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L'engagement humaniste d'Haruki Murakami

En allant recevoir en Israël, dimanche 15 février, le Prix Jérusalem pour la liberté de l'individu dans la société, le romancier Haruki Murakami - l'auteur japonais le plus traduit, dont le nom a été cité à plusieurs reprises pour le prix Nobel - a choisi de ne pas rester silencieux.

Par Philippe Pons

Publié le 19 février 2009 à 17h28, modifié le 20 février 2009 à 09h02

Temps de Lecture 3 min.

Comme leur pays sur la scène internationale, les intellectuels japonais tendent à avoir un profil bas sur les grandes questions du moment. Leurs prises de position ne dépassent guère l'Archipel. En allant recevoir en Israël, dimanche 15 février, le Prix Jérusalem pour la liberté de l'individu dans la société, le romancier Haruki Murakami - l'auteur japonais le plus traduit, dont le nom a été cité à plusieurs reprises pour le prix Nobel - a choisi de ne pas rester silencieux : dans son message de remerciement, le premier récipiendaire non occidental de la plus haute récompense littéraire israélienne a condamné le recours à la force. Bien qu'il n'ait pas mentionné la récente offensive de Tsahal à Gaza, son message a sonné comme un désaveu de celle-ci. Et il a été pris comme tel par la droite israélienne, sans contenter pour autant le Hamas.

Pressé par des organisations palestiniennes au Japon de ne pas accepter cette récompense qui pouvait paraître "cautionner les crimes commis par Israël", Murakami a déclaré à Jérusalem qu'il avait décidé de "parler plutôt que de se taire". Filant la métaphore de l'Œuf (symbolisant la fragilité de la vie) et du Mur (les Etats et les organisations disposant de la force) sur lequel il s'écrase, il affirme "se situer toujours du côté de l'Œuf, (...) quels que soient les justificatifs du Mur et les erreurs de l'Œuf". "Nous sommes des oeufs fragiles face à un mur appelé système", a-t-il poursuivi. Celui-ci est censé nous protéger mais, "parfois, il prend nos vies et nous conduit à tuer froidement, efficacement, systématiquement".

Cette prise de position, plus humaniste que politique, fait écho à un appel lancé, en pleine offensive israélienne sur Gaza, par le chef d'orchestre Daniel Barenboïm. Signé par plus d'une centaine d'artistes, cinéastes et écrivains - dont un autre romancier japonais, Kenzaburo Oé, Prix Nobel de littérature 1994 -, le texte (accessible sur le site de la New York Review of Books) soulignait l'obligation morale de "trouver une autre voie qui exclut la violence et la surenchère, (...) une voix qui place toutes les parties prenantes, sans exception, devant la commune responsabilité qui est la leur : assurer à leur peuple la dignité, l'égalité des droits et le pouvoir de surmonter le passé et de rêver l'avenir".

INTÉRIORITÉ ET OUVERTURE

C'est la première fois que Murakami s'implique aussi ouvertement. Sans doute peut-on y voir l'aboutissement de son cheminement pour réconcilier intériorité et ouverture au monde. Agé de 60 ans, le romancier a incarné une génération née dans l'abondance, lisse en apparence, glissant dans la vie. Aimant le jazz, la littérature américaine (il a traduit Fitzgerald et Chandler) et pérégrinant (Grèce, Italie, Etats-Unis), il est longtemps resté immergé dans un monde intérieur où l'onirique côtoie le réalisme et l'étrange le quotidien.

Ses romans, traduits en une dizaine de langues - dont l'hébreu - et lus par près de 10 millions de ses concitoyens, sont peu "japonais". L'auteur refuse le "nativisme" : son style est froid plus qu'émotionnel et ses personnages sont plus des citoyens du monde que des Japonais. Il redécouvrit son pays, dont il s'était éloigné au sens propre et figuré, en 1995, au moment du séisme de Kobé - la ville de son enfance - et de l'attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo perpétré par la secte Aum. Murakami, qui commençait à renouer avec la mémoire de la guerre (par exemple dans Les Chroniques de l'oiseau à ressort, 1995), a vu dans ces événements deux "souterranéités" : celle des entrailles de la terre et celle des couches les plus sombres de l'inconscient collectif. Il y a consacré deux ouvrages, dans lesquels la fiction fait place aux témoignages des victimes.

Le monde littéraire japonais n'ignore pas l'engagement. Depuis la défaite de 1945, les facteurs de mobilisation ont été la réflexion sur l'ultranationalisme, à travers des expériences personnelles, puis le mouvement contre la guerre du Vietnam, animé par des écrivains exclus du Parti communiste. Par la suite, dans le Japon de la croissance et du recul des utopies révolutionnaires, des voix ont mis l'accent sur le besoin d'humanisation. C'est le cas du mordant Hisashi Inoué (né en 1934), qui a transformé le divertissement populaire en un véhicule de critique sociale, de Kenji Nakagami (mort en 1992), décrivant les exclus avec la force d'un Faulkner, ou de Kenzaburo Oé (né en 1935).

Sorte de conscience du Japon par son honnêteté intellectuelle, Oé proteste et résiste inlassablement (contre le négationnisme ou la mise en cause du pacifisme constitutionnel). En s'affirmant du côté du faible, Haruki Murakami le rejoint dans cet engagement humaniste.

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