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Lutter contre le négationnisme, par Paul Airiau

C'est un enjeu central et majeur pour l'avenir du catholicisme.

Publié le 10 avril 2009 à 14h02, modifié le 10 avril 2009 à 14h02 Temps de Lecture 3 min.

S'il est négationniste, Mgr Williamson n'est pas fou. Aussi peut-on expliquer historiquement pourquoi il tient de tels propos. L'intégrisme catholique contemporain, représenté surtout par la Fraternité Saint-Pie X, est un résidu de l'intransigeance catholique, développée dès le début du XIXe siècle et dominante dans le catholicisme à partir des années 1850-1860.

Ce refus du libéralisme philosophique, religieux, politique et économique prend une connotation apocalyptique entre 1850 et 1930. Il tend à comprendre la modernité comme un instrument de destruction de l'Eglise civilisatrice, animé par une contre-Eglise satanique où complotent et s'activent libres-penseurs, francs-maçons, juifs et autres. Cette intransigeance apocalyptique, qui fut majoritaire, se constitue en branche distincte entre 1920 et 1980, en réaction à la complexe transaction pratique et théorique partiellement réalisée par le catholicisme avec la modernité, dont Vatican II est la capitalisation.

Courant autonomisé voulant ramener le catholicisme à la forme apocalyptique de sa matrice intransigeante, l'intégrisme en conserve les strates judéophobes. Vers 1800, l'antijudaïsme catholique accusait les juifs d'être infidèles à Dieu, d'avoir crucifié Jésus et d'être devenus un groupe ethno-religieux à la morale asociale et antichrétienne. Entre 1850 et 1880, une polémique socioéconomique s'adjoint à la polémique religieuse, le tout s'intégrant à l'intransigeance apocalyptique.

Vers 1900, nombre de catholiques acceptent le mot et l'idée d'antisémitisme, compris comme une lutte sociale, économique, politique et religieuse contre les juifs. Le racisme est souvent frôlé, sans jamais pouvoir être assumé. Car le Dieu bon du Nouveau Testament est celui de l'Ancien Testament. De plus, c'est le péché, acte de la liberté individuelle, qui condamne, et non l'origine raciale.

Ainsi peut se manifester une paradoxale et ambiguë dimension philosémite : la conversion au christianisme des juifs participerait au salut du monde.

Après la première guerre mondiale, les troupes de la judéophobie catholique diffusent les Protocoles des sages de Sion, mais s'éclaircissent. La lente décomposition de l'intransigeance apocalyptique produit ses effets. L'interrogation théologique sur le judaïsme, engagée discrètement dès la fin du XIXe siècle, se fait plus nette dans les années 1920-1960. Le Saint-Office condamne l'antisémitisme racial (1928), Pie XI revendique la filiation juive du christianisme (1938). La judéophobie socio-économique régresse lentement, puis disparaît après la seconde guerre mondiale. Finalement, la déclaration conciliaire Nostra Ætate (1965) rejette l'antijudaïsme et la théologie qui le sous-tendait.

Entretenant l'intransigeance apocalyptique, l'intégrisme catholique ignore nombre de ces évolutions. Une minuscule minorité de ses adeptes y intègre le négationnisme, à partir d'un tropisme complotiste et judéophobe, fruit d'une marginalité intellectuelle s'autoalimentant aux marges disponibles. Pour le Saint-Siège, c'est une marginalité cumulative, une aberration intellectuelle et un point annexe de ses rapports avec l'intégrisme.

Cependant, le négationnisme est aussi autre chose. Niant la signification objective des traces du génocide des juifs, il se fait complice du nazisme qui effaça les traces de ce qu'il commit au nom d'une idéologie selon laquelle certains ne peuvent participer à la Cité du simple fait d'être nés. Ainsi forme de l'antisémitisme, il s'oppose radicalement aux sociétés occidentales qui présupposent que la vie de chaque individu né vaut par elle-même.

Refus absolu des règles non écrites de la Cité, le négationnisme devient la faute morale absolue. Pour une partie des catholiques et les responsables politiques, cette norme implicite doit être celle de l'Eglise, la refuser doit empêcher toute communion avec le pape. Le Saint-Siège et Mgr Fellay l'ont prise en compte sous la pression des réactions. Peuvent-ils le faire aussi sur des bases propres ?

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L'historien, même spectateur engagé, ne peut répondre à leur place. Il peut au moins avancer trois voies possibles : le rejet du négationnisme transcrit des affirmations catholiques (la bonté et la dignité intrinsèques de toute vie, l'unité du genre humain, antérieures à toute société politique et s'imposant comme telle) ; le choix du refus de l'antisémitisme et de l'abandon de la judéophobie, qui peuvent s'étendre au négationnisme ; la mise sur le même plan par Mgr Williamson du refus d'un concile par lequel se définit aujourd'hui le catholicisme, et du négationnisme, lequel empêche par ricochet la communion.

Ainsi, quoique microscopique, le négationnisme de certains intégristes peut être un enjeu central, car il noue deux logiques de la recomposition identitaire du catholicisme : la détermination du rapport souhaitable à un passé d'intransigeance apocalyptique, dont le complotisme judéophobe est un élément ; l'acceptation ou non, et dans quelle mesure, de normes métapolitiques extérieures.


Paul Airiau est agrégé et docteur en histoire, maître de conférences à Sciences Po, auteur de "L'Antisémitisme catholique aux XIXe et XXe siècles" (Berg International, 2002).

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