Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

"Les musées ne restituent que s'ils y sont obligés"

Ancien correspondant du "Washington Post" à Paris, il publie une version actualisée de son livre recensant les oeuvres d'art volées aux collectionneurs juifs.

Propos recueillis par Propos recueillis par Nathaniel Herzberg

Publié le 02 février 2009 à 17h25, modifié le 02 février 2009 à 17h25

Temps de Lecture 3 min.

Ancien correspondant du Washington Post à Paris, Hector Feliciano a révélé, en 1995, l'ampleur des spoliations d'oeuvres d'art dans les collections juives pendant la seconde guerre mondiale. Une nouvelle édition de son livre, Le Musée disparu, est publiée chez Gallimard.

Pourquoi avoir choisi de republier votre livre ?

L'ouvrage était épuisé. L'éditeur original, Austral, avait fait faillite. Mais surtout, chaque traduction avait occasionné des remous. En 2005, j'ai donc réécrit l'ensemble, en espagnol, en reprenant tout le dossier, qui avait beaucoup évolué. C'est cette édition qui vient d'être traduite.

Lorsque le livre est paru, en 1995, il tombait dans un paysage presque vierge. On parlait très peu de biens confisqués : tableaux, objets, mobilier... Après sa publication une commission a été créée en France par le président Chirac, l'accès aux archives a été facilité ; aux Etats-unis, les Archives nationales ont indexé leurs 13 millions de feuilles sur le sujet, rendant les recherches enfin possibles ; dans plusieurs pays d'Europe les jurisprudences ont évolué et des oeuvres ont été rendues aux familles des victimes... C'était l'objectif de mon enquête.

Quelle a été l'ampleur de ces restitutions ?

En Europe et aux Etats-Unis, des dizaines de milliers d'oeuvres et d'objets ont été rendus. J'ai intégré ces éléments dans la nouvelle édition.

Pourquoi avoir ciblé en priorité la France ?

D'abord parce que c'est le pays qui a le plus souffert des spoliations. Quand j'ai commencé mon enquête, j'ai posé des questions aux directeurs de musée, aux conservateurs, au ministère. Je cherchais une liste des tableaux retrouvés, mais restés sans propriétaires depuis la guerre, ce que l'on appelle les MNR (musées nationaux récupération). C'était comme demander à voir le diable.

Le contact se coupait aussitôt. Au mieux, on me disait que je n'aurais jamais accès à ces documents. Au pire, on ne me disait rien. J'ai dû reconstituer cette liste moi-même en étudiant les catalogues des musées, en éliminant les achats, les donations, les collections napoléoniennes, etc. J'ai découvert de nombreux tableaux, y compris des toiles très connues.

Aujourd'hui, les musées se présentent comme les grands protecteurs de ces tableaux, ceux grâce auxquels ces toiles ont pu être retrouvées et rendues à leurs propriétaires légitimes. Cela me donne envie de rire. Car, à l'époque, les musées souhaitaient tout sauf rendre les oeuvres.

L'approche de la question est plus ouverte aujourd'hui ?

Sans doute. Mais lorsqu'il y a des demandes de restitution, les musées mènent quand même le combat. Ils ne restituent que quand ils y sont obligés. Il en va de même aux Etats-unis d'ailleurs. A première vue, les autorités sont ouvertes, mais quand une famille dépose une réclamation, les musées cherchent tous les moyens pour conserver les tableaux. La plupart des pays agissent d'ailleurs de cette façon.

Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences
Découvrir

L'exemple du Portrait d'Adèle Bloch-Bauer, de Gustav Klimt, éclaire d'ailleurs ces résistances, comme les évolutions intervenues ces dernières années. La famille d'Adèle Bloch-Bauer était aux Etats-Unis depuis l'après-guerre lorsque l'affaire a éclaté, en 2001. Pendant cinq ans, elle a réclamé à la Galerie du Belvédère, à Vienne, la restitution de plusieurs tableaux, dont le fameux chef-d'oeuvre.

Le musée et le gouvernement autrichien s'y refusaient. Pour la première fois, dans ce dossier, la Cour suprême des Etats-Unis a autorisé un particulier à poursuivre, sur le sol américain, un Etat étranger. Et finalement, le gouvernement autrichien a cédé, et les tableaux ont été rendus.

Continuez-vous à rechercher des oeuvres spoliées ?

Je suis encore contacté, je donne alors les informations dont je dispose. Mais cette étape de ma vie est terminée.

A présent, j'enquête sur les débuts de l'impressionnisme. Je n'ai jamais été un chasseur de tableaux. Contrairement aux détectives, je n'ai jamais été rétribué par les familles qui récupéraient les oeuvres. Je suis et je resterai un journaliste.

Ce qui m'a intéressé dans ce dossier, c'est l'investigation, bien sûr, mais aussi la façon dont, derrière les tableaux, apparaissaient un passé, une histoire interrompue que l'on tentait de renouer. Chaque restitution, c'est ça. Le gain matériel représente une forme de justice, une reconnaissance des souffrances subies. Mais surtout, le retour des tableaux répare une histoire déchirée. Partager cette émotion est toujours une chance.

Reste-t-il encore des oeuvres disparues ?

Des dizaines de milliers. Elles se trouvent chez des particuliers, dans des galeries, des maisons de vente, des musées occidentaux. Et surtout, dans des musées en ex-Union soviétique. Elles vont continuer à ressortir, lentement. Mais la mémoire s'estompe. Les derniers témoins, à savoir les petits-enfants des personnes spoliées, commencent eux-mêmes à vieillir. Les réclamations vont se faire rares. Le phénomène va devenir une page d'Histoire.


"Le Musée disparu", d'Hector Feliciano, Gallimard, 400 pages, 32 €.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.