Peu de groupes autant que celui que celui des juifs de France (et d'ailleurs) suscitent autant de fantasmes. Prendre connaissance des résultats et des commentaires d'une vaste enquête sociologique menée du début des années 2000 à 2006 constitue ainsi une opération de salubrité publique.
L'ouvrage permet de saisir dans sa diversité une population qui n'a pas manqué d'exprimer l'inquiétude que provoque depuis 2001 un antisémitisme qui donne l'impression à ceux qui en sont les cibles de n'être plus vraiment combattu par la société et en particulier par la gauche. Il révèle aussi une polyphonie bien plus grande que ne le laisse à penser la voix des institutions de la communauté organisée (CRIF, consistoire). Même si les pouvoirs publics érigent cette "communauté" en interlocuteur privilégié ; au mépris parfois des principes républicains, soulignent les auteurs.
Car ceux-ci, soucieux d'asseoir leur propos sur des données fiables, ne se privent pas de laisser transparaître leurs troubles et leurs préférences donnant à cet ouvrage un léger parfum de manifeste. Nos sociologues ne dissimulent pas la préoccupation que suscite une redéfinition de l'identité juive de plus en plus centrée sur la religion et une emprise de plus en plus forte de l'orthodoxie sur les institutions juives. Du coup, les laïcs et les juifs proches des mouvements libéraux sont rejetés à la marge tout en se renforçant, en réaction à cette radicalisation.
Une autre évolution stigmatisée comme "communautariste" est celle de l'intervention de responsables communautaires en tant que tels dans le champ politique. Elle est symbolisée par la montée en médiatisation, au cours des années 1990 et 2000, des fameux "dîners du CRIF". De ce point de vue, on peut regretter que le livre ne fasse qu'évoquer à la fin un éventuel alignement des moeurs "communautaires" sur un modèle américain et ne propose pas de comparaison européenne.
Ce travail a le mérite de relativiser le tournant à droite prêté aux juifs de France. Il est le fait des plus pratiquants et militants et aussi d'une majorité des plus jeunes, qui s'avèrent ici en porte à faux avec les préférences générales de leur classe d'âge. Mais la mainmise croissante des partisans de la Houmra ("rigorisme religieux") est contrebalancée, aux yeux des auteurs, par le retour de faveur inattendu d'un "franco-judaïsme", voire d'un "nouvel israélitisme" moins replié sur lui-même, dont l'élection au grand rabbinat de France de Gilles Bernheim serait un signe.
LA CONDITION JUIVE EN FRANCE de Dominique Schnapper, Chantal Bordes-Benayoun et Freddy Raphaël. PUF, 142 p., 20 €.
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