuel Fuller à commenter ce qu'il filma en 1945 pendant que les images défilent sous nos yeux. Images terribles. Les notables du bourg proche "qui prétendaient ne rien savoir de ce qui se passait alors qu'ils habitaient à quinze mètres à peine, et qui n'avaient pas ressenti la puanteur de la mort" sont poussés à faire acte d'humanité : sortir les cadavres, les habiller, les allonger sur un drap blanc, les ensevelir dignement.

Echange de propos à la suite de ce témoignage et du récit de la manière dont se déroula le procès de Nuremberg, auquel Fuller assista. Le cinéaste, très exalté, proclame le caractère irremplaçable de ce qu'il a filmé. Ces images, dit-il, font "avancer l'histoire de l'humanité. Elles constitueront toujours des preuves pour le millénaire à venir. Il faut s'en servir pour enseigner". Sceptique, comme Claude Lanzmann, de la capacité du cinéma à représenter la Shoah, Emil Weiss l'interroge : le document est une chose, mais qu'en est-il des films de fiction ? "Peut-on représenter quelque chose que vous qualifiez d'impossible ?"

Fuller ne désarme pas. Pour lui, le document peut être incorporé dans la fiction, comme il le fit dans Verboten ! (1958) où l'on contraint un jeune garçon à regarder ces images insoutenables. Il croit la caméra capable de tout suggérer, quoique... "La peur du néant, allez mettre ça à l'écran ! La violence doit être émotionnelle, et seule la caméra peut capturer ça, la perte de la dignité humaine et la perte de la naissance de tous les hommes, il suffit d'un bon acteur, capable de transmettre le moment où l'homme se désintègre petit à petit, où tout s'effondre en lui, où il n'a plus le goût de vivre. On doit amener le spectateur à ressentir ce que ressent cet homme qui doit emporter le spectateur avec lui dans son enfer."

Emil Weiss lit alors un extrait de L'Espèce humaine de Robert Antelme, se décrivant devant un miroir : ce qu'il voit n'est pas lui. "Sa condition humaine n'a plus de figure !" Fuller n'en démordra pas : "Il est mort mais il se voit vivant. Rien n'est impossible avec une caméra mon garçon ! Rien ! Mais le montrer sur un écran, c'est toute la difficulté."

Cet acte de foi magnifique dans les pouvoirs de son art est accompagné de Un travelling est une affaire de morale (52 min), un entretien avec Samuel Fuller qui retrace sa vie, ses films avec sa fougue, ses gestes et son cigare légendaires.


1 DVD, Doriane.

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