DEUX HOMMES, deux styles, deux générations, deux manières d'être journaliste. L'ancien dessinateur de Charlie Hebdo, Siné, 80 ans, et Claude Askolovitch, 46 ans, rédacteur en chef du Journal du dimanche et chroniqueur politique sur Europe 1, se sont retrouvés, mardi 20 janvier, devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Le premier poursuivait le second pour "diffamation".
La justice se penchera à nouveau sur "l'affaire Siné", le 27 janvier à Lyon, suite à une plainte de la Ligue contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) contre le dessinateur pour "incitation à la haine raciale".
Au cours de l'audience parisienne, il fut question d'antisémitisme, mais aussi de "complot", "d'amalgame", de "conflit israélo-palestinien" et de "la difficulté de la presse à traiter certaines questions", dont, selon le mot de M. Askolovitch, "la question magique : la question juive".
Le 8 juillet 2008, au cours de l'émission "On refait le monde" sur RTL, M. Askolovitch avait jugé "antisémite" un article de Siné publié six jours auparavant dans l'hebdomadaire satirique. Il avait assuré aux auditeurs que Philippe Val, directeur du magazine, s'apprêtait à "faire un éditorial pour expliquer que Siné est une ordure, qu'il a dérapé et qu'il devrait partir".
Dans l'article incriminé, Siné ironisait sur le parcours de Jean Sarkozy, fils cadet du président de la République, et sur la relaxe dont il venait de bénéficier dans une affaire de délit de fuite face à un "plaignant arabe". Il évoquait aussi sa possible "conversion au judaïsme pour épouser sa fiancée, juive et héritière des fondateurs de Darty", concluant : "Il fera du chemin dans la vie ce petit." Siné a reconnu avoir voulu pointer "l'arrivisme" de Jean Sarkozy, "la fascination de la famille Sarkozy pour le fric" et "la conversion à une religion (...) pour du blé", mais a récusé tout antisémitisme.
"COUP DE BOULE"
"Quand j'ai entendu qu'on me traitait d'antisémite, mon sang n'a fait qu'un tour", a témoigné l'ex-chroniqueur de Charlie Hebdo, visiblement affecté par cette accusation. "Si je l'avais eu (M. Askolovitch) en face de moi, ce n'est pas un procès qu'il aurait eu, c'est un coup de boule", a lancé le caricaturiste, en affirmant avoir "reçu des condamnations à mort à cause de ce rigolo". "Je me vois associé à Faurisson ou Le Pen, à des gens que je hais", s'est emporté Siné. M. Askolovitch, "c'est un grossier personnage que j'ai envie de tuer", a-t-il déclaré, provoquant par sa gouaille et ses écarts de langage les rires du public et les sourires des avocats. Puis il s'est repris. A sa manière : "Enfin, le tuer c'est beaucoup, mais en tout cas le faire souffrir."
Affichant une forte assurance, M. Askolovitch s'est défendu en invoquant sa bonne foi et la liberté d'expression : "Siné est libre d'écrire des insanités, je suis libre de les signaler." "Je n'ai jamais traité Siné d'antisémite, j'ai analysé sa chronique comme étant antisémite", a-t-il martelé, évoquant les préjugés sur "l'argent et les juifs" et les "avantages" dont jouiraient "les juifs par rapport aux arabo-musulmans en France".
Cité comme témoin par Patrick Klugman et Jean-Pierre Mignard, les avocats de M. Askolovitch, le sociologue Michel Wieviorka, spécialiste de l'antisémitisme, a conforté cette lecture en reprenant l'idée du "deux poids, deux mesures". "Le nouvel antisémitisme en France repose sur l'idée que les juifs réussissent dans la société alors que ce n'est pas le cas des arabo-musulmans", a-t-il rappelé, en ajoutant : "S'il faut dire qu'un propos est antisémite, c'est parce que tous ces propos amalgamés constituent un terreau favorable au drame."
Thierry Levy et Dominique Tricaud, les avocats de Siné, ont estimé que "cette affaire avait été utilisée par les uns et les autres pour servir d'autres intérêts". "J'aurais provoqué l'affaire Siné pour entrer dans les grâces du président (de la République) ? Insanités", a répliqué M. Askolovitch. Selon les avocats de Siné, M. Val, cité par la partie civile mais absent au procès, "aurait profité de l'affaire" pour se débarrasser de Siné. La polémique a entraîné le départ du dessinateur de Charlie Hebdo et la création de Siné Hebdo.
La procureure a demandé la relaxe de M. Askolovitch au nom de la liberté d'expression. Jugement le 3 mars.
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