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Le butin retrouvé d'"Arsène Lupin"

Dérobés en 1983 à Jérusalem, des trésors d'horlogerie viennent d'être restitués à l'Etat d'Israël. L'épilogue d'une enquête digne d'un roman.

Par Nathaniel Herzberg

Publié le 21 mars 2009 à 14h04, modifié le 21 mars 2009 à 14h04

Temps de Lecture 5 min.

Dans le salon d'honneur de l'ambassade d'Israël à Paris, le commissaire Avi Roif pèse ses mots. Physique de lutteur, sourire malin, il savoure le moment. "Cette cérémonie marque la dernière étape d'une aventure fascinante." Le divisionnaire de la police de Jérusalem attend un instant, comme s'il mesurait le temps passé. Puis poursuit : "Nous avons réussi à faire aboutir une enquête importante pour nous. Je tiens à remercier nos collègues français." Il a un regard pour le colonel Tabel, patron de l'office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC). Puis son regard glisse sur la table. "Cet instant est émouvant."

Sur deux plateaux reposent une série d'objets. Deux montres Breguet, un petit mouvement de pendule, une boîte sertie de diamants en forme de papillon, ou encore l'enveloppe en or massif d'une horloge, représentant une vieille femme, un fichu sur la tête, une merveille. Deux petits sacs en plastique ont aussi été posés là. A l'intérieur, des montres Leroy, datant du XIXe siècle, en partie démontées. "C'est dans cet état que nous avons trouvé les pièces, glisse le colonel Tabel. Nous montrons ça mais il y en a deux sacs pleins derrière." Ce vendredi 20 mars, la France rend officiellement une partie du butin d'un des plus grands et des plus longs mystères du banditisme israélien, sans doute le vol de montres le plus célèbre du monde.

Les objets ont été dérobés dans la nuit du 15 au 16 avril 1983, au musée des arts islamiques de Jérusalem. Cent six pièces de grande valeur, parmi lesquelles une série de montres "inestimables". Ce qui n'empêchera pas les enquêteurs de chiffrer les pertes à plusieurs dizaines de millions de dollars. Parmi les oeuvres volées se trouve la collection de montres, pendules et horloges de Sir David Lionnel Salomons, premier maire juif de Londres. Sa fille Vera, une des fondatrices du musée, en a fait don à l'établissement.

Des pièces exceptionnelles, réalisées par les plus grands horlogers des XVIIIe et XIXe siècles, et notamment la Breguet 160. Trésor de beauté et de complexité, "la Marie-Antoinette", comme certains la nomment aussi - elle a été réalisée par Abraham Louis Breguet pour la reine -, est considérée comme "la Joconde des montres".

Les enquêteurs reconstituent facilement le mode opératoire. Le ou les bandits sont entrés par une petite fenêtre, à l'arrière du musée, dont ils ont tordu les barreaux. Pour ne pas se faire repérer, ils ont bouché la vue au moyen d'un camion, garé contre la croisée. A l'intérieur, les gardiens n'ont rien vu, rien entendu. Leurs mouvements semblaient parfaitement connus des cambrioleurs. Pendant vingt-trois ans, les recherches ne donnent rien. Les policiers tâtonnent. La direction du musée espère recevoir une demande de rançon. Les pièces sont en effet parfaitement répertoriées. Pas un amateur, de ceux capables de dépenser des dizaines de milliers d'euros pour une tocante, ne peut ignorer leur provenance. Dans ce type de cas, les voleurs finissent parfois par se tourner vers leur victime pour proposer un deal.

NÉGOCIATION SECRÈTE

Fin 2006, le musée est finalement contacté par une avocate. Elle lui indique que son client dispose de certains des objets volés. Une quarantaine de pièces, parmi lesquelles le clou de la collection. Une négociation secrète commence. L'établissement finit par les récupérer contre une somme presque ridicule : 150 000 shekels, soit 27 000 euros. La police n'est pas prévenue. Elle apprendra la transaction par un article de presse.

Les enquêteurs sont furieux. Mais une autre lumière s'allume. A Los Angeles, une Israélienne a fait estimer une des pièces. L'expert a averti la police. En découvrant son nom, les enquêteurs israéliens comprennent. Nili Shomrat n'est autre que la veuve de Na'aman Diller, alias Lidor, gangster de légende, mort en 2004. "L'Arsène Lupin israélien", résume Pierre Tabel.

Le parcours de Diller est, il est vrai, exceptionnel. Né en 1939 dans un kibboutz de la plaine côtière, le jeune homme a tout pour réussir. Beau comme un dieu, intelligent, il est admis dans ce qui constitue l'aristocratie militaire israélienne : la formation de pilotes de chasse. Mais deux semaines avant sa sortie, il commet l'irréparable : pour voir son kibboutz, il passe largement sous le plafond autorisé. Il est emprisonné, puis écarté de la session.

Une autre vie commence. Au kibboutz, il cambriole une maison pendant un enterrement. Confondu, il est expulsé de la communauté. Installé chez sa tante à Tel Aviv, il commet des petits larcins, vole des voitures, dévalise des boutiques. En 1967, il réussit sa première opération sophistiquée en cambriolant une banque. Vêtu d'un uniforme de postier, il simule une longue opération d'entretien et creuse pendant cinq mois, en plein jour, un tunnel qui aboutit dans la salle des coffres.

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Entre-temps, il a combattu pendant la guerre des Six-Jours. Après être entré dans la banque, ce maniaque de la propreté est rentré se doucher. C'est d'ailleurs en effaçant les traces de son passage qu'il s'est fait pincer. Il est condamné à quatre ans d'emprisonnement. A sa sortie, on diagnostique chez lui un cancer de la peau. Il multiplie les cambriolages, 23 officiellement, dont un important vol de peintures. Cette fois, il écope de sept ans. A la sortie, il part aux Pays-Bas étudier la médecine naturelle. Mais se fait à nouveau prendre pour le vol d'une bijouterie. Emprisonné puis expulsé vers Israël, il commettra encore un vol avant d'interrompre, croit-on, ses activités illicites. En 2004, il meurt des suites de son cancer. Dans son pedigree, manque juste son "grand oeuvre", le vol du Musée des arts islamiques.

Aux Etats-Unis, la perquisition chez sa veuve porte ses fruits. De nombreuses oeuvres volées sont retrouvées, dont six montres. Les Américains découvrent des documents bancaires qui conduiront les policiers israéliens vers un coffre aux Pays-Bas et deux en France, à la BNP et la Société générale. C'est là que, en novembre 2008, l'OCBC, saisi par une commission rogatoire internationale, retrouve des dizaines d'objets, plus ou moins gros, dont 42 montres en pièces détachées.

Pour les Israéliens, l'essentiel est fait. Dix montres manquent encore, dont quatre après lesquelles courent les policiers suisses. Les Israéliens attendent l'extradition de la veuve. "Elle affirme avoir tout ignoré, mais nous savons qu'il n'en est rien", confie Avi Roif. Il ne devrait pas avoir trop de mal à le démontrer.

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